Le véritable enjeu est purement politique et peut se ramener à une question de pouvoir au sein de la zone euro. L’Allemagne a le pouvoir et ne tolère aucune mise en cause de celui-ci parmi les vassaux de fait que sont les autres membres d’une zone euro considérée comme une aire d’influence. Les instruments de ce pouvoir sont les règles contraignantes de la zone euro, taillées sur mesure pour l’Allemagne, ainsi qu’une monnaie commune. Ce pouvoir est au service d’une vision très conservatrice, étroitement économique de l’Europe, privilégiant les intérêts nationaux de l’Allemagne, en rupture avec la politique traditionnelle d’intégration européenne ouverte et non arrogante pratiquée par ce pays depuis la seconde guerre mondiale. Il est inacceptable qu’un petit pays, comme la Grèce, avec un gouvernement de gauche, puisse remettre en question les règles du jeu européen. Quand la contestation devient trop forte, on voit que l’Allemagne n’hésite pas à vouloir exclure le récalcitrant de la zone euro, démontrant ainsi pour la première fois depuis la fin de la guerre qu’elle veut moins d’Europe de manière à aboutir à une Europe allemande. Certes tous les allemands ne partagent pas cette vision, il suffit de voir les réactions indignées de personnes aussi célèbres que Joschka Fischer, ancien ministre des affaires étrangères, de Jürgen Habermas, philosophe mondialement connu , ainsi que des dirigeants du parti de gauche dielinke et du parti vert ; mais les conservateurs au pouvoir (CDU-CSU et Sociaux-Démocrates) la mettent en application avec une rare brutalité. Et ce qui est absolument surprenant est que les autres pays ne rejettent ni cette vision ni le pouvoir exorbitant de l’Allemagne. Il y a comme une amnésie vis-à-vis du passé.
La France n’est pas à l’aise avec cette situation, mais ne se donne pas véritablement les moyens d’une remise en cause de la vision allemande et se trouve de facto en situation de faiblesse. Le lendemain de son élection en mai 2012, François Hollande s’est incliné devant l’Allemagne, trahissant ses promesses de renégociation du pacte de stabilité et démontrant ainsi sa faiblesse. La France est maintenant perçue comme le puissant vassal mauvais élève. La crise grecque pouvait être une occasion pour la France de se démarquer et de remettre en cause l’hégémonie allemande. Elle n’a pas été saisie dès le début comme une opportunité et un levier de changement. François Hollande se refusait à la confrontation avec l’Allemagne et surtout ne voulait pas qu’un petit pays avec un gouvernement de gauche puisse montrer qu’il était possible d’imposer de nouvelles règles alors que lui-même n’avait ni su ni voulu le faire malgré ses promesses. Il s’est démené, à la toute fin, pour calmer ses propres troupes et surtout pour éviter à tout prix (et à quel prix !) la sortie de la Grèce de la zone euro et sauver ainsi un des fondamentaux de la politique française : maintenir l’intégrité de la construction européenne garante de son statut de puissance majeure à l’échelle de l’Europe. L’occasion va se présenter inéluctablement à nouveau avec les discussions sur la restructuration de la dette grecque dans le contexte de l’échec programmé de la politique d’austérité maximale imposée au peuple grec. Mais François Hollande ne semble pas préparer l’opinion à une confrontation avec l’Allemagne : il met toujours en valeur l’unité de vue entre les deux gouvernements et non le désaccord fondamental de la France vis à vis d’une Europe allemande.
Une zone euro de comptables et de règles, sous domination allemande, sans aucun supplément d’âme et sans solidarité, en décalage complet avec les aspirations fondatrices du rêve européen, est dangereuse et n’a aucun futur. Au cœur des problèmes actuels se trouvent l’Allemagne, sa vision d’une Europe allemande et son pouvoir exorbitant. Inévitablement un bilan critique de la zone euro est en train d’avoir lieu remettant en question les idées toutes faites sur les bénéfices réels apportés aux différents pays de cette zone. Des alternatives à la zone euro actuelle sont proposées. Elles vont faire leur chemin dans l’opinion et devenir un enjeu de la prochaine élection présidentielle française.