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Billet de blog 24 septembre 2025

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La Palestine en l'état

"La France reconnaît aujourd’hui l'État de Palestine". Emmanuel Macron, 22 septembre 2025.

Henri GIORGETTI

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     "Il me convient d'être avec les peuples qui meurent, je vous plains d'être avec les rois qui tuent." Victor Hugo, septembre 1870.

     Après les débordements d'une émotion, d'un côté, estimable et légitime, d'une indignation, exécrable et pathologique, de l'autre, le temps est venu de relire attentivement le texte de l'allocution d'Emmanuel Macron prononcée à l'ONU le 22 septembre, d'en examiner calmement, sereinement, chacun des termes, comme d'en débusquer les absents. Et, essentiellement et résolument de s'interroger sur ce "poids de l'histoire" (1) qui aurait pu peser sur les épaules de l'orateur et épaissir la parole présidentielle, si tant est qu'il eut été capable d'en assumer la charge, peuchère.

     Passons sur les éléments de langage, les figures de rhétorique convenues pour ce genre d'exercice, (ah, cette anaphore si remarquée qui ouvre et clôt le message présidentiel !) pour nous en tenir, lucidement, à la substance même du propos.

     En pole position sur la ligne des urgences, dès le quinzième mot du corps du discours, "libérer les 48 otages détenus par le Hamas", juste devant la nécessité "d’arrêter la guerre, les bombardements à Gaza, les massacres et les populations en fuite". Dans ce triste palmarès sémantique révélateur, "otages" sera nominé 8 fois, "Hamas", 9 fois", enfonçant loin derrière "bombardements" prononcé une fois (...et Israël 18, Palestine 9).

     Certes, la "paix" est convoquée, invoquée 28 fois, c'est bien normal et sans surprise. La paix, à laquelle on déclare l'attachement, la paix, "juste et durable", évidemment, la paix dont il faut ouvrir le chemin, la paix à coups d'exigence, de plan, de mécanique (sic), la paix que la région connaîtra, enfin (sic). On aurait aimé alors entendre préciser, même prudemment, même modestement, mais fermement, les moyens nécessaires pour y conduire et atteindre concrètement ces nobles objectifs proclamés. Attente déçue. Trop risqué ?

     Car, peut-être, aurait-il fallu dénicher les invisibles, les inentendus, les recalés, je vous livre, en vrac, les "résolutions, colonies, crimes de guerre, génocide, réfugiés, capitales…sanctions" que vous chercherez vainement, lecteurs attentifs, c'est la partie la plus éloquente du topo, si l'on peut dire ! Leur référence aurait pu aider à la compréhension des choses et servir de guide pour l'action. Mais Emmanuel Macron ne s'y est pas aventuré, s'en tenant au "7 octobre" (6 occurrences dans le texte) comme origine du drame mortifère en cours.

     Non, Monsieur, ce n'est pas depuis près de deux ans seulement que prévalent "la négation de l'humanité de l'autre et le sacrifice de la vie humaine", ni que "c'est bien la vie de l'autre qui est niée" !  Si ces "négations" sont toujours de mise, elles remontent loin.

     Après avoir écouté, par exemple, le ministre de la Sécurité nationale israélien, Itamar Ben Gvir, qui affirme que son pays devrait annexer la Cisjordanie en réaction à la reconnaissance d'un Etat palestinien, confirmant ainsi l'annonce de son maître Netanyahu, d'ailleurs sous mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale pour crime de guerre et crime contre l'humanité pendant la guerre faite à Gaza qui, lors de sa visite dans la colonie de Maalé Adoumin en Cisjordanie occupée, a déclaré ,le 11 septembre dernier : "Il n'y aura pas d'Etat palestinien", constatez donc, sans détour, que ces horribles personnages contemporains, sont bien dans la ligne continue d'un projet sioniste élaboré depuis la fin du XIXème siècle et en cours d'achèvement que vous feignez d'ignorer. C'est la matrice d'origine de l'Etat d'Israël. Et, avant 1987, le Hamas n'existait pas !

     Il s'agirait, en somme, comme un député d’extrême droite du Parti sioniste religieux l'a déclaré crûment à la Knesset en 2021, de "terminer le travail" de Ben-Gourion qui aurait dû expulser tous les Arabes du pays lors de la création de l’Etat hébreu. Le gouvernement israélien, avec le concours de Trump (qui veut transformer Gaza en "Riviera du Moyen Orient", vide d'Arabes, parbleu !), est chargé de parachever le chantier.

     En effet, du congrès de Bâle d'août 1897, à la création, le 15 mai 1948, de l'Etat d'Israël, jusqu'à la guerre des Six-Jours de 1967, avec la colonisation qui s'est poursuivie violemment, jusqu'à ce jour, les guerres et agressions meurtrières qui ont frappé la Cisjordanie, le Liban, Gaza, tous les évènements qui depuis ont jalonné et ensanglanté cette région, tous les faits objectivement constatés, tous les discours prononcés par les dirigeants sionistes puis israéliens, confirment clairement une ambition constante et acharnée de s'approprier toute la terre de Palestine, toute, du Jourdain à la mer, de judaïser le pays, partant, après en avoir expulsé des centaines de milliers, de nier le droit légitime des Palestiniens à l'autodétermination et à la réalisation d'un état. Un maximum de terres, un minimum de Palestiniens…ou, dans l'idéal, pas du tout ! Au mépris constant, total…et impuni du droit international, Charte des Nations Unies et autres Conventions et Résolutions comprises.

     Faut-il vous rappeler, Monsieur le Président, que le plan que vous évoquez, voté par l'Assemblée générale de l'ONU (2) qui "décidait du partage de la Palestine mandataire entre deux Etats, l’un juif et l’autre arabe", ne "décidait" rien du tout car il n'était pas juridiquement contraignant, son application dépendait de l’acceptation par les parties concernées. Or, si l’Agence juive l’a opportunément accepté, les dirigeants arabes et palestiniens l’ont rejeté et on peut comprendre pourquoi, tant il était déséquilibré. Vous ajoutez, ingénuement : " La promesse d’un Etat arabe, elle, reste, jusqu’à ce jour, inachevée." Et l'inobservation par Israël des Résolutions 194, 242 (3) et bien d'autres qu'il serait trop lourd de citer, ça ne vous dit rien des causes possibles de cet "inachèvement" ?

     Nier cette réalité, patauger dans le négationnisme, c'est, au choix, de l'ignorance, de l'aveuglement, pire, de la complicité !

      Certes, dans un hoquet de lucidité tardive, sinon de repentance, vous avouez que "nous portons la responsabilité collective d’avoir failli jusqu’ici à bâtir une paix juste et durable au Proche-Orient", mais qui est ce "nous" nébuleux et indifférencié ? Il a des noms et des visages ce collectif, bien identifiés pour qui s'intéresse à l'histoire et ne craint pas d'en découvrir la face sombre.

     Cherchez donc du côté de la Grande-Bretagne et de la France, à l'origine de l'explosion du Moyen-Orient après la Première Guerre mondiale, du côté des Etats-Unis plus récemment, et de leurs soutiens, "indéfectibles", à l'Etat d'Israël, économique, financier, militaire, diplomatique qu'ils lui apportent sans vergogne, encore aujourd'hui…qui ont fait de la question juive, qui prend racine en Europe et culmine dans l'horreur nazie avec l'extermination de 6 millions de Juifs, un problème arabe selon l'expression de l'historien Henry Laurens.

     Comment en sortir, quelle serait la voie ? Les moyens existent sinon la détermination politique. D'abord, là encore, les leçons du passé : lors de la crise de Suez en 1956, puis en 1973 à l'issue de la guerre du Kippour, Israël a dû reculer et rendre des territoires conquis, en 1967, l'embargo sur les armes décidé par de Gaulle a freiné ses velléités, l'Afrique du Sud, punie pour crime d'apartheid, a plié sous le poids de la réprobation internationale.

     Seule la force du droit, mais assortie de sanctions, peut tordre le bras du crime et mettre fin à l'accumulation de ses victimes, pour le bien de la justice, de l'égalité et du retour à l'humanité, alors que les bon sentiments cyniques des faiseurs de condamnations verbales, fussent-elles prononcées "avec la plus grande fermeté", selon la formule consacrée et inopérante, n'y suffisent pas.

     Ces sanctions existent, prévues par la charte de l'ONU, chapitre VII, qui en donne le pouvoir au Conseil de Sécurité, par l'Article II de l'Accord d'association de l'Union européenne avec Israël en cas de violation des droits de l'homme, et pourraient peser efficacement sur le cours des choses, mais il manque à la "communauté internationale" le courage politique d'y recourir (mais pas pour la Russie, l'Iran et quelques autres qui s'excluent de l'axe du Bien, c'est entendu). Pourquoi ce refus, cette impuissance, cette tragique responsabilité devant le jugement de l'Histoire, mais en attendant…on ne peut pas laisser la Palestine en l'état.

     Alors, pour finir, provisoirement du moins, que retenir, de manière positive, de ce brouet diplomatique macronien ?

     Qu'il était temps, en effet, de reconnaître l'Etat de Palestine, proclamé, tout de même ! depuis le 15 novembre 1988 par Yasser Arafat, comme l'ont fait avant la fin de cette année-là plus de 70 états, 90 un an plus tard et 148 avant le 22 septembre dernier.

     Que le peuple palestinien longtemps occulté, longtemps méprisé, longtemps stigmatisé, existe, qu'il "n’est pas un peuple en trop".

     Et espérer, tout de même, un éveil des consciences et une fédération des volontés de sorte que, dans un an, deux, plus peut-être, nul ne pourra chanter "Le 22 septembre, aujourd'hui, je m'en fous." (4) et que viendra le moment de la réconciliation, de la reconstruction et de la paix retrouvée au Moyen-Orient.

     Enfin, on peut penser, est-ce l'essentiel ? que la reconnaissance de l'Etat de Palestine n'est pas seulement un acte symbolique, que "Le projet va être très compliqué, il n'y a pas de doute, mais les principes sont là. Il faut y croire. Sans être naïf ni idyllique. (...) Mais ce n'est pas parce qu'un projet est compliqué que les principes sont faux. Il faut voir comment réussir. Les principes sont là et c'est le grand acquis aujourd'hui." (5)

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(1) "Dans le conflit israélo-palestinien, le problème est le poids de l’Histoire." Henry Laurens.

 (2) Résolution 181. Selon ce plan : un Etat juif sur 55% du territoire palestinien mandataire avec environ 500 000 Juifs et 45 000 Arabes palestiniens, un Etat arabe sur 43% du territoire comprenant environ 725 000 Arabes et 10 000 Juifs. (Jérusalem, comprenant 10 0000 Juifs et 105 000 Arabes, sera placé sous statut international).  

(3) Résolution 194 qui pose le principe du droit de retour des réfugiés palestiniens. Résolution 242 qui pose le principe du (i) Retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ; (ii) Cessation de toutes assertions de belligérance ou de tous états de belligérance et respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force.

(4)  Le Vingt-deux Septembre, chanson de Georges Brassens.

(5) Elias Sanbar, France Inter, 23 septembre 2025.

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