Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

171 Billets

0 Édition

Billet de blog 23 avril 2024

Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

Tout feu, tout flamme !

La ville d’Apt aura l’honneur d’être traversée par le Relais de la Flamme Olympique, le mercredi 19 juin 2024.

Henri GIORGETTI

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

     "La gloire est le résultat de l'adaptation d'un esprit à la sottise nationale." Charles Baudelaire.

     Le 19 juin prochain, à l'heure matinière, la "Capitale du Luberon" va être promue, tenez-vous bien, au rang de Capitale du Monde. Oui, annoncé d'une voix trémulante et effervescente par la première magistrate de la commune, en plein conseil municipal, lors du débat d'orientation budgétaire (1) , un "évènement majeurexceptionnel", car "médiatisé sur le plan international", mettra "en lumière" notre bonne ville d'Apt, "une chance dont nous ne pouvons qu'être fier" :  l'accueil de la Flamme Olympique !

     Pensez donc, à 9h30 précises, sous les projecteurs planétaires, de Nijni Novgorod à Barranquilla, en passant par Bushbuckridge, quel que soit le fuseau horaire, Argos Panoptès braquera ses yeux innombrables sur la traversée aptésienne, du Plan d'Eau au Gymnase Guigou. Décorations fleuries et animations spéciales agrémenteront un parcours parsemé de bénévoles postés comme "signaleurs" (sic) qui, tout en jouissant du spectacle aux premières loges, les bienheureux, auront pour mission de filocher d'éventuels trublions qui oseraient perturber la cavalcade et profiteraient opportunément d'une couverture médiatique pas chère et mondialisée. Bien sûr, des agents de la ville, la police municipale et la gendarmerie nationale seront puissamment mobilisés pour assurer le bon ordre, on ne sait jamais, la fête ne sera pas gâchée.

     Alors, haro sur les hérétiques qui critiqueraient cette procession séculière, honte aux sceptiques qui ne verraient que retour à l'enfance dans ce divertissement, où simplement s'interrogeraient sur l'ardente obligation de partager cette outrancière bouffée de ferveur collective, qui soumettraient à la question les présupposés et les retombées de l'odyssée de la torche et auraient du mal à s'associer au chichi ! Ou encore, alors là, c'est carrément pervers, vergogne aux cyniques qui rappelleraient malignement que la première utilisation officielle de la flamme, telle que nous la connaissons aujourd'hui, remonte aux Jeux olympiques de Berlin en 1936, sous le régime nazi, "une merveilleuse idée du Docteur Goebbels" ! (2)

     Bon, restons positifs, Elzéar Pin, auquel la fontaine, près du jardin public d'Apt, a été dédiée, aura eu la satisfaction posthume d'apprécier la réhabilitation du boulevard éponyme qui conduit au gymnase, lui-même promptement rénové car réceptacle et relais du flambeau. "Il ne pouvait y avoir de meilleur prétexte pour le faire car ils en avaient bien besoin depuis longtemps." (3) Donc, selon ce lumineux principe, il faudrait sans doute attendre la prochaine traversée de la flamme (???) pour voir enfin le rafraîchissement des voies cabossées, des trottoirs défoncés et des immeubles décrépis... "qui en ont bien besoin depuis longtemps".

     Amuser le bon peuple local, lui qui subit régulièrement les débordements colériques du Calavon, les brandons du soleil sur les places pelées, les affres du chômage, les plaies de la précarité, qui vieillit lentement, où ses jeunes s'ennuient, lui proposer des récréations badines en lui offrant une vision cinétique d'athlètes musculeux et pétulants,  après tout, pourquoi pas, c'est un choix politique qui peut plaire aux enfants et rendre les parents heureux. (4) A moins que Blaise Pascal n'ait raison, qui affirmait que "La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement et c'est pourtant la plus grande de nos misères".

     Car, une fois les vapeurs dissipées, la foule dégrisée, que restera-t-il ? Bien sûr, au bout du chemin, là-bas, le vendredi 26 juillet, la grande kermesse des Jeux ouvrira le bal des performances puériles qui portent à la gloire, occupera le temps des cerveaux encore disponibles, réjouira l'ensemble des vainqueurs par procuration, frissons garantis, autour du cirque ou au pied des écrans. Des jeux populaires, paraît-il, d'où sont pourtant exclus les pauvres, fête pour toutes et tous ou fête du fric pour quelques bénéficiaires, dividendes attendus pour le gotha politique ? Reflet et protestation, opium du peuple ? On choisira.

     Enfin, peut-on espérer, quand même, que celles et ceux qui courent plus vite, qui lancent plus loin, qui sautent plus haut…les héros qui hissent les drapeaux, demeurent humbles et fraternels et, maîtrisant le feu de leurs exploits, concourent, avant tout, à la pacification des relations internationales, comme le souhaitait Pierre de Coubertin (5), à l'ouverture aux autres et au monde, au rayonnement d'un olympisme véritablement humaniste symbole durable de concorde et de paix ?

     Puissent les Dieux de l'Olympe nous entendre !

 __________________________________________

(1) Priorité budgétaire clairement affichée pour un coût estimé, peuchère, à 20 000 euros, ce n'est pas de trop, "pas plus que le Corso", pour "un moment phare d'une telle ampleur";

(2) Titre du quotidien grec Estia en août 1936.

(3) Dixit la Maire d'Apt

(4) ... et qui coûtera tout de même au Vaucluse, 5ème département le plus pauvre de métropole, la coquette somme de 180 000 euros TTC.

(5) C'est bien connu, l'important est de participer, mais l'illustre baron (1863-1937), par ailleurs sexiste, raciste, anti dreyfusard, admirateur d'Hitler, déclarait aussi que "Les sports ont fait fleurir toutes les qualités qui servent à la guerre…Le jeune sportsman se sent évidemment mieux préparé à partir à la guerre que ne le furent ses aînés et quand on est préparé à quelque chose, on le fait plus volontiers."

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.