"Et de haine aussitôt un chorus général / De la proscription a donné le signal." Don Bazile, Air de la calomnie, Le Barbier de Séville.
Départ de feu, un tweet de Pascal Boniface, qui, le 20 octobre, écrit à propos de Karim Bouamrane : "Sincèrement je m’interroge sur cet homme que je ne connais pas perso. Est-il un exemple de la méritocratie ? Alors bravo ! Ou instrumentalisé façon un muslim d’apparence qui ne critique pas Netanyahou et donc bénéficie d’une grosse promo médiatique. J’attends de voir."
"Etoile montante de la gauche" selon les astrologues du HuffPost, dont le nom a un temps circulé pour Matignon après les dernières élections législatives, le maire socialiste de Saint-Ouen-sur-Seine, avait participé, la veille à l'émission Quelle époque ! la bien nommée (1), au cours de laquelle, selon le directeur de l'IRIS, il avait fait preuve d'une certaine "pudeur sur les guerres du Proche Orient".
Aussi sec, les flammes médiatiques crépitent, bondissent, s'enflent en grandissant, impossible à fixer, l'incendie, rien ne peut l'arrêter, alors qu'un verre d'eau eût pu le noyer si les pétroleurs avaient disposé de quelques gouttes d'honnêteté.
Mais non, avec une touchante et malveillante unanimité, le ban et l'arrière ban bien-pensant, vrais ballots comme faux dévots, déversent leur poison méphitique sur le mis en cause avec force griefs de toutes les façons, fatwas ou anathèmes au choix, sans parler de maintes bassesses et, jugeant pendable son propos, conséquemment lui font sentir qu'il doit expier son forfait. (Ah ! heureux temps hélas révolu, où la Sainte Inquisition condamnait au bûcher l'hérétique.)
Car, voyez-vous, je résume, Pascal Boniface a qualifié (sic) Karim Bouamrane de "muslim d'apparence" lit-on ou entend-on, ici et là. Le raccourci est bas mais le trait fulgurant qui vise à pulvériser le coupable. Fausse citation, tronquée comme souvent, fausse colère, fausse indignation qui prétend que l'auteur reprend à son compte, une formule dont le mot "façon" renvoie pourtant clairement à "un muslim d'apparence" perçu dans le regard des autres, à la manière de…, de quelques racistes, sans doute, ou d'opportunistes manipulateurs, ce que sous-entend et dénonce le commentaire en question.
Quel vacarme infernal ! chacun et chacune se donnant une grande peine pour dire de grandes sottises, attaques ad hominem le plus souvent, selon le principe qu' "On n'a rien fait contre les opinions, tant qu'on n'a pas attaqué les personnes." (2)
Je ne les nomme pas tous mais tous sont concernés, de Carole Delga à Nathalie Loiseau : en vrac, "propos affligeants qui essentialisent (sic) plutôt que d'élever le débat", "le voir qualifier (sic) de muslim d'apparence est tout simplement insupportable", évidemment, "M. Pascal Boniface doit supprimer ses (sic) tweets ET (re sic) présenter ses excuses", sans tarder, "insupportable commentaire de Pascal Boniface…Son discours est un danger pour la république", pas moins…
Les meilleurs pour la fin et qu'il faut citer, je ne résiste pas, même si c'est pénible : "Qui porte encore attention aux délires (sic) de monsieur Boniface…les vrais musulmans pour lui doivent être intégristes islamistes ou anti républicains…et dire qu'il se revendique chercheur", Julien Dray, "Oh la la ! Mais comment peut-on parler ainsi et utiliser un tel langage ? C'est quoi, cette essentialisation et cette grille de lecture obsessionnelle (sic) sur Israël Gaza ? C'est dingue, cette lecture folle !", Françoise Degois, "ignoble individu…soutien républicain (sic) total face à cet abject individu qui n'en est pas à sa première", Frédéric Encel.
Ainsi, cette polémique préfabriquée se réduit à une minable occasion de régler ses comptes avec quelqu'un qui ose parler vrai, sans façon, et critiquer une personnalité politique qui, de son point de vue, ne condamne pas, avec la plus grande fermeté, les massacres perpétrés à Gaza et au Liban et dont l'éclosion médiatique récente interroge. Plus généralement, le prévenu, que certains accusent régulièrement sans vergogne d'antisémitisme, propose des analyses géopolitiques mal pensantes qui ne plaisent pas et dérangent, n'est pas "à la voie", car n'épousant pas les ornières creusées par les charrois du soutien indéfectible à qui vous savez et qu'il faut donc stigmatiser, insulter, bâillonner.
D'ailleurs, nous y voilà, on y pourvoit : "La ville de Dijon est attachée aux valeurs de laïcité et d'universalisme. Au vu des récentes déclarations du directeur de l'Iris, la 7ème édition des "Internationales" organisées par la ville de Dijon en partenariat avec l'IREIS, en novembre prochain est annulée", signé François Rebsamen.
Petite opération politicienne, mais "La vraie grandeur ignore les offenses des petits." (3)
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(1) Présentée ainsi par France TV : "Quelle époque! s'inscrit dans la grande tradition de la case du samedi soir, dont les maîtres mots seront la liberté de parole et l'impertinence. Un talk-show spectaculaire, drôle et festif, une émission de société et de divertissement, qui raconte notre époque et interroge notre société."
(2) Joseph de Maistre
(3) François Mauriac