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Billet de blog 27 août 2025

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On pousse les murs

"Je vais prendre quatre-vingts secondes pour vous dire à quel point toute l’équipe de la Matinale est heureuse de vous retrouver. Pendant l’été, la Matinale est d’ailleurs devenue « la Grande Matinale », nous avons poussé les murs et serons ensemble de 7h à 11h…" Nicolas Demorand, France Inter, 26 août 2025.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

        "Ah, parmi nos petites gloires lumineuses, que de bouts de chandelles !" Jules Renard.

     Emoustillé par l’annonce, à grandes trompettes, de la nouvelle grille matutinale de France-Inter, (après le 5 à 7, lui, toujours bien calé à l’aube), on pouvait s'attendre à un rafraîchissement informatif et éditorial soufflant sur la première radio de France, suite, notamment, au mercato estival. Après le fâcheux couac du départ pour cause de grève due à l’opposition syndicale aux réformes souhaitées par la directrice de Radio France et ses projets de réorganisation, tout démarre vraiment le lendemain, 26 août. Avec de nouvelles têtes, on allait pouvoir déguster et écouter une différence, amplifiée par rapport à la soupe pâteuse et indigeste servie par la concurrence mainstream !

     Pour se faire, une contribution majuscule, une recrue "vedette", un fringant journaliste politique trentenaire, Benjamin Duhamel, fils de Patrice Duhamel et de Nathalie Saint-Cricq, neveu d’Alain Duhamel, époux d’Agathe Lambret aussi journaliste politique multicarte passée par BFM TV, France Info…allait secouer la bonnette. Eh, vous avez dit "entre-soi", pire, vous pensez "oligarchie" médiatique ? Mauvais esprits !

     Notre mirliflore rejoint donc la "voix" principale de la séquence, Nicolas Demorand, après le grand remplacement de Léa Salamé, tendre épouse de Raphaël Glucksmann, candidat putatif à la prochaine échéance présidentielle, transférée au 20 h de France 2. Avec de tels maillons les chaînes seront bien aboutées, l’information bien calibrée, le pluralisme bien aborné.  

     Ce programme, qualifié de phare (sic) de la station publique, après s‘être allongé d’une heure il y a quelques mois (7/9 puis 7/10) se dressera désormais de 7 à 11h, de quoi prendre le temps de bien beurrer les tartines de l'audience et surtout de tracer le cap en pointant les dangers de la navigation hors de l'ordre établi et de prévenir les naufrages en balisant les trajectoires politiques.

     Et tout est grand chez Demorand : il y avait déjà le "grand" entretien à 8h20, voici donc la "grande" matinale qui logera à 7h13, un "grand" reportage puis un "grand" portrait à 9h24 ! Ces boursouflures sémantiques, cette folie des grandeurs verbales frisent le ridicule, mais le chameau ne voit pas sa bosse (proverbe arabe).

     Cela dit, pas vraiment de chamboulement, on reste fondamentalement dans la continuation. Au cours des entretiens notamment, petits (7h50) ou grands (8h20), selon que vous serez puissant ou misérable, bien dans l'axe ou mal-pensant, ministre ou mélenchoniste, vous serez accueilli sur canapé ou attachés au chevalet. En un jour, on aura compris.

     Observez donc la prestation zélée du petit Duhamel, qui en l'occurrence a volé la vedette inquisitoire au pourtant expérimenté Demorand, encoigné, presqu'effacé, comptez ses interruptions, bras déployés, moulinets et gesticulations à l'appui, appréciez l'art du camouflage par ses questions genre "Le 8 septembre François Bayrou tombe, est-ce que le lendemain il faut s'attendre à ce que les taux d'intérêt augmentent et que la France se trouve potentiellement dans une tempête financière" ? qui véhicule en douce le discours gouvernemental consistant à faire peur, face à Eric Lombard le 26 août, invité à 7h50, notez ses relances directes et provocantes ainsi "Vous ça vous intéresse pas la dette, le déficit ?" voire vulgaires comme "l'instabilité politique que vous appelez de vos vœux", au point que son interlocuteur, Jean-Luc Mélenchon lors du susdit "grand" entretien à 8h20, en est venu à se demander, gentiment, sans se fâcher, s'il était le "porte-parole de Macron" ! A vous de juger…

     Bon, il nous reste le dur, une valeur sure : affirmatif et répétitif, l'édito éco à 7h20 prêché par l'évangéliste orthodoxe Dominique Seux, Directeur délégué de la rédaction des Echos, possession du milliardaire Bernard Arnaud qui, soit dit en passant, vient de s'offrir selon Nice Matin "un joyau de l'hôtellerie de la Côte d’Azur pour 200 millions d'euros" et…, ben oui, éditorialiste à France Inter, pas recruté vraiment pour chanter pouilles à son protecteur et à ses potes fortunés. Le profil idéal, quoi, inusable, une voix fidèle du Medef, un chantre du CAC, dogmatisé structurel et macronisé conjoncturel, qui sans vergogne et sans contradicteur nous sert, chaque jour, son tapioca ultralibéral.

     Hier c'était la dénonciation de la paralysie, ou de l'anesthésie, au choix, de la France en matière économique, un pays endormi sur ses propres défis, du robinet à dépenses (sic) qui coule à flots, figurez-vous, du culte de la gratuité (re sic) et, comme de bien entendu et rabâché, de la faible quantité de travail de ces fainéants de Français, enfin, de l'irresponsabilité des faiseurs de blocages annoncés. Aujourd'hui, l'officiant analyse les causes de la dette, pulvérise les hérétiques, le verdict tombe, sans appel : "…dire que les cadeaux aux milliardaires sont la cause du pétrin dans lequel nous sommes…est un canard (un bobard) qui court partout mais un canard !" Caramba, quelle saillie, quel humour, on en redemande !

     Bref, à France Inter, c'est le changement dans la continuité, on pousse les murs mais on garde les meubles.

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