"Le discours politique vole bas mais il n'atterrit jamais." André Frossard.
Si la politique consiste à faire beaucoup de bruit pour rien, alors il suffit de feuilleter les journaux, de scruter les plateaux, de parcourir les réseaux pour y croiser moultes occasions de vérifier cette sagace observation du regretté Ferdinand Lop. Ces bousins itératifs sont légions qui consistent à trivialiser, hyperboliser, médicaliser, métaphoriser...voire à militariser le champ lexical politicien. Le commentateur les chérit, partant, le discours s'appauvrit et le locuteur, ainsi que l'enseigne la fable, vit aux dépens de celui qui l'écoute.
Morceaux choisis. A tout seigneur tout honneur, en tête de gondole il y eût, boulé des cimes de l'Etat, le fameux et malodorant "j'ai très envie d'emmerder les non vaccinés". Pour iceux, avant tout, l'emmerdant c'est la dose aurait chanté feu Thierry le Luron. Heureusement, une tentative de rétablissement à la barre eût lieu, aussi sec. Voyez-vous, se défendant de "commenter les commentaires" devant l'inévitable polémique soulevée par l'époux de la duègne, Brigitte Macron a tout de même justifié la glissade présidentielle en évoquant François Rabelais, oui, figurez-vous, qu'elle a fait étudier jadis et naguère et "qui avait aussi (sic) un langage fleuri (re-sic)". A ce propos, elle aurait été bien inspirée, avec un peu de lettres et d'esprit, de mettre sous les yeux de son ci-devant élève, le chapitre XIII de Gargantua où le héros, après de multiples et infructueuses tentatives, invente un ravissant torche-cul, "un oison bien duveteux", sous réserve, "qu'on lui tienne la tête entre les jambes", c'eût peut-être évité quelques vilaines salissures.
En descendant de l'Olympe, on croise aussi quelques mortels bavassant à gogo. Ainsi, Françoise Degois, réfute l'idée d'une "embardée verbale", pour cette incontinence langagière jupitérienne et diagnostique gravement une "hystérisation du débat"; l'insoumis Manuel Bompart déclare que l'idée de construire six EPR de plus est une "hérésie", ignorant, peuchère, que l'hérésie est le miroir des dogmes qu'il prêche; les thuriféraires de Jean-Luc Mélenchon prophétisent un meeting de Nantes, vous savez, l'immersif et l'olfactif, "bouillant", que lois de la physique, selon lesquelles ce qui bout fait des bulles et puis s'évapore, promettent à un avenir gazeux, mais, quand même, ça va être "énorme" selon l'hyperbolique Adrien Quatennens.
On continue. D'après Libération "Le PCF allume son député Sébastien Jumel après son soutien à Jean-Luc Mélenchon" mais, diantre, pourquoi ne pas choisir "critique, désapprouve, réprimande", non, trop lisse, trop lustré, trop subtil pour qualifier cette "prise de guerre"; le maire PS de Montpellier, Michaël Delafosse, quant à lui, "étrille" le candidat de la France insoumise, image animalière qui gratte rudement; untel "tacle" Macron au Parlement européen, l'autre veut "remuscler la gauche", le troisième "mettre fin au mythe de l'union", sachant que la fin du mythe aura ses limites à la veille des législatives de juin prochain; de son fief vauclusien, l'ineffable Julien Aubert, tambourine et claironne : "la droite est en ordre de bataille…pour lancer la campagne de Valérie Pécresse", pendant qu'à Paris, Anne Hidalgo dénonce "les prophètes de malheur ".
Enfin, le grand classique politique, le "caillou dans la chaussure", traduisez les tourments, pour ne pas employer un mot plus grossier, que le coquillier ministre Jean-Michel Blanquer glisse sous les fragiles pieds du Président. Fermez le ban…provisoirement…
"Rien ne marche dans un système politique où les mots jurent avec les choses", écrivait Napoléon Bonaparte. Cette trivialisation, ce sensationnalisme de pacotille, ces coups de langue râpeux, cet abêtissement insistant, détonnent face à la complexité des enjeux du temps présent et des défis à venir, outragent la nécessaire précision des analyses, la pertinence des commentaires, l'élévation des débats pour que ça marche, en effet, et ouvre une voie éclairée vers les urnes.