Face aux ruines fumantes d'Ukraine, aux routes piétinées, au spectacle de la mort toujours recommencée, l'émotion est légitime, la condamnation obligée. Il est intolérable qu'un état, quel qu'il soit, en violation de toutes les règles du droit international, en agresse militairement un autre.
Si la situation est grave, sa lecture reste bien souvent superficielle et bâclée, sinon malhonnête. Dans ce débraillé paresseux, où chacun, agrippé à ses grilles théologiques, a vite fait de reconnaître les gentils et les méchants, la distance est impossible, la prudence interdite, la complexité censurée. Et honte à qui s'efforce de comprendre le drame qui se noue, aussitôt taxé de complice de l'ennemi, malheur à qui souhaite considérer, aussi objectivement qu'il se peut, les arguments des deux camps en présence avant de se forger une opinion, immédiatement disqualifié, pire, condamné comme traître.
Et pourtant, analyser lucidement la situation qui a conduit à la guerre ne signifie pas, comme on le lit dans les feuilles catéchisées, ou l'entend dans la touffeur martiale des plateaux, mécaniquement "trouver des excuses à Poutine". Qui peut nier aujourd'hui que le Traité de Versailles portait en germe ce qu'il advint par la suite. Le comprendre n'est pas, là encore, trouver des excuses à Hitler.
La condamnation de l'invasion de l'Ukraine, la solidarité avec son peuple blessé, ne dispense pas de réfléchir, du haut du cœur mais avec sa tête, ne serait-ce que pour tenter de tracer une voie des possibles vers la paix et éviter de nouvelles catastrophes à venir.
La connaissance de l'histoire, qui ouvre "dans le passé des ressources d'intelligibilité pour le présent" (P. Boucheron) n'y sera pas de trop. Oser savoir pour agir juste.