Même si je connais le pouvoir mystificateur des medias traditionnels et le rôle des "gentils donateurs" qui sont à l'origine de l'apparent succès de Macron, je reste stupéfait par l'engouement que celui-ci provoque chez une partie des électeurs de gauche, alors même que son idéologie ( je ne parle pas de son programme, car il ne l'a pas encore dévoilé) n'est que l'affirmation puissance 10 de tout ce qu'ils ont détesté chez Valls-Hollande. Seul le différencient ses prise de position contre le délire anti migratoire de ses deux compères. Ce qui dans une logique libérale de mise en concurrence de la main d’œuvre est a tout à fait cohérent.
Qu'ils ne se mobilisent pas pour la primaire PS, cela se comprend. Mais pourquoi n'adhèrent-ils pas pour autant au programme de Mélenchon. Voilà mon interrogation.
Je ne ferai pas la liste exhaustive des reproches qui lui sont adressés et me contenterai d’en décrire les plus couramment évoqués :
- son refus de participer à la primaire de la gauche, (bien que l'adhésion du PC à sa candidature remette sacrément en cause cet argument). Or la stratégie de Mélenchon est avant tout de mobiliser un électorat populaire ou jeune ne se reconnaissant plus du tout dans le parti socialiste et qui ne vote plus ou qui pourrait être tenté par un vote anti-systeme FN. Sa participation à la primaire aurait donc été un contre-sens, et n'aurait de toute façon pas entrainé les non votants à se mobiliser pour une candidature soutenue par le PS.
- son long passé d'homme politique, homme du sérail, qui assombrirait sa capacité à représenter la modernité et le renouveau ( mais ça c'est l'argument des imbéciles, obsédés par le jeunisme et la fashion tendance, ). Je ne m'étendrai pas davantage sur l'ambiguïté du terme Re-Nouveau, qui ne signifie rien moins que le rétablissement de ce qui fut.
Et puis , il y a toute la liste des arguments de mauvaise foi et de désinformation qui ne méritent aucun commentaires : l'alignement supposé de Mélenchon à Poutine, son adhésion jugée tardive à l'écologie ( même s'il s'agit du cœur de son programme), la proximité supposée de son programme avec celui du front national ( quand chacun sait que le front national n'a commencé à engranger des succès que lorsqu'il a abandonné les thèses ultra libérales de jean marie Le Pen pour puiser dans le corpus programmatique de la gauche sociale ).
Or aucune de ces argumentations ne me semble refléter les véritables raisons du désamour de JL Mélenchon avec une partie de l'électorat de gauche et le succès de Macron.
A mon sens ces raisons sont ailleurs, et elles se cristallisent sur deux points majeurs:
- l’Europe
- une aspiration à plus d'indépendance professionnelle et à une nouvelle organisation du travail.
L'EUROPE:
Le sujet devient d'autant plus sensible que l'extrême droite nationaliste, le Brexit et la victoire de Trumps remettent sacrément en cause l'édifice européen. Or nous voilà dans une situation bien inconfortable.
Autant chacun est conscient de ce qu'est devenu l'Europe aux mains des eurocrates, autant subir sans broncher les assauts répétés de Trump contre l'Europe ne peut pas ne pas écorcher notre susceptibilité d'Européens et la fierté d'avoir bâti malgré tout une énorme puissance économique.
Je comprends donc que l'électorat de gauche puisse se diviser sur cette question.
D'un coté Macron, qui propose d'approfondir et consolider l'Europe, mais sans remettre en cause ni sa structure ni son fonctionnement, et se présente comme un européen convaincu.
De l'autre Mélenchon, qui fait le constat d'une Europe confisquée par des intérêts privés et la logique économique allemande, qui propose de renégocier les traités, et menace de désobéir aux injonctions de la commission européenne en cas d’impossibilité de trouver un accord.
Au sujet de l'Europe le poids de l'affect est tel qu'une argumentation raisonnée entre les deux partis semble quasiment impossible. Si Mélenchon veut récupérer une partie de ces électeurs, il ne pourra donc compter que sur son habileté à convaincre.
ASPIRATION A L'INDEPENDANCE PROFESSIONNELLE:
C'est a priori le point fort de Macron.
Sa promesse de permettre l'accès à l'indemnité chômage aux indépendants, créateurs d'entreprises, autoentrepreneurs est particulièrement percutante, et séduit une frange non négligeable de jeunes épris d'indépendance et ne voulant surtout pas se soumettre à un patron (on les comprend ). Si l'on ajoute à cela son intérêt pour un salaire de base, le tour est joué. D’un côté des auto-entrepreneurs dont on diminuerait les prises de risque, de l’autre des entreprises dégagées de leurs obligations d’employeur. Et tout serait pour le mieux dans le meilleur des monde.
C'est a priori le point faible de Mélenchon.
En refusant de promouvoir le statut du travailleur indépendant à travers sa critique justifiée de l'Uberisation, et en ne considérant dans sa défense du code du travail que les modèles organisationnels classiques, le patron d'un côté, le salarié de l'autre, Mélenchon prend le risque de se fermer à toute alternative sociale et de passer à côté de nouvelles aspirations.
La lutte de classe est toujours d’actualité, plus que jamais, et Mélenchon en a parfaitement conscience. Mais cette lutte et les revendications qui en découlent ne sont plus forcément partout et pour tous identiques à celles du XXème siècle. Pour une frange non négligeable de la population et surtout chez les jeunes, elles ont changé de nature, irriguées par 40 années de néolibéralisme et de promotion de l’entreprenariat. En fait elles revêtent aujourd'hui un aspect profondément libertaire. Ce qui au départ n’était qu’un outil idéologique promotionnel de la fonction patronale a fini par se retourner contre ses promoteurs et devenir la revendication d’un nouveau mode de vie basée sur l’indépendance et l’autonomie professionnelle. Le salariat en tant que statut social dominant ne fait plus recette, son rejet est manifeste. L’objectif n’est donc plus seulement d’adoucir les mœurs du patron vis-à-vis de ses employés, mais aussi de soustraire le travailleur à l’emprise d’un patron.
La proposition d'un CDI quasi obligatoire ne peut donc constituer l'unique réponse. Et comme la création d'un salaire de base suffisant pour pouvoir refuser un emploi (c’est à dire l'équivalent d'un smic) semble économiquement infaisable, (et Mélenchon d'ailleurs ne le propose pas), il faut donc définir un cadre juridique, fiscal, financier et social à cette nouvelle aspiration d'indépendance, qui ne se limitent pas à quelques amenagements de circonstance.
Ne pas le faire , ou ne le faire que trés partiellement, c’est laisser aux prédateurs qui en sont à l’origine, la gestion , tout à leur bénéfice, de ce nouveau marché de main d’œuvre, par la mise en concurrence des travailleurs indépendants devenus sous-traitants ,et le transfert des charges patronales sur leur seuls revenus ( déjà bien rognés ) , mettant la sécurité sociale en faillite. Ce que, au vu de ses silences et ses imprécisions, de ses prises de positions sur la loi El Khomri, de ses propositions sur le financement de l'assurance chômage et la baisse généralisée des charges sociales, au vu enfin de son incroyable mépris pour la classe ouvrière, semble etre malheureusement le projet ideologique de Macron.
( le texte a ete legerement modifie dans sa tournure de phrase en conclusion afin de faire disparaitre toute ambiguite, le 18-01-2017)