Depuis deux jours, la capitale du Luberon bourdonne, stridule, craquette.
Car les citoyens aptésiens s'interrogent bruyamment sur les raisons qui ont provoqué l'annulation de leur vote des 23 et 30 mars 2014 en faveur de la liste d'Olivier Curel (PS), "Apt, pays d'avenir".
Et il y a, en effet, de quoi se poser des questions.
Suite à une "protestation" déposée par la liste de Dominique Santoni (UMP), "Apt, ville vivante", le Tribunal administratif de Nîmes avait rejeté, le 16 octobre 2014, la quasi totalité des accusations d'irrégularités et conclu à la validité de l'élection.
Lors de l'audience d'appel, du 29 juin 2015, le rapporteur public chargé d'instruire le dossier auprès du Conseil d'Etat, avait confirmé cet arrêt et conclu, lui aussi, à la régularité et à la validité de l'élection.
Le 22 juillet 2015, Conseil d'Etat en a décidé autrement et a prononcé l'annulation de l'élection.
(Merdre ! comme aurait dit le Père Ubu).
Et pour le seul motif qu'un certain nombre de personnes de la liste "Apt, pays d'avenir" auraient consulté, le jour du second tour, les listes d’émargement, afin d'exercer "des pressions de dernière heure" sur les électeurs, et que, vu le faible écart des voix, cela aurait été "de nature à altérer la sincérité du scrutin".
Ce jugement, figurez-vous, se fonde sur des "attestations" et sur "une feuille" annexée au procès-verbal du bureau de vote n°1 signée par trois membres d'icelui et par un assesseur suppléant déclarant que des partisans de la liste d' O. Curel auraient communiqué des informations à l'extérieur. Diantre !
Ainsi, le docte Conseil d'Etat fonde son jugement sur les attestations des partisans et des soutiens de la liste "Apt, ville vivante" et sur une feuille, inconnue du président du bureau de vote, non signée par lui, et mystérieusement annexée au procès verbal officiel sur lequel aucune remarque n'avait été portée, comme pour les autres 8 bureaux de la ville.
Voilà pour les "preuves".
Et pourtant...
Le Tribunal administratif de Nîmes disait, en ce qui concerne le déroulement des opérations électorales, qu'en l'absence de mention dans les procès-verbaux des bureaux de vote, les seules attestations ne pouvaient servir de preuves de consultation et de divulgation des listes d'émargement.
De son côté, le rapporteur public du Conseil d'Etat déclarait que la consultation des listes d'émargement ne constituait pas une preuve suffisante de sa divulgation à l'extérieur auprès des électeurs.
C'était raisonnable, vous ne trouvez pas ?
Que nenni ! Pour les Sages suprêmes, les accusations qui avaient, par deux fois, le 16 octobre 2014 et le 29 juin 2015, été rejetées comme non valables, "justifiaient", le 22 juillet 2015, l'annulation de l'élection !
Pourquoi ce revirement stupéfiant ? Qui ou quoi a fait pencher la balance, dilater le fléau, renverser les plateaux ?
Seuls les mauvais esprits rappelleront que si les juges administratifs du premier degré et de l'appel sont des juges presque comme les autres, les membres du Conseil d'Etat sont recrutés pour partie par la voie de l'ENA et pour partie par nomination par les présidents de la République successifs, ainsi que l'écrit le journal "Le Monde" ("Un Conseil d'Etat trop politisé". 28 mai 2012)
Allons, allons, chut, on ne commente pas une décision de justice ! Sans doute !
Lisons Victor Hugo : "Il est effrayant de penser que cette chose qu'on a en soi, le jugement, n'est pas la justice. Le jugement, c'est le relatif. La justice, c'est l'absolu. Réfléchissez à la différence entre un juge et un juste."
Justement, j'y réfléchis.