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Billet de blog 30 octobre 2021

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Radio du matin, chagrin

France Inter, première radio de France, peut mieux faire...en matière de pluralisme.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

                                                 "À vouloir blanchir la tête d'un âne, on y perd sa lessive."  

    France Inter, jeudi 28 octobre 2021…une aube flasque et sans surprise.

    Selon une règle monacale bien établie et éprouvée depuis des lustres, les voix des gazetiers buglent dans la chapelle.

    Illustrations.

    Dès potron-minet, Anthony Bellanger, le globe-trotteur géopoliticien en pantoufles, à 6h45, graillonne ses aigreurs badines à propos, ce jour, de l'Algérie. Ainsi, dans "Un tour du monde dépaysant et souvent surprenant", comme il l'annonce, en deux minutes, parfois trois, les cibles sont choisies, les coupables désignés : du Venezuela à la Corée du Nord avec escale à Cuba, détour en Russie via la Turquie, parfois crochet par la Chine, rictus et bouche décousue, il canarde, il nasarde, il chronique à tout va.

    Mais, aux confins de son univers rétréci et pandémoniaque, de grandes absences, sans doute parce que rien ne mérite qu'on s'y attarde, jamais, même en 120 secondes, pas assez "dépaysant", pas assez "surprenant"…la Palestine, par exemple, la colonisation, l'occupation, le sang des êtres et des arbres déracinés, ou encore le merdier libyen, le pataugis sahélien, le drame yéménite, la débâcle de Kaboul et le sort des femmes afghanes…pouah, c'est trop cafard, bien trop poissard, même pas digne d'un regard.  

     "En toute subjectivité" (sic), à 7h20, voici l'inénarrable Etienne Gernelle. Le monte en chaire balance l'épître du jour : le poids électoral des frexiteurs, question vive s'il en est et qui taraude, on s'en doute, les masses populaires besogneuses et précarisées. "Un Frexit serait évidemment une catastrophe économique, une sortie du jeu mondial, et, disons-le, de l’Histoire."  Bouffre ! Ce gros "cauchemar", comme il dit, était porté, en 2017, horresco referens, par 48,41 % des voix (c'est précis) en faveur de ceux qui l'envisageaient…Tout autant aujourd'hui, mais alors, c'est là le hic et nunc, on se cache, on camoufle un frexit qui ne dit pas son nom, voyez-vous, c'est bien pire, à gauche évidemment (puisque Le Pen a basculé et Zemmour est prudent, selon lui). "Acrobatie langagière" sous couvert d'attachement à l'Europe, "irresponsabilité", "démagogie", "hypocrisie" (dont le niveau monte), le prône est élevé, le lexique viril, Cioran savamment convoqué qui disait "La lâcheté rend subtil." Mais le même écrivait aussi, cher chroniqueur, "Il est aisé d'être "profond" : on n'a qu'à se laisser submerger par ses propres tares."  

    Bon, "en toute subjectivité", c'était annoncé, c'était plié. Mais, tout de même, une radio publique s'honorerait d'ouvrir l'antenne à une parole plus nuancée, plus honnête, plus complexe, moins grossièrement partisane, de favoriser le débat, d'organiser la contradiction…En toute objectivité. On en est loin.

    Puis, il est 7h43, "édito politique" de Thomas Legrand qui nous berce et nous apaise. On ne comprend pas tout mais tout est bien troussé. Trois minutes plus tard, "édito éco" de Dominique Seux, précis, bien astiqué, qui nous rassure : le monde capitaliste néolibéralisé, le meilleur des mondes possible, ne tourne pas toujours rond, certes, mais il tourne…Elisabeth Borne à 7h50 et Robert Meynard à 8h21, chacun à sa manière, enfourcheront le manège et barbouilleront le tableau d'une touche blafarde. 

    Bref, un jeudi comme les autres. Mais aussi, du lundi au vendredi, de laudes à tierce, la liturgie radiophonique résonne au rythme de ce petit clergé péculier qui se partage quasi exclusivement la bonnette matutinale. Rien de transgressif, de subversif, de roboratif dans la vie politique hexagonale et internationale. L'ordre, une vraie vocation, pas question d'ouvrir cette petiote congrégation sans-filiste aux hérétiques, de Libération, de Politis, de l'Humanité par exemple, voire de La Croix, c'est dire ! Cette antenne, pourtant "publique", sait reconnaître et distinguer les siens. Du verbal, du tribal, pas de scandale ! et "Le jour succède au jour, et la peine à la peine." (1)

    Comment voulez-vous espérer d'une station, première radio de France affichée, écoutée, podcastée, dopée à bloc, une quelconque exégèse journalistique ? Une remise en question éditoriale, un redressement pluraliste ?

     Mais, "En te levant le matin, rappelle-toi combien précieux est le privilège de vivre, de respirer, d'être heureux." (2)

     En toute subjectivité.

(1) Lamartine.

(2) Marc-Aurèle.

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