Cinéma
Amore
Résurrection du cinéma italien?
Le cinéma italien a disparu des écrans du monde en laissant les traces des anciens démiurges qui l’avaient hissé au premier rang à force de sincérité, d’intelligence, de gout, de génie inventif, de raffinements dans les décors et de sensualité. A ce propos, il est intéressant de remarquer que le vieux film culte de Visconti « Senso » avec la merveilleuse Alida Valli réapparait sur nos écrans sans que personne ne trouve à y redire, simplement parce que cette œuvre rappelle à chaque instant l’intensité des sens retrouvée sur chaque image des metteurs en scène et en images, artistes avant tout et créateurs avant d’être des animateurs de scènes dont on a moins besoin que d’artistes, sinon de virtuoses. C’est justement de sens qu’il est question dans cette œuvre cinématographique déroutante par ses outrances, ses contradictions, ses fractures représentées par la société milanaise parvenue à un degré de culture qu’on lui pardonnerait aisément en raison de son gout pour la manière de dresser une table de salle à manger pour des convives habitués aux agapes et éclairés par tableaux et mobilier, tapis et revêtements de sol fastueux mais restant toujours dans les limités de la discrétion.
Passions
Tel n’est pas le cas des agents qui s’agitent avec leurs passions et leurs tourments dans ces décors milanais où trône la cathédrale d’où l’on apprécie d’autant mieux la musique exceptionnelle de John Adams, immense compositeur américain qui prête à l’opéra naturalisé italien ses sonorités modernes tout en restant confinées et conformes aux œuvres des Puccini, Verdi et autres charmeurs des 19è siècles. Au milieu des agitations de personnages dévorées par la passion, la caméra cherche désespérément de se frayer un passage qu’elle finit par trouver dans la macrophotographie sortie de l’insecte pour s’arrêter sur le nombril, le mamelon, le grain d’un épiderme, la ride d’un sourcil, le frémissement d’une posture. A l’intérieur de ces rôles pris, affabulés, incarnés dans toute l’acception du terme, les femmes tirent, comme toujours leur épingle du jeu avec un talent, une jouissance, une réalité, une concrétisation bien supérieure à celle des hommes qui initient la passion sans jamais l’accomplir comme sait le faire Tilda Swinton, merveilleuse et grande actrice, parfaite incarnation de la féminité racontée au jour le jour dans ses incarnations successives d’amante et maitresse d’un moment sous les feuillages et les rayons du soleil puis de mère éplorée, culpabilisée et coupable de s’être laissée aller comme elle le fit en en un seul moment d’extase, copie collée de celle qu’elle devait rencontrer plus tard entre les bras d’un cuisinier dont on se demande bien ce qu’il fait là si ce n’est mettre l’eau aux bouches. Les repères sont nécessaires à la stabilité bien plus qu’aux soubresauts de l’agitation des sens.
Extase
Sur ces acteurs du drame, puisqu’il y a mort d’homme, cette tragédie mise en musique sous la forme d’un opéra, veillent en permanence la fidélité, la constance, l’immuabilité, signature d’une maison, d’une famille égarée dans sa peine, sa souffrance, ses deuils qui a besoin qu’on travaille sur elle. Sans ce retour, la vie risque de devenir invivable, au moment où recroquevillée sur elle-même comme escargot dans sa coquille, la prima donna se jette sur le lit vide de son fils après l’avoir fait dans les bras du cuisinier des sentiments métamorphosés en mets amoureusement préparés pour satisfaire l’ego. Une perspective singulière sur des représentations qui ne le sont pas à travers les prismes de la représentation, du visible à l’écran, de la vision des sens et du regard de l’amour….Amore.
Film italien de Luca Guadagnino avec Tilda Swinton, Alba Rohrwacher, Pippo Delbono, Edoardo Gabbriellini.