Henri GIORGETTI

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Billet de blog 25 septembre 2015

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Lexique ta mère !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

     Les mots sont importants... Platon le disait en son temps : "Sache bien en effet...qu’un langage impropre n’est pas seulement défectueux en soi, mais qu’il fait encore du mal aux âmes."... et Camus, vil plagiaire, aussi.

     Or donc, je lisais récemment sur l'excellent site  "Le Café pédagogique", rubrique "L'expresso" quotidien, icelles phrases : "L'Ecole peut-elle quelque chose contre le décrochage ?...Comment les jeunes décrocheurs expliquent-ils leur départ du système éducatif ?" Le Café pédagogique n'est pas suspect pour un poil d'anti-pédagogisme et ce n'est pas un repère de républicanistes rabougris tendance QuiVousSavez, non, c'est plutôt le monde de Meirieu (respect ! mais que fait-il donc chez les centristes !!!), humaniste, progressiste et tout.

     Merdre, dirait le père Ubu, qui en connaît un brin, "décrochage, décrocheurs",  voici un bel exemple de langue de bois, qui, comme le veut sa rhétorique, vise à "enfumer", en occultant les réalités et les responsables, ici, de l'échec scolaire et de l'expulsion des quelques 150 000 jeunes du système éducatif chaque année. (D'ailleurs, que va-t-on faire de ces migrants, de ces réfugiés pédagogiques dont notre bon vieux système éducatif ne veut plus ? Passons).

     Et le pire, on emploie ces mots en toute innocence, avec compassion et une bonne foi que j'accorde volontiers à cette excellente revue. Ainsi, un jeune "décroche". Il est donc le sujet grammatical, l'auteur de sa chute, même si l'on ne sait pas vraiment de quel arbre malade il "décroche". Il EST "décrocheur". Un "décrocheur" est toujours jeune, remarquez-le, il n'y en a pas, par exemple, en politique, où là, les vieux, ils s'accrochent (1). On est presque dans l'essentialisme, poussons un peu, le biologisme. Diantre !

     Pour le coup, c'est bien la langue des maîtres (au double sens du terme) qui s'exprime là. Alors, débarrassons-nous définitivement de ces termes falsificateurs et qui stigmatisent le "décrocheur" et sa sinistre famille lexicale, quand ce n'est pas sa famille tout court ! Car c'est l'Ecole qui discrimine, c'est l'Ecole qui élimine, et maintenant, voilà que l'Ecole culpabilise, avec une espèce d' hypocrite affection pour ces pauvres bougres qui lâchent la branche !

     Eh...on regretterait presque le bon cancre d'antan, celui du radiateur, et qui jouait un rôle, qui existait, à la fois modèle contrarié et repoussoir, un rôle social, un statut garanti, quoi, de Lagneau à Ducobu. J'ajoute, d'expérience, que le cancre occupait une fonction thérapeutique et cathartique : réceptacle de tous les maux de la classe, coupable idéal, il permettait aux profs de se défouler, de faire oeuvre littéraire, notamment  sur les bulletins scolaires, genre "Touche le fond et creuse encore". Et si tant de profs dépriment aujourd'hui, c'est à cause de la disparition du cancre, ne cherchez pas plus loin ! 

     Mais le "décrocheur", à quel crochet voulez-vous le pendre ? Il est lisse, il est terne, il passe inaperçu. Il est sur le "départ"...ce voyageur sans bagages !  Et c'est sa faute. Et on le lui fait bien sentir. "Quel est ton projet, mon petit ?"

            Autrefois, le cancre était menacé d'être "orienté", mais bon, c'était clair, comme une fatalité, on l'acceptait sans effort, on quittait le collège, on allait au CET, on faisait maçonnerie ou couture flou. Et puis c'est tout, une nouvelle vie commençait.

            Aujourd'hui le "décrocheur" est non seulement stigmatisé , mais en plus, on le presse, on le traque, on le torture. A tel élève de 5ème,13 ans, moyenne générale 2,5/20 : "Quel est ton projet, mon petit ?" [......] "Alors ?" La phrase la plus violente qui soit, mais enrobée dans une espèce de confiture totalitaire. Tu n'es bon à rien ou, au choix, mauvais en tout (2) , mais il faut que tu me dises, pire...que tu m'écrives, TON PROJET.

            Ainsi donc, alors que les "bons" élèves n'ont pas besoin de se "projeter", ils glissent mollement de classes en classes sans que leur quille éclate ou qu'ils aillent à la mer (3) , non seulement le "décrocheur" "décroche", mais, en plus, on l'invite à le faire avec élan, à ne pas se laisser paresseusement tomber à terre, il faut qu'il se projette !

     On apprend que ces études sur le "départ" des "décrocheurs" montrent clairement du doigt les responsabilités de l'Ecole. Bien. Mais alors que cela se traduise dans le choix des mots, signifiant et signifié main dans la main.

     Platon, reviens ! Amis chasseurs de précision, à vos fusils, du petit plomb pour cet "oiseau déguisé" (4) de "décrocheur". Et pourquoi pas "demandeur d'asile" pour le remplacer ? Hum !

(1) C'est, notez-le, parce qu'il y a 2 C à s'accrochent, ça tient mieux

(2) Le schpountz

(3) Pardon Rimbaud, réfugié poétique

(4) Pardon encore, Aragon

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