Le Président de la République projette de réformer le droit du travail, d’en assouplir et simplifier le code éponyme, jugé beaucoup trop gidouillard, ténébreux et rétrograde, au nom de la "compétitivité" et de la lutte contre le chômage. Le patronat, sur son "petit nuage" applaudit des deux mains et sautille d'impatience, car "le débat a assez duré" (Thibault Lanxade). Cette "réforme" est urgente, salvatrice, moderne dit-on, sans elle le pays se délite et se meurt. Il faut ainsi "libérer le travail" comme le rabâche Christophe Castaner l'ineffable jacquot des alpages présidentiel.
Il n'y a rien de bien nouveau. Question de style seulement, car sous le velours du mocassin sonne le talon de fer. Ainsi, du Comité des Forges au Medef en passant par le CNPF, depuis un siècle, le patronat n’a eu de cesse de dénoncer ce "carcan" législatif, "ce pelé, ce galeux d'où nous vient tout le mal", cet empêcheur d'exploiter en rond. Déjà, en 1909, le sénateur et accessoirement filateur de coton, Eugène Touron lançait à René Viviani ministre du Travail (1), "Vos lois sociales coulent une industrie déjà fragile". Peste!
Mais à force de critiquer l'obésité supposée de la législation sociale (dont une grande partie d'ailleurs est faite de jurisprudence et de dérogations plutôt favorables au patronat), et de tenter de la dégraisser à coup de saignées et de clystères purgatifs et roboratifs, on en oublierait presque la véritable raison d’être d'icelle. Depuis son origine bientôt centenaire, le Code du travail sert, essentiellement à améliorer, à réguler les conditions de travail, à rééquilibrer l'inégale relation salariés/employeurs, le rapport de subordination constitutif du salariat, entre ceux et celles qui n’ont que leur force de travail à vendre et ceux qui les emploient, détenteurs des moyens de production et d'échange, à protéger la santé et la sécurité des salariés.
Et la vie de millions d' hommes et de femmes en dépend directement et quotidiennement !
Le Code du travail n'a donc pas pour fonction de résoudre le chômage, de réparer les crises économiques ou de stimuler la croissance.
D'ailleurs, qui peut croire sérieusement qu'en le rendant plus "flexible" et plus "souple", en inversant la hiérarchie des normes, en institutionnalisant le dumping social, en facilitant les licenciements, en augmentant la durée du travail, en plafonnant les indemnités prud'homales, on va réduire le chômage ?
Ce sont les carnets de commandes bien remplis qui créent l'activité et l’emploi, pas le Code du travail.
Ne nous y trompons pas. Nous assistons à une tentative de rupture historique avec une tendance séculaire qui visait l'amélioration de la condition ouvrière et salariale, jalonnée des luttes de nos anciens qui se sont battus pour que nous vivions des jours plus heureux (2).C'est un véritable changement de modèle social que la bourgeoisie macronisée veut nous imposer.
"Libérer le travail" comme le proclame Emmanuel Macron, (outre l'indigence ou l'absurdité de la formule) c'est libérer, pour de vrai, le "marché" du travail, libérer le chemin radieux de la finance et du profit, libérer nos bons maitres des obstacles, chicanes, et autres cactus que constituent pour eux les acquis sociaux des travailleurs et autres cotisations sociales baptisées "charges" ("insupportables" bien sûr) car "les dividendes, c’est merveilleux, c’est magnifique". (Pierre Gattaz, 4 mars 2015).
Les conséquences prévisibles: plus de précarité, plus d'insécurité, plus d'asservissement pour des millions de salariés, la peur du lendemain à l'ordre de chaque jour, la marchandisation accélérée de l'humain au service des intérêts économiques et financiers d'une poignée de prédateurs de droit divin qui voudraient nous plonger jusqu'au cou dans "les eaux glacées du calcul égoïste".
Ne leur pardonnez pas car ils savent ce qu'ils font, eux, parfaitement conscients de leurs intérêts de classe. On en mesure les résultats: la Francecompte entre 5 et 8,8 millions de pauvres selon la définition adoptée. Entre 2004 et 2014, le nombre de personnes concernées a augmenté d’un million, principalement sous l’effet de la progression du chômage. Et "en même temps" , comme dirait Qui vous savez, la France a connu une hausse des dividendes de 51, 3 % en un an.
Mais les autres, les zélateurs macroniens de fraîche date, les nouveaux convertis start-upisés, comment peuvent-ils succomber à cette escobarderie relookée, et nous la brocanter avec tant d'enthousiasme juvénile! "On doit réorganiser la société et Macron a une vision novatrice. Il représente la révolution collaborative" dixit Jean Viard, ci-devant "socialiste" et candidat En Marche sur les terres vauclusiennes (3). Voilà, la "révolution collaborative", pardi, c'est fun, c'est sexy! Opportunistes conséquents, sont-ils des complices intéressés par l'appel de l'air du temps, impatients à occuper le vide de la grande dépression politique contemporaine ? Des gogos fascinés par le diamant synthétique de la "vision, novatrice" ? Chacun se fera son opinion.
C'est pourquoi "donner une majorité au Président" et à son gouvernement dextrogyre aux élections législatives de juin serait une imprudence aux conséquences catastrophiques pour une majorité de salariés. (et aussi de fonctionnaires, de retraités).
Une autre voie est possible! En votant pour celles et ceux qui s'y opposeront fermement à l'Assemblée nationale, qui refuseront les ordonnances qu'on nous annonce pour l'été, qui proposeront un avenir meilleur au monde du travail avec des salariés mieux formés, mieux payés, mieux protégés, plus sereins, partant, plus "productifs", comme le montre l'exemple suédois (4), qui accompagneront celles et ceux qui, par leurs luttes, refuseront la soumission à la loi du plus fort, qui résisteront et s'engageront résolument sur la voie de l'émancipation et du bien-être social.
Et qu'enfin chacune et chacun puisse dire demain, comme Léon Blum le 31 décembre 1936 "Il est revenu un espoir, un goût du travail, un goût de la vie".
Voilà une idée neuve.
(1) Initiateur de la loi du 28 décembre 1910 qui avait pour but de rassembler les "lois ouvrières" votées depuis la seconde moitié du XIXe siècle dans un Code dont l'élaboration va durer 17 ans.
(2) Pour les tenants obstinés du "récit" national, il serait bien pour le coup d'en rappeler les épisodes aux jeunes générations, non ?
(3) Jean Viard, sociologue et ténor médiatique. En 2007, il appelle à voter pour Ségolène Royal à l'élection présidentielle. En 2008 il est sur la liste de Jean-Noël Guérini aux élections municipales de Marseille. "C'est un geste politique, en tant qu'intellectuel connu, pour dire que je ne suis pas d'accord avec la culture de Sarkozy, celle de la valeur hégémonique de l'argent et du show-biz" dit-il. En 2014, il est le porte-parole de Patrick Mennucci candidat à la mairie de Marseille. Il fait partie du comité scientifique d'Europa City, un projet géant de méga centre commercial à Gonesse, porté par le groupe Auchan, très contesté par les écologistes. «On va fabriquer un laboratoire à partir duquel on retiendra et extraira des formes, des codes, des valeurs qui vont ensuite servir pour le commerce du XXIe siècle. Comme lieu de laboratoire, c'est passionnant." Déclare-t-il, au sujet du projet. Encore une question de code.
(4) En 2015, la Suède passe à la journée de travail de six heures. Objectif de cette mesure : accroître la productivité et octroyer plus de temps libre aux salariés dans le but de les rendre plus heureux. Le passage aux 30 heures hebdomadaires a également eu un impact positif sur l'emploi et on observe "une amélioration des services" et du "bien-être" des salariés.