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Billet de blog 10 février 2020

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Essai sur le mal (suite)

Quelle est la responsabilité des Etats dans la genèse, la fabrication de la violence, dans l'instauration de la terreur et d'une politique de la peur ? Pourquoi la violence d'Etat serait elle légitime ? Le monopole de la violence par l'Etat et sa volonté de créer le chaos économique et social ne sont-ils pas des moyens totalitaires ?

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Quelle est la responsabilité de l'Etat dans la légitimité du meurtre et de la torture en temps de guerre et en temps de paix ? Quelle est la responsabilité de l'Etat dans la fabrication des meurtriers, des tueurs, des bourreaux ? Quelle est la responsabilité individuelle de l'être humain quand il décide d'obéir, d'exécuter des ordres, de tuer, de torturer ? Qu'est-ce qui le fait basculer ? Quel est le poids des médias, des hommes politiques, des intellectuels, des journalistes, des manipulateurs de tout poil, des religieux, de tout ceux qui ont un ascendant moral, dans la
transformation des esprits, des mentalités, des croyances ? Qu'est-ce qui motive les uns ou/et les autres à tuer leurs voisins, leur conjoint, leur ami, leurs parents, … du jour au lendemain, même s'il y a eu une préparation des esprits auparavant, une propagande, un lavage de cerveaux, comme au Rwanda, en ex-Yougoslavie, dans l'Allemagne nazie,... ? Ce mal, ces violences, cette Violence emploient tellement de monde, sont tellement l'inspirateur de la création littéraire, théâtrale, cinématographique, radiophonique, photographique, télévisuelle, tellement le fond de commerce des médias, d'internet, de la communication en général, tellement l'objet d'études universitaires, d'études scientifiques, d'études
politiques, sociologiques, historiques,etc, que l'on pourrait croire qu'elles sont nécessaires ? Quel est donc ce Mal qui fascine, attire, qui arrange tout le monde (sauf les victimes, bien entendu), et dont tout le monde souhaite qu'il perdure ? Pourquoi cette fascination ?Pourquoi ne reconnaît-on pas, n'admet-on pas cette violence comme inhérente à notre nature humaine, avant de pouvoir mieux la comprendre et la maîtriser ?
Ne sommes-nous pas à la fois bourreaux et victimes, anges et bêtes, prédateurs et proies,... ? Quelle est la place de l'histoire collective (politique, culturelle, ethnique, religieuse, sociale) dans la psychologie individuelle ? Ne serait-il pas pertinent de lier la violence, la pulsion de mort avec l'acceptation de la mort, l'acceptation de notre vie humaine passagère, transitoire, aléatoire, non nécessaire ? Nous pensons à la « banalité du mal », conceptualisée par Hannah Arendt, qui décrit ces hommes ordinaires comme Eichmann, comme Papon, comme Höss, le commandant du camp d'Auschwitz, comme Stangl, le commandant de Treblinka, comme les tueurs du Rwanda, comme les tireurs d'élite et les soldats dans toutes les guerres. Ces exécuteurs zélés d'ordres inhumains étaient des êtres humains quelconques, des fonctionnaires prêts à obéir sans discuter. Au Rwanda, les tueurs partaient « au boulot » le matin, pour aller exterminer leurs semblables de 9h à 12h, puis de 14h à 18h après une pause casse-croûte sur le « chantier », au milieu ou à proximité des cadavres et des charniers (où les êtres humains ne sont plus que des choses, de la matière en décomposition, comme à l'abattoir ou à l'usine d'équarissage) et qui s'en retournaient dans leurs foyers, le soir après « le boulot »,
entourés de la tendresse de leurs proches, ou qui allaient d'abord boire un coup (de l'alcool de préférence) entre collègues de tuerie et éventuellement faire la fête pour se détendre, pour oublier ou se vanter des exploits macabres de lajournée. L'esprit de corps, de groupe est primordial dans ces circonstances. C'est lui qui rassure, qui renforce le bien fondé de l'action, qui donne une identité, une motivation, une raison
de vivre. Le futur tueur du Rwanda avait-il écouté la radio « Mille Collines » (qui incitait au meurtre des Tutsis) avant ? Et pendant combien de temps ? Etait-il obligé de l'écouter ? Y avait-il d'autres stations de radio? Pourquoi n'a t-il pas écouté d'autres infos, d'autres musiques, d'autres paroles ? Pourquoi n'a t-il pas éteint le poste ? A-t-il réfléchi avant ? A-t-il pensé ? A-t-il eu une éducation chrétienne (qui prône l'amour du
prochain) ou humaniste laïque avant? Quel était le discours ambiant avant, dans l'entourage, les médias ? Des centaines de questions se posent à moi et se reposent sans cesse sur ce problème du mal, de la souffrance infligée à l'autre humain sans jamais trouver de réponse, de réponses, sans jamais trouver de réponse globale, avec l'impression de tourner en rond et de faire face à un mystère impénétrable.   
J'ai beaucoup lu pourtant sur cette thématique et je lirai encore. Peut-être ne saurons-nous jamais ce qui motive un être humain au plus profond de lui-même ? Quels débats intérieurs active t-il avant de prendre une décision ? Une autre interrogation se pose à propos de l'absence de
culpabilité, avouée ou non, l'absence de remords (du moins en apparence) de la part des ou d'une partie des assassins et des bourreaux.
Quelle est la part de la chimie et de la biologie de l'être humain ? Quelle est la part de ses gènes, de son psychisme, de son enveloppe corporelle ? Quelle est la part de son éducation, de son histoire familiale, de ses rencontres, de ses expériences, de son environnement social ? Quel est le poids des médias, des idées, des politiques, et plus généralement de tous ceux qui fabriquent les opinions et les mentalités dans sa prise de
décision, dans son comportement ? A t-il encore un peu de libre arbitre, de liberté d'opinion, de liberté de penser, de responsabilité, avant de prendre une décision ? Nous sommes face au silence du bourreau pour reprendre l'expression de François Bizot. Il faut essayer de comprendre
les mécanismes qui font qu'un jour un homme devient un bourreau. Dans cette réflexion, à travers tous ces questionnements et bien d'autres encore, je ne citerai pas toutes les études, enquêtes et témoignages qui ont été réalisées jusqu'ici. Je ne reprendrai pas non plus toutes les démonstrations. Je visiterai le point de vue du biologiste Henri Laborit, qui nous a éclairé sur le fonctionnement du cerveau de l'être humain ; celui de l'universitaire, spécialiste de littérature comparée, René Girard, qui a développé et montré l'importance des notions de « mimétisme » et de « bouc émissaire » dans la compréhension de la violence. Ensuite j'aborderai les notions d'obéissance, de soumission et de passivité de l'être humain, à travers les expériences de Stanley Milgram, de Philip Zimbardo, de Latané et Darley, et à travers l'étude du 101ème bataillon de réserve de la police allemande en 39-45, de Christopher Browning. Je ferai aussi appel aux études de Michel Tereschenko et Jacques Sémelin qui ont abordé les problématiques de la fragilité humaine et du génocide et rapporté les expériences citées plus haut. Pour illustrer la « banalité du mal » je citerai l'exemple de deux bourreaux célèbres : Eichmann et Stangl. Je chercherai aussi à comprendre les mécanismes de la peur dans la construction de la haine et de la violence, à déterminer la responsabilité des Etats dans leur usage, le poids des idéologies aussi, qui conduisent à basculer dans la guerre et dans le meurtre de masse. Je ferai également un détour par la torture qui est une arme de guerre, utilisée aussi en temps de paix contre les opposants politiques, et par l'esclavage qui nous explique, en partie, l' origine des violences, des guerres et de l'esprit de domination des êtres humains entre eux.

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