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Billet de blog 19 novembre 2012

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Biologistes, Médecins, Internes : quels enjeux pour 2013 ?

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A peine la gauche revenue au pouvoir que l'on revoit les blouses blanches dans la rue. Hasard ?, nécessité ? ou réflexe pavlovien ? Biologiste, militant de gauche, j’étais aux premières tables rondes avec Jack Ralite en 1981 et dans la rue avec mes consœurs/confrères biologistes , ma blouse blanche, en 1989, lors des premières politiques de maîtrise des dépenses de santé inaugurées par le gouvernement Rocard. Cela me laisse un espace légitime pour commenter ce qui se passe aujourd'hui.

L'histoire ne se répète pas, elle bégaie, et nous voyons encore une fois un mouvement juste et apolitique de biologistes, totalement effacé médiatiquement par une grève d'Internes et de chirurgiens que la presse surveille comme le lait sur le feu.

Qu'en est il ?: La Biologie Médicale subit actuellement une erreur de méthode, ancienne mais malheureusement renouvelée par le gouvernement Ayrault. Elle consiste à gravir un à un tous les échelons d’une politique de baisse des tarifs sans véritable réforme structurelle d’accompagnement de la profession aux nouvelles données. Résultat la profession passe au stade industriel sans régulation ni règles. Or, les acteurs de consolidation d’un secteur à la fois dérégulé et porteur sont, presque toujours, des financiers. Voilà comment on livre un pan entier du soin de premiers recours à la financiarisation en croyant simplement le voir se structurer à un stade industriel.

Une 7e baisse annuelle consécutive de tarifs prévue dans le PLFSS 2013 et une réforme initiée en 2010 mais non encore closée, sont les ingrédients les plus récents de cette dérive qui s'amplifie.

Il semble alors normal que les biologistes, quelle que soit leur sensibilité politique, se sentent quelque peu harcelés et mal aimés. A tout le moins ignorés, car la Ministre ne s’est pas penchée sur le dossier, laissant le management non élu de la CNAMTS continuer sans imagination un travail incomplet entamé par la droite depuis 6 ans. 

Du coup, une alliance historique entre les syndicats libéraux et les groupes de biologie intégrés (dits industriels/financiers) se fait jour . Les premiers acceptent de cohabiter, les seconds font vœu ( !) d'éthique et de respect de l'environnement sanitaire et social particuliers au secteur de la santé. Qui aurait prédit cette alliance à une époque pas si lointaine où certains pisteurs en recherche de cohérence se faisaient injurier dès qu'ils mettaient en pratique leur besoin d’ouverture ? Il est vrai que depuis, de nombreux leaders d’opinion ont suivi le chemin tracé.

Les jeunes biologistes sont en pointe sur ce front, inquiets assez justement que la financiarisation les empêche d'exercer une profession libérale, qui même dans un budget contraint, correspond à leur choix de vie.

Tout se met en place pour un mouvement construit, non pollué par d’obscures arrières pensées politiciennes, doté d’une excellente communication et reposant sur une demande juste, partagée, y compris par les confrères soutiens de la majorité actuelle.

Souvenons-nous : " Mon véritable adversaire, n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu et pourtant il gouverne: cet adversaire, c'est le monde de la finance" François Hollande, Le Bourget, 22 janvier 2012

L’enjeu, à ce stade pour les biologistes est de booster la com pour occuper le terrain la semaine des JIB, avant la grève des Internes et chirurgiens.

Et c’est là que se commet l’erreur qui compromet tout :

La volonté des jeunes biologistes, suivis de près par la microscopique coordination populiste des biologistes en colère, de faire la jonction avec le mouvement des médecins pigeons et les internes de spécialité qui dénoncent pèle mêle :

 • Leurs conditions de travail, ce qui est ancien, justifié, mais  n'a rien à voir avec le reste

 • Le plafonnement des dépassements d'honoraires, pourtant signé par les principaux syndicats

 • Une soi-disant privatisation de la santé avec l'éligibilité des mutuelles à la constitution de        réseaux de soins.

Ce faisant, les jeunes biologistes contribuent à effacer l'apparition des biologistes sur les grands médias nationaux (erreur de forme) et participent d'une assimilation des biologistes à un mouvement dont les bases sont peu claires, voire fausses (erreur de fond).

En effet, les dépassements d'honoraires constituent un sujet très particulier. Ils ont explosé ces dernières années et deviennent réellement un frein à l'accès au soin pour tous, garanti par la Constitution française (Art 25 de la DUDH/Bloc de Constitutionalité) et la charte de l'OMS (déclaration de Alma Ata). Dans le même temps, l'analyse fine montre des écarts non justifiés économiquement d'un quartier à l'autre (cataracte de 150 à 1500 euros d'est en ouest de Paris...) et prouve que la grande majorité des spécialistes ne dépasse pas de plus de 50% du tarif de responsabilité. Et voilà qu'un mouvement structurellement minoritaire de chirurgiens occupe la scène en contestant un accord fixant la limite à 250% et revendiquant ni plus ni moins que "pas de limite"....La question à se poser est de savoir si cette attitude est compatible ou non avec le souci de l'intérêt général pour la pérennité de la solidarité face à la maladie dans un large accès aux soins. Les biologistes, dont il faut rappeler au passage qu'ils restent les seuls spécialistes médicaux à ne pratiquer aucun dépassement, ont-ils à voir avec ces dérapages ? Certainement pas, sauf erreur d'aiguillage ou calcul politicien..

Sur la "privatisation de la santé" , c'est pire, il y a véritablement un manque de culture sociopolitique et un manque de maturité, tant chez les internes en médecine que chez nos jeunes biologistes, sur ce sujet spécifique.

 Le PLFSS 2013 contient un article qui autorise les mutuelles à constituer des réseaux de soins avec une composante de négociation tarifaire. Est-ce suffisant pour crier au scandale avec une "privatisation de la santé" sur l'air de "la droite l'a rêvé, la gauche l'a fait" ? Certainement pas.

En réalité, cela fait bien longtemps que les Mutuelles, les Assurances et les Instituts de Prévoyance (qui à eux 3 constituent "les complémentaires santé") structurent des réseaux de soins dans lesquels les praticiens s'engagent à une modération de dépassement tarifaire. Sauf que le code de la mutualité ne le prévoyant pas, les mutuelles suivaient par obligation concurrentielle sans en avoir le droit (un peu comme les biologistes avec les ristournes……). Un jour un dentiste a attaqué et gagné, y compris en cassation. Dès lors, dans un souci d'équité entre les 3 composantes de la complémentaire santé, il fallait modifier une ligne dans le code de la mutualité pour permettre aux mutuelles de continuer à faire vivre leurs réseaux, ce qui est prévu dans le plfss 2013.

Voilà l'affaire....rien de plus.

Maintenant, le vrai problème est le rôle des complémentaires dans le système : jusqu'où et pourquoi faire ?

Il est devenu inévitable d'associer étroitement les complémentaires à la régulation du système de soins, et, singulièrement, à la maîtrise des dépenses de soins de ville. Pourquoi ?

Trois raisons essentielles :

1- Les ALD et l'hospitalisation constituent une part envahissante des ressources de l'assurance maladie obligatoire (AMO), et y portent la plus grande dynamique de croissance de sorte que, pour une couverture globale de 75%, on est arrivé à une situation où l'AMO ne prend plus mécaniquement en charge que la moitié des soins de premier recours, c'est à dire tous les soins hors hôpital et ALD. L'autre moitié est composée du reste à charge et de la part complémentaire (AMC) pour 92% des français qui ont une mutuelle, une assurance santé ou un contrat d'entreprise.

2- Une réelle politique démocratique d'accès aux soins doit tendre vers un reste à charge minimal et une couverture de toute la population avec une AMC efficiente qui prend en charge les tarifs négociés, dépassements compris. A terme, les complémentaires devront gérer la moitié des dépenses de santé hors hospitalisation et ALD. Il n'est donc plus possible de les écarter de la gestion, y compris tarifaire, du système.

3- Enfin, un dernier aspect renforce les précédents : le comportement des consommateurs sur le marché de la santé échappe aux règles usuelles : contrairement à la plupart des secteurs où l'augmentation des prix fait chuter la demande, ici elle augmente au même rythme du fait de la sensibilité extrême sur le besoin de santé et l'asymétrie d'information qui font que la croyance de "lâ où c'est cher, c'est bien" est très vivace. Ceci renforce encore le droit des complémentaires à participer à la régulation, notamment des dépassements remboursables.

La seule alternative serait de détricoter le principe de prise en charge par la solidarité nationale des ALD, ce qui aurait pour effet immédiat de faire exploser les cotisations des complémentaires. Par conséquent le statu quo sur les ALD participe de la solidarité, il doit être encadré mais maintenu, en se rendant compte qu'il  épargne des charges aux complémentaires, ce qui vaut bien une négociation sur le fait que celles-ci se rapprochent le plus possible des marqueurs du pacte républicain sur la mutualisation du risque maladie., ce que, pour l'instant, ne font que les authentiques mutuelles.

Cette exigence est politique, les français ont montré par leur vote qu'ils le souhaitent,  elle implique d’associer les complémentaires à ce qui pourrait bien ressembler à un service public de l’assurance maladie complémentaire avec gestion privée associée, comme en médecine depuis 1945.... On est très loin de la privatisation de la santé.

Pour autant, il est temps de se pencher sur le sort des biologistes dont la problématique n’est pas une fin en soi mais un marqueur de la financiarisation rampante des activités de soin à laquelle la solidarité nationale pourrait  ne pas survivre.

Chaque praticien doit comprendre à quel point sa situation deviendrait épouvantable s’il venait à être coincé entre les financiers opérateurs de soin et les financiers financeurs…

Pour les patients, se serait infernal, à l’américaine, ce que le politique ne peut accepter. La manière de gérer cela doit donc impérativement être responsable dans une perspective gagnant-gagnant.

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