"Celui qui vit vraiment ne peut qu’être citoyen, et prendre parti." Antonio Gramsci.
L'enjeu est d'importance. Echelon de proximité, cheville ouvrière de la démocratie, la commune contribue à l'équilibre de notre organisation politique. "Sans institutions communales, une nation n'a pas l'esprit de la liberté", pas moins, écrivait Tocqueville avec justesse.
Les élections municipales de mars 2026 devraient donc offrir aux citoyennes et aux citoyens, à l'issue de vigoureux débats, la possibilité de choisir, de manière éclairée et libre, celles et ceux qui seront amenés à présider aux destinées de leur cité. Au-delà des facteurs personnels, qui comptent lors d'une élection locale, c'est, tout de même, la pluralité et la richesse affichées d'offres politiques diverses qui, en permettant à l'électeur de se prononcer lucidement, fonde et justifie la fécondité de l'exercice démocratique.
Alors, à moins d'un an des prochaines échéances, on se place, on se décarcasse, on occupe l'espace, c'est flagrant, c'est le moment…Et nombre d'impétrants, mais pas tous, se réclament souvent d'une honorable posture "apolitique". Bon, on brigue un mandat municipal, on se présente pour proposer à des électrices et des électeurs d'adhérer à un projet, de partager une manière de gérer la ville, bref de prendre en charge les destinées de la collectivité, et ce ne serait pas politique ? Politique signifie étymologiquement : ce qui concerne la cité (la "polis') et ses citoyens, non ? Par essence, c'est donc faire de la politique que de vouloir administrer les affaires communales. Mais que nenni, pour certains, c'est "apolitique". Passons.
Et puis, l'apolitisme réel, ça n'existe pas, c'est une idéologie qui ne dit pas son nom, ou qui se présente comme non idéologique alors qu’elle l’est implicitement, c'est en quelque sorte une crypto-idéologie qui véhicule, sans doute, des opinions, ou des croyances, mais non assumées publiquement, dissimulées sous un discours de bon sens, de bien-pensance ou de neutralité, plutôt du genre à conforter l'ordre établi.
Car, plus petit dénominateur d'une pensée mollassonne, il édulcore, de fait, les conflits et les intérêts divergents au regard des enjeux environnementaux, des urgences sociales, des impératifs démocratiques, il camoufle les oppositions politiques légitimes et démobilise les citoyens par une capacité à se faire passer pour naturel ou évident. Pas d'autre alternative, quoi ! Ou encore, stratégie de façade, il évite de se compromettre ou de se positionner sur des sujets sensibles pour ne pas froisser une partie de son électorat potentiel. Ce refus d’être politique est en soi…un acte politique.
Comme de bien entendu, haro sur les partis qui "clivent les gens", dit-on, qui courent après les places, un présupposé tendance. D'abord, si décriés qu'ils soient, et bien souvent à juste titre, les partis existent, c'est une réalité et une conquête historiques et selon l'article 4 de la constitution de 1958, "ils concourent à l'expression du suffrage". Ils participent à l’animation de la vie politique, permettent aux citoyennes et citoyens de se retrouver, de s’exprimer, de se projeter, "Enfants du suffrage universel et de la démocratie" selon Max Weber qui établit le lien fonctionnel entre les notions de parti politique et de démocratie : l’une ne peut pas exister sans l’autre.
S'il est vrai que "Gouverner c'est choisir", celles et ceux qui se réclament de l'apolitisme prétendent au nom d'une espèce de pureté, voire de virginité, mettre leurs choix à l'abri de tout risque de salissure dogmatique, de servitude idéologique, tout en trimbalant, sans l'avouer, un bastringue de convictions et présupposés, une vision du monde pépère et ratatinée qui les guide en sous-main et qui nie la complexité. Et, bien sûr, généreux et désintéressés, ils ne courent pas après les places, eux.
Dans une République laïque, la noblesse du débat politique c'est, justement, de proposer des alternatives claires, des engagements précis, des cheminements singuliers. La démocratie, c'est la vie, l'art de dépasser les conflits issus de la diversité sociale et des intérêts contradictoires avec le souci du bien public, c'est la liberté de conscience et son expression multiple et pacifique, c'est l'ouverture aux possibles, c'est la prise de parti, permettant aux électrices et aux électeurs d'effectuer de véritables choix entre des options politiques significativement différentes, voire opposées, en toute clarté.
L'apolitisme, voilà l'ennemi !