Ces régimes savent que celui qui a renoncé à sa liberté de dire « non » est déjà soumis,que le piège est prêt à se refermer sur lui et, qu'une fois le
premier comportement d'obéissance obtenu, le sujet est en quelque sorte « ferré ». Celui qui donne son petit doigt est prêt à livrer son bras tout entier. « Sans doute les systèmes totalitaires ont-ils recours à la terreur pour obtenir l'obéissance de leurs citoyens. Le climat de violence et la surveillance policière exercée par les SS et la Gestapo expliquent, on ne saurait le nier, la docilité d'hommes tels que Stangl, Eichmann et bien d'autres. Et ils furent des milliers comme lui à se trouver piégés par les circonstances et leur désir de survie. »
L'imaginaire est et a toujours été un puissant moyen pour réaliser les guerres et les massacres, pour engendrer la haine au nom d'une improbable identité, illusoire, et bien souvent sans fondements réels, au nom de la pureté, au nom de la sécurité.
Le récit mythique parle de l'« âme » du peuple, parle du « nous ». L'imaginaire donne alors du sens à ce que vivent les êtres humains. Dans une situation de crise, de menace sur la vie quotidienne des individus, le sentiment d'angoisse se fait plus pressant, plus diffus, insaisissable. Le récit politique va alors cristalliser ces angoisses en désignant un « bouc émissaire » qu'il va diaboliser, et présenter comme dangereux. Il va lui donner une image effrayante. C'est ce qu'a réalisé le pouvoir nazi avec le Juif, ou le pouvoir hutu avec le Tutsi.
L'angoisse des citoyens va alors se transformer en peur, car ceux-ci vont pouvoir nommer la cause de leurs souffrances. « Car la peur est bien là, derrière et devant la scène, à la racine de tout. Peur de la modernité ? D'un monde qui va trop vite, dans lequel l'avenir semble bouché ? Peur aussi de l'Autre, perçu comme un étranger ou un semblable hostile, sur qui se canalise l'angoisse de l'inconnu. Peur en fin de compte de soi, de ce soi collectif dont les repères sont désormais incertains. Sans doute les élites au pouvoir n'ont-elles pas su faire les bons choix économiques ou politiques. Elles ont raté la modernisation de leur pays et ne semblent pas prêtes à le reconnaître. A moins que ce pays ne vienne juste de perdre une guerre ? Ou bien est-il sur le point de la perdre ? Voici en tout cas que la société se « déglingue » et que la peur gagne les esprits. »
Que vont faire alors nos élites politiques ? Elles peuvent prendre des mesures économiques, voter de nouvelles lois, réformer, etc. Mais ces mesures ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux nationaux et internationaux, et ne répondent pas forcément au « nous », au peuple qui est désemparé. Ce dernier reste dans la plainte, la souffrance et l'incompréhension. C'est alors que le « Deus ex machina » intervient tel un Zorro
vengeur ou un Matamore, un Hitler, un Mussolini, un homme politique providentiel, doué de charisme et de magnétisme. Dans son discours il va prendre en charge les émotions collectives du peuple, du « nous » et les associer aux souffrances des citoyens. Ces hommes savent parler au peuple parce que leur discours s'adresse d'abord à l'affectif et ils utilisent des images fortement inscrites dans la tête des gens, dans les mythes collectifs. "Ainsi avant même qu'Hitler n'accède au pouvoir, des caricatures de la figure malfaisante du Juif circulaient déjà depuis longtemps. Dans le Rwanda d'avant le génocide, il en était de même pour le Tutsi, et, dans les années 1980, avant l'accession de Milosevic au pouvoir, la rumeur circulait parmi les Serbes du Kosovo que les Albanais voulaient tout simplement commettre contre eux un « nouveau génocide ».
Cette tentative de canalisation de l'angoisse sur un ennemi bien identifiable est déjà une manière de répondre au traumatisme de la population : on lui explique d'où vient la menace. A partir de cette transmutation de l'angoisse larvée en une peur concentrée sur une figure hostile, la haine se développe contre cet « Autre » malfaisant. La haine n'est pas ici une donnée de base, qui définirait au préalable des rapports naturels entre des groupes. C'est plutôt une passion construite, produite à la fois par une action volontaire de ses zélateurs et par des circonstances qui favorisent sa propagation. Au final, l'issue logique et redoutable de cette dynamique - de l'angoisse à la haine - revient inévitablement à faire émerger dans une société le désir de détruire ce qu'on lui désigne comme cause de la peur. Certes, il ne s'agit encore que d'un « désir » : nous restons bien dans le registre de l'imaginaire. Mais c'est un imaginaire de mort. » Pour aider le peuple à sortir de sa crise, de ses difficultés
matérielles, le pouvoir politique capte son attention sur un ennemi à détruire. Le peuple va donc pouvoir ainsi se reconstruire aux dépends de cet « autre », considéré, désigné comme dangereux. Il va affirmer sa différence avec « l'autre » et s'identifier à un modèle d'homme qu'il croit supérieur à cet « autre ».
Billet de blog 29 février 2020
Politique de la peur
Les régimes démocratiques comme les régimes totalitaires savent manipuler les masses.
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