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Billet de blog 25 janvier 2024

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Le Bien et le Mâle

Gérard Larcher "étrillé" pour sa réticence à inscrire l’IVG dans la Constitution.

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                    "La liberté d’expression reste un éternel combat." Siné.

     Mardi dernier, 23 janvier 2024, Gérard Larcher s'est déclaré opposé à l'inscription de l'IVG dans la Constitution. Le Président du Sénat a, en effet, estimé que "l'IVG n'était pas menacée" en France, ajoutant, "Si elle était menacée, croyez-moi, je me battrais pour qu’elle soit maintenue. Mais je pense que la Constitution n’est pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux".

      Alors, réflexes pavloviens garantis, on salive, on potine, on débine à tout va.  Ainsi, relayées par les médias quasi unanimes et friands de controverses ganaches, les fortes paroles de Sophie Marceau qui, choquée, furieuse et cinglante a vivement réagi aux propos du susnommé, poussé un rare coup de gueule, volé dans les plumes d'icelui, dézingué, étrillé, condamné le bonhomme (expressions lues dans la presse).

     Florilège. Péremptoire : "Bien sûr que l’IVG est menacée !"  Pertinente (quand même) : "Comme le sort des femmes qui ne peuvent y avoir recours." Oui, elles sont nombreuses, notamment les plus précaires, faute d'information, d'accueil et d'accompagnement…Mais qu'ont fait les responsables, notamment, tenez, au hasard, Roselyne Bachelot, Marisol Touraine, Agnès Buzyn ? Accusatrice : "...et que vous mettez en danger de mort." Dogmatique : "Vous n’avez que faire du sort des femmes, en vérité." Allégorique : "Vous représentez le patriarcat dans toute sa splendeur : suffisant, rétrograde et hypocrite." Moraliste : "Vous faites honte à notre société française." Pythique : "Tant qu’il y aura des hommes comme vous, nous serons toutes en danger."

      Vous en redemandez ? Voici. Salomé Saqué a, elle aussi, fait part de sa colère sur le réseau social X fustigeant "Ces hommes qui se prononcent sur des politiques impliquant le corps des femmes comme si cela les concernait, c’est une constante dans l’histoire." Elle a oublié, peuchère, que c'est un homme concerné, Lucien Neuwirth, qui, en 1967, après en avoir convaincu un autre homme, Charles de Gaulle, a défendu la loi pour l'autorisation de la contraception orale impliquant le corps des femmes. Passons.

     Anne-Cécile Mailfert, présidente et cofondatrice de la Fondation des femmes, tacle (sic) Gérard Larcher en proclamant effrontément, "Ce qui dérange Larcher, ce n’est pas la Constitution, ce sont les libertés des femmes de choisir par et pour elles-mêmes". Il serait ainsi "…le visage d’une minorité réactionnaire qui menace les droits de toutes, au mépris de l’opinion de tous". Pas moins !

     Bon, je n'ai vraiment aucune sympathie politique pour le protubérant mis en cause, mais, considérant, comme le regretté Sénèque, que "Toute vertu est fondée sur la mesure", on ne peut que déplorer ces excès jaculatoires et accusatoires, qui, loin de favoriser les progrès de la cause, la desservent grandement et en venir aux vraies questions.

     Sur le fond, faudrait-il donc constitutionnaliser le droit à l’IVG qui existe en France depuis janvier 1975 ? Peut-on, légitimement, ou non, évaluer ce point et en débattre de manière argumentée ? Ce droit, inscrit dans la Loi, est-il réellement menacé ? La Constitution, qui est un document fondamental posant les principes, les structures et les processus de gouvernement et a pour rôle principal de fournir un cadre juridique et politique pour l'organisation et le fonctionnement de l'État, doit-elle, en effet, inclure "un catalogue des droits sociaux et sociétaux" ? Quels en seraient les avantages…et les inconvénients ?

     Eh, quoi, vous insistez, Monsieur ! Malheur à qui s’avise de s’interroger, je dis bien, seulement s’interroger, sur le bien-fondé, l’utilité, l’opportunité d’une telle disposition ! Aussi sec, avec une touchante malhonnêteté intellectuelle, on l'a vu, l’inquisition tente de pulvériser le porteur du doute, l’accusant, en vrac, d’être contre la liberté des femmes à disposer de leur corps en remettant en cause le droit à l’avortement, complice crypto-évangéliste des mouvements les plus réactionnaires, voire des juges suprêmes américains qui, eux, là-bas, en effet, ont remis en cause ce droit.

     Et, cela va de soi, selon le bon vieux principe qu'"On n'a rien fait contre les opinionstant qu'on n'a pas attaqué les personnes"*, on disqualifie grossièrement ceux qui osent récuser le manichéisme ambiant et affronter la complexité sans préjugés. Comme sur bien d'autres sujets d'ailleurs, c'est dans l'air du temps : impuissant à convaincre, on insulte, en manque d'argument, on dénigre et le pugilat tient lieu de débat !

     Enfin, constitutionnaliser c’est graver dans le marbre, sacraliser, dit-on. Même si en changer n’est pas chose facile, l’histoire montre, qu’aucune constitution n’est éternelle et, en France, 16 se sont empilées depuis 1789, notamment à l'issue de crises majeures, sans compter leurs modifications ou révisions successives. Il n'y a donc rien de définitif, d'absolu, de sacré, pas même une constitution, et, en fin de compte, c'est souhaitable dans une démocratie vivante ! Relire Condorcet à ce sujet...

     Ce qui devrait être considéré comme fondamental aujourd'hui est plutôt, d'une part, que le droit à l'IVG soit effectivement compris, facilité et accessible par le développement et la répartition des lieux et des moyens nécessaires à le rendre effectif et, qu'en même temps, une vigoureuse politique de santé, familiale, éducative, culturelle, sociale crée les meilleures conditions pour que l'exercice de ce recours, toujours douloureux, reste une exception.

     Réagir à l’émotion soulevée par une récente décision américaine, et quelques agitations anachroniques marginales, ne doit pas submerger la raison, interdire la controverse, diaboliser le moindre propos contradicteur. Car le dissensus est créateur, la dispute féconde, la démocratie l'art de gérer sereinement et pacifiquement l'espace bigarré des opinions, des antagonismes assumés. Ce que garantit la République française à chacune et chacun, un droit et une liberté de conscience et d'expression par la Loi de 1905, et c'est heureux.

     "Toute connaissance est une réponse à une question" écrit Edgar Morin. En l'occurrence, nombre de certaines et certains voudraient que la question ne soit même pas posée !

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 * Joseph de Maistre

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