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Billet de blog 26 juin 2025

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La voix de la France

Pendant plus de trois heures, mercredi 25 juin 2025, les députés ont débattu de la doctrine (?), de la position et de l'action (euh…) de la France (disons plutôt du gouvernement français) au regard du chaos qui règne et se répand au Proche et au Moyen Orient et du bouleversement géopolitique qui s'en suit.

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"L'intelligence humaine est toujours un contre-pouvoir. L'arme ultime contre la propagande est la culture et la connaissance." Bertrand Badie.

     Un "débat de qualité", s'est félicité l'ineffable député macroniste Roland Lescure, vice-président de l’Assemblée, à l'issue de la séance, peu avant une heure du matin. Mais, selon le principe bien connu en matière de gouvernance contemporaine genre " cause toujours" et "parler pour ne rien dire", le susdit "débat de qualité" s'est terminé sans vote ni portée concrète, tant les affaires diplomatiques sont le privilège quasi exclusif du pouvoir exécutif et, avant tout, mais c'est bien sûr, du président de la République, le soi-disant "domaine réservé".

     Un "débat" ? Plutôt un dialogue de sourds donc, une cacophonie entre affirmations et répétitions, armes habituelles de la rhétorique, nombre d'orateurs perchés sur leurs certitudes douteuses, leurs connaissances approximatives, sur un fond d'inscience historique et géographique. ("Ignorance encyclopédique" aurait dit le regretté Jean Jaurès*). Et, avec un peu de retard, à la sortie, hop ! le carrosse s'est transformé en citrouille ! Aucune proposition, aucune initiative, aucune adresse urbi et orbi capable d'ouvrir des perspectives de résolution des conflits et de paix.

     Pour résumer la position officielle de la "France" (la fameuse "voix"), on s'en est tenu à l'inébranlable, itératif et partial soutien à Israël, à son droit à l'existence et à la sécurité et à la nécessité d'un "accord robuste" pour que l'Iran ne se dote pas de l'arme nucléaire. (Vous avez dit "robuste" M. Bayrou ? Pouvez-vous préciser ?). Et au parterre, l'immaculé ministre Barrot, a rappelé et loué les grands principes de la Charte des Nations Unis pour s'empresser de justifier une politique qui consiste à ne pas se donner les moyens de les appliquer concrètement là où ils sont le plus ouvertement outragés. Et Gaza, connaît pas. Voilà !

     On reste aphone devant cette indigence d'analyse, cette impuissance politique inhumée dans les sables d'un désert victime du dérèglement idéologique, éthique, sémantique ambiant. Nos gouvernants auraient bien été inspirés, avant de se caler dans l'hémicycle, de relire le passé avant de parler, à travers deux exemples seulement, mais significatifs et instructifs pour qui veut comprendre le monde car l'histoire, ouvre "dans le passé des ressources d'intelligibilité pour le présent" et, en outre, "permet de percer la symbolique des formes culturelles de la domination".**

 (Bon, c'est un peu long et dense, mais ça vaut la peine…si l'on veut se réveiller moins ganache…)

1 - Extrait de la conférence de presse du général De Gaulle, 27 novembre 1967 à propos de la Guerre des Six Jours.

 "J'avais moi-même le 24 mai, déclaré à M. Eban, ministre des Affaires étrangères d’Israël, que je voyais à Paris. "Si Israël est attaqué, lui dis-je alors en substance, nous ne le laisserons pas détruire, mais si vous attaquez, nous condamnerons votre initiative. […]  On sait que la voix de la France n’a pas été entendue. Israël ayant attaqué, s’est emparé, en six jours de combat, des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant, il organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour, il qualifie de terrorisme.

 […] … il ne peut y avoir de solution, sauf par la voie internationale. Mais un règlement dans cette voie, à moins que les Nations Unies ne déchirent elles-mêmes leur propre Charte, un règlement doit avoir pour base l’évacuation des territoires qui ont été pris par la force, la fin de toute belligérance et la reconnaissance réciproque de chacun des Etats en cause par tous les autres.

Après quoi, par des décisions des Nations Unies, en présence et sous la garantie de leurs forces, il serait probablement possible d’arrêter le tracé précis des frontières, les conditions de la vie et de la sécurité des deux côtés, le sort des réfugiés et des minorités, et les modalités de la libre navigation pour tous, notamment dans le golfe d’Akaba et dans le canal de Suez.

Suivant la France, dans cette hypothèse, Jérusalem devrait recevoir un statut international. Pour qu’un tel règlement puisse être mis en œuvre, il faudrait qu’il y eût l’accord des grandes puissances (qui entraînerait ipso facto celui des Nations Unies) et, si un tel accord voyait le jour, la France est d’avance disposée à prêter sur place son concours politique, économique et militaire, pour que cet accord soit effectivement appliqué."

(lisez, prenez votre temps, c'est nourrissant…)

 2 - Extrait de la déclaration du ministre des Affaires étrangères français, Dominique de Villepin devant le Conseil de Sécurité de l'ONU le 14 février 2003.

 "Une fois de plus, le Moyen-Orient connaît l'épreuve de la guerre, son cortège de misère et de morts, le sentiment d'injustice dans une région déjà tant meurtrie […] Pour avancer, il faut d'abord répondre aux aspirations de liberté des peuples, désireux de s'approprier leur destin partout dans le monde. […] Le chemin de liberté peut-il être dicté, imposé de l'extérieur ? Notre conviction au contraire est que cette liberté doit se nourrir de la culture de ces peuples, de leur histoire, de leur tradition, de leur ambition.

[…] Bien sûr, la communauté internationale a une responsabilité pour accompagner cette exigence dans le respect de l'identité de chacun. Dans cette voie, la France se veut fidèle à elle-même, forte de ses idéaux et de ses convictions, forte aussi de son expérience et de ses liens anciens, avec cette région du Moyen-Orient, avec l'Asie ou encore l'Afrique. Nous avons médité les leçons de notre propre passé et mesuré la complexité que doit en permanence prendre en compte l'action. […] Pour avancer, il faut ensuite retrouver la voie de la paix et de la stabilité dans la région. Nous voulons croire à un Moyen-Orient en paix. Parce que c'est une nécessité pour la sécurité, sans laquelle il n'y a pas d'avenir possible. Parce que c'est la réponse qu'attendent tous vos peuples. Parce qu'enfin le monde a besoin d'un Moyen-Orient capable de faire entendre sa voix sur la scène internationale, et d'apporter sa pierre au grand défi commun de l'avenir. […] Rétablir la confiance : tel est le grand défi du Moyen-Orient. L'avenir du Moyen-Orient doit se construire autour d'un défi commun : la paix

[…] La France fait le choix de l'exigence, convaincue qu'il y a, malgré le fracas des armes, une urgence qui s'impose et une chance à saisir. Elle veut se situer, comme elle l'a toujours fait, du côté de la liberté et de la justice, de la démocratie et du respect de la morale internationale. Car il y a urgence à bâtir un chemin, à répondre au désespoir et à l'inquiétude. C'est toute une région qui veut la vie. Ce sont des peuples qui veulent la vie. Ensemble, mobilisons-nous pour construire un monde qui soit à la hauteur de nos aspirations communes : un monde fondé sur la paix et le respect de l'autre…"

     Ainsi, jadis, contrairement à aujourd'hui, la voix de la France, lucide et déterminée, portée par un autre langage, une autre culture, une autre vision, témoignait à travers le monde d'une capacité à penser juste et à agir fort.

     La page est tournée, la "France" déclassée, la "France" décrédibilisée aux yeux de nombreux peuples opprimés. Le "pays des droits de l'homme" n'a plus grand chose à déclarer.

     Fort heureusement, d'autres voix puissantes s'élèvent des profondeurs populaires, solidaires du droit, de la justice et de l'égalité, porteuses d'humanité et d'espoir. On voudrait les étouffer, en vain.

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*Le ministre des Affaires étrangères, Justin de Selves, était si incompétent qu’il fut surnommé "le ministre étranger aux Affaires". Lors d’un débat à l’Assemblée, Jean Jaurès lui lancera : "Monsieur, vous êtes d'une ignorance encyclopédique !" L'histoire, parfois, peut se répéter…

**Patrick Boucheron. Ce que peut l'histoire. Leçon inaugurale au Collège de France. 2016.

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