Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

169 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 février 2024

Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

Pour Alexandre...

Pensée émue pour Alexandre Kostantinian, compagnon de Manouchian, que j'ai eu le privilège de connaître.

Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

                        "L'avenir est un présent que nous fait le passé." André Malraux

     Compagnon de lutte de Missak Manouchian, il ne faisait pas partie des "23" et avait échappé à la mort, Alexandre Kostantinian.

     Adhérent et responsable local du PCF, j'ai eu la chance et le plaisir de le connaître, au milieu des années 1970 à la cité La Castellane, à Marseille, où nous habitions, lui qui, malgré les blessures, était resté toujours fidèle à son engagement communiste. Militant convaincu mais discret car "apatride", ingratitude dont il souffrait 30 ans encore après avoir risqué sa vie au service de la France au sein des FTP-MOI, il enrichissait par ses réflexions éclairées et fraternelles nos engagements politiques.

     Sa compagnie était un privilège, on ne côtoie pas impunément un "héros", terme qu'il récusait avec une modestie qui ne manquait pas de grandeur.

     Nous faisions régulièrement, chez l'un ou chez l'autre, de la place de la Tartane à l'avenue de Berneix et réciproquement, d'interminables parties d'échec au cours desquelles, d'une belle langue et d'un accent caillouteux inimitable, il me racontait en détail les actions glorieuses et tragiques de ces "étrangers et nos frères pourtant", la prison et les sévices, l'exil intérieur qu'il subit au temps de la guerre froide. Il en perdait parfois le fil de la concentration, à mon profit, et renversait rageusement le roi sur l'échiquier en signe de capitulation. Nous en riions.

     En compagnie de Lucie, sa femme, il enfourchait sa 403 "Columbo", comme il la baptisait avec humour, l'été venu, pour se rendre dans une modeste maison de campagne au fin fond du Puy-de-Dôme*, sur des routes tortueuses, trajet improbable, émaillé souvent d'incidents techniques hoqueteux et fumants, dont la narration imagée provoquait immanquablement le rire mais qui aurait pu mal tourner le jour où Lucie s'avisa d'arrêter le flot des voitures au milieu de l'autoroute du retour en quête de dépannage !

     Vers la fin de sa vie, il eût l'immense joie de pouvoir retourner en Arménie soviétique dont il revint comblé et ragaillardi. Il m'en rapporta un récit ému et enthousiaste et une tablette de chocolat immangeable mais dont la saveur affective était définitivement touchante et inoubliable.

      "Henri, j'ai obtenu ma carte d'identité." Avant de décéder au début des années 1980, il eut, enfin, oui, enfin, la profonde satisfaction, d'être naturalisé français après une longue et douloureuse attente.

     Bien des années ont passé et le monde meilleur qu'il espérait voir venir et pour lequel il s'était battu avec ses compagnons de lutte du groupe Manouchian, n'est pas encore au rendez-vous de l'histoire, mais le souvenir d'Alexandre m'emplit toujours d'émotion, de reconnaissance et d'espérance.

 _________________________

*A Chadrat si mes souvenirs…

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.