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Billet de blog 27 juin 2024

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A priori

Jordan Bardella propose d'interdire aux binationaux l'accès aux postes les plus stratégiques.

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"Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits." Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789. Article 1er.

     Planté raide au plus haut de ses certitudes, fermement callé sur une inculture encyclopédique, Jordan Bardella a annoncé, lors de la présentation de son programme à la presse, le 24 juin dernier, vouloir interdire aux citoyens binationaux l'accès aux "postes les plus stratégiques de l'Etat". Têtu et obtus, il a confirmé une intention, déjà énoncée sous forme d'une proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale en janvier dernier par le Rassemblement national où l'interdiction en question visait, en effet, les "…personnes qui possèdent la nationalité d'un autre Etat".

     Elle concernerait donc les quelques 3,3 millions de Français qui détiennent une double nationalité et pourrait toucher des domaines comme la diplomatie, la défense, le budget ou encore le nucléaire, liste probablement non exhaustive…

     Bien entendu, tout melliflu, il s'est cru obligé de préciser : "Nous n'entendons pas remettre en cause la double nationalité", encore heureux, vous imaginez le franco-israélien Meyer Habib privé d'une bonne grosse moitié de sa personne, amputé de ses attaches binaires, peuchère. D'ailleurs, icelui avait déclaré, sans rire, il y a quelques années, "À partir du moment où on est d’une loyauté totale envers le pays où on est élu, je ne vois pas le problème de porter aussi un autre pays dans son cœur".

     Cette ragougnasse électoraliste, destinée à séduire tout xénophobe conséquent, servie avec l'aplomb bonimenteur et mystificateur d'un vendeur de quincaille, à gaver les canards pour mieux en tortorer le foie, à faire avaler aux bonnes gens une mesure, sorte de Berufsverbot qu'avait connue jadis les Allemands (de l'Ouest) pour d'autres raisons, sensée protéger l'Etat des espions malveillants, des fuiteurs de secrets, des traitres à la patrie, chose qu'il estime, par conséquent, totalement  impossible, inconcevable, quand on est un Français entier et de souche si possible, n'est que l'échantillon d'un fond de commerce politique dont l'autoritarisme, le racisme, le national-populisme, en un mot l'obscurantisme, sont les fondamentaux historiques.

     Effet garanti auprès des gobe-mouches bardellisés, mais désapprobation outrée et salutaire chez les exégètes sérieux qui fondent leur jugement sur l'éthique et le droit. Même Gérald Darmanin s'est fendu d'un robuste et imagé "Je n'aime pas cette façon de trier les Français", c'est dire.

     Cette proposition putride, au cœur d'un projet nauséabond, fondée sur un présupposé idéologique, une xénophobie assumée, une vision qui morcelle contre une vision qui unit, pose le principe général et absolu que le morceau pas français d'un postulant à un emploi "stratégique" est, par essence, déloyal, malintentionné et ferait qu'un binational ne pouvant accéder à un emploi public serait moins français que les autres. Ainsi, cet extrême-droit dans ses bottes pense que c'est parce qu'on est moitié Algérien, Cubain, Iranien, Russe, Syrien...cibles privilégées de l'affaire, que, par principe, on est fatalement hostile à l'autre patrie de soi-même et, donc, qu'un binational n'est pas national.

     Est-il seulement capable de concevoir que, peut-être, certains binationaux le sont devenus parce qu'ils ont pris position contre des régimes autoritaires qu'ils ont fuis et ont rejoint le pays à l'origine des Droits de l'Homme et du Citoyen où "Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents" (Article 6 de la Déclaration), mieux, qu'ils pourraient, en outre, être utiles par un apport de connaissances et de compétences précieuses pour lutter contre les éventuelles ou réelles intentions hostiles de ces pays. (Un ex espion, Olivier Mas, souligne, par exemple, l'importance des binationaux d'origine maghrébine dans la lutte contre le terrorisme islamiste !).

     Il ignore, ou feint d'ignorer qu'un français binational, voire plurinational, n'est pas moins français qu'un autre, qu'il a tous les droits et obligations attachés à la nationalité française et que toute discrimination à l'embauche est interdite par le code du travail.

     Et, si tout candidat à un poste "sensible", doit faire l'objet d'évaluations administratives, d'enquêtes de conflit d'intérêt, au cas par cas, la généralisation d'une interdiction, à priori, serait anticonstitutionnelle car rompant avec le principe d'égalité reconnu par la Constitution française qui, par son préambule, renvoie, notamment et clairement à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

     Enfin, ce jeune homme, dont, d'ailleurs, les trois quart des origines familiales sont italiennes, avant de prétendre aux plus hautes destinées, serait bien inspiré de parfaire ses réflexions et nourrir ses connaissance en lisant, par exemple, Montesquieu qui écrivait "Je suis nécessairement homme et je ne suis français que par hasard".

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P.S. Le député Roger Chudeau, Rassemblement national, a estimé, jeudi 27 juin sur BFMTV, qu'un Français binational ne devrait également pas être nommé ministre.

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