Voter pour le Rassemblement National ? Nous pensons sincèrement que ce serait déraison, et nous tenons à vous le dire, sans hostilité, sans agressivité. Nous savons faire la distinction entre les dirigeants ordonnateurs de ce mouvement, les militants déterminés, les adeptes convaincus et vous, les électrices et électeurs issus, notamment, des classes populaires avec qui beaucoup d'entre nous partagent le même désarroi, vivent les mêmes épreuves. Nous estimons que la stigmatisation de vos intentions est vaine et nous avons l'audace, parfois mal comprise, de vous tendre la main, parce que vous êtes fils et filles d'un même peuple, d'une même humanité, que l'adversaire, ce n'est pas vous, mais celles et ceux qui vous abusent en vous berçant d'illusions.
Ce que nous jugeons déraison n'est jamais sans raison. En effet, vous avez été ignorés, négligés, méprisés depuis des lustres, vos colères, mêlées à celles et ceux qui s'orientent vers un autre choix politique que le vôtre, n'ont abouti à rien, gilets jaunes tabassés, soignants épuisés, enseignants déclassés, manifestants contre la réforme des retraites matraqués, salariés mal payés, agriculteurs à bout de souffle, TPE pressurisées, retraités maltraités, orphelins des services publics…vous n'avez pas été entendus, vos représentants ont été ignorés et bafoués.
Sorte de consolation, le vote RN serait donc l'expression de votre détresse réelle et la façon, à nos yeux illusoire, de la contester, d'avoir voix au chapitre et, partant, enfin, d'obtenir satisfaction et réparation.
Alors, vous lancez, pauvre justification, "On ne les a pas essayés !", sous-entendu, les "autres", oui, de Sarkozy à Macron en passant par Hollande, qui sont à l'origine de vos épreuves, sans doute. Pas faux. Dites, vous pouvez certes essayer une automobile, avant achat, vous serez la seule victime d'une mauvaise décision, éventuellement vos proches, mais vraiment pas ce qui peut bousculer un destin national, un modèle social, une institution démocratique, choix beaucoup plus radical et bougrement risqué.
Regardez en arrière. Le pire qu'ait connu notre histoire, de 1940 à 1944, fut bien ce temps noir où l'extrême-droite pétainiste, collaborationniste, raciste, dirigeait un pays sous la botte, on connaît les conséquences criminelles de son œuvre et, si ce n'est pas votre cas, informez-vous donc. Ainsi, ce serait cet héritage que vous souhaiteriez recueillir en élisant ses héritiers, en les mettant à l'essai ?
Regardez de côté. Pas très loin. Dans les villes que dirige le ci-devant Front National depuis une dizaine d'années, l'essai est lamentablement concluant : autoritarisme, opposition bâillonnée, obsession sécuritaire, xénophobie, casse des services publics, et du secteur social, associations malmenées ! Plus loin, les pays voisins, la Hongrie, l'Italie, pas très ragoutant non plus ! Un peu plus loin, les gouvernements de Trump aux Etats-Unis, de Bolsonaro au Brésil, franchement répugnant !
Regardez leurs actes. C'est à deux pas. Prenez connaissance des votes de ces prétendus amis des travailleurs à l'Assemblée Nationale. Ils ont voté systématiquement comme les partis les plus libéraux, et pas dans l'intérêt des salariés : contre l'augmentation du SMIC, contre l'indexation des salaires sur l'inflation, contre le gel des loyers, contre la fin des déserts médicaux, contre le rétablissement de l'ISF, pour le durcissement des droits à l'assurance chômage, j'en passe…Et vous en redemanderiez ?
Regardez leur programme. A la loupe. Suppression du droit du sol, en rupture totale avec notre histoire séculaire, préférence nationale, mesures anticonstitutionnelles donc inapplicables, restrictions de droits sociaux aux minorités sexuelles, discrimination à l'emploi à l'égard des binationaux, projet ségrégationniste, infâme, programme éducatif rétrograde, séparatiste et quasi militarisé, fin du collège unique intégrateur, privatisation de l'audiovisuel public, nouvelles exonérations de cotisations sociales, assèchement des recettes de l'Etat. Qu'allez-vous donc gagner avec tout ce ramas ? Ainsi, une victoire du RN, non seulement ne répondrait pas à vos attentes légitimes, pire elle vous plongerait, par ces décisions délétères, dans une plus grande désolation.
Alors, ouvrez les yeux, s'il vous plaît, déjouez l'imposture, demandez-vous quels intérêts réels servent ces soi-disant défenseurs des classes populaires, ne vous trompez pas d'ennemi. Détournez votre colère de votre voisin de couleur, du chômeur licencié, de l'immigré rejeté mais qui trime, de l'allocataire qui survit, intéressez-vous plutôt au grand patron, exploiteur invisible mais responsable, à l'émigré fiscal volontaire !
Oui, reconnaissons que la gauche dite "de gouvernement" a failli ces derniers temps et on comprend clairement que vous vous soyez détournés de cet espace politique qui, objectivement, devrait être le vôtre. Car, si vous bénéficiez aujourd'hui d'avancées démocratiques conséquentes, d'un modèle social protecteur, c'est essentiellement à la gauche que vous le devez, en 1936, 1945, 1968, 1981, 1997 et ce sont précisément ces acquis qui sont gravement menacés aujourd'hui.
Mais, depuis le 10 juin 2024, ses composantes, qui s'étaient auparavant étripées, ont su sainement réagir, étouffer les egos, remiser les querelles de boutique, et, au nom de l'intérêt public, passer outre ce qui divise, se rassembler sur ce qui unit et retrouver le sens de leurs responsabilités historiques. Face au danger réel et imminent d'une possible accession de l'extrême droite au pouvoir, il faut saluer, sans faire le délicat, l'alternative crédible offerte par ce Nouveau Front Populaire.
Son programme propose un ensemble de mesures que vous auriez, sans doute, la sagesse d'examiner sans présupposés, sans préjugés…et, qui pourraient, peut d'être, vous conduire à changer d'avis, dans votre propre intérêt.
Sinon, en confirmant votre intention de voter Rassemblement National dimanche prochain, de vous embarquer avec un tel équipage, vous courrez le risque d'atteindre rapidement le point Nemo, pire, vous prendriez une lourde responsabilité, non seulement cause de votre propre naufrage, mais également celui d'autres victimes que vous auriez entraînées dans l'abîme. Et vous n'aurez pas, après coup, l'excuse de vous lamenter en disant "on ne savait pas !"
Et ceux qui refuseront pour le second tour le désistement républicain seront complices.