Annonce de maladie grave
Cette dame a du affronter récemment l’annonce d’un diagnostic de lymphome malin au quel elle a réagi en décidant de renoncer à un traitement éprouvant et couteux sans tenter de prolonger indéfiniment une vie qu’elle entrevoyait comme difficile sinon pleine de souffrance et de sensations pénibles et inutiles. C’est dans ces conditions qu’il a vu sa mère mourir en paix dans une maison de retraite où elle a bénéficié d’un traitement palliatif. Dans cette perspective, ce Monsieur a rédigé son testament de vie stipulant qu’il ne souhaitait pas prolonger indument sa vie lorsqu’il serait atteint d’une maladie grave à court terme ou qu’il serait plongé dans un état végétatif chronique. Même s’il estimait qu’il était trop tôt pour que sa mère soit déjà emportée par la mort, il acceptait son point de vue en le confrontant à celui des jeunes issus des nouvelles générations qui sont réticents à accepter la mort comme fin précoce.
Le pays du vieillissement
Le Japon est un pays où le vieillissement survient à une vitesse des plus accélérées. Cette situation n’est pourtant pas compatible avec une absence totale de testaments de vie, de mesures comme le suicide assisté devenu récemment légal dans quelques états d’Amérique, au Canada ou en Belgique. Peu de Japonais se comportent comme la vieille dame renonçant aux soins de confort préconisés par un traitement palliatif de longue durée. Ce qui n’empêche pas la nouvelle génération de réfléchir aux conséquences de leur position sur la fin de vie.
Dette et grosses dépenses
Celle-ci est tributaire en grande partie de la dette considérable de ce pays qui risque la ruine s’il se met à engager des dépenses de santé incompatibles avec une situation financière dramatique. Pour cette raison, la tendance de la population est de favoriser le concept de mort naturelle comme on peut le voir dans les programmes de TV, la presse et les magazines et livres récemment publiés. Pour cette raison aussi, l’utilisation des dispositifs favorisant l’alimentation artificielle est en permanente régression pour les personnes âgées.
De nouvelles dispositions
Dans cette nouvelle orientation de la politique de santé, des dispositions sont proposées qui permettraient d’accorder une protection légale aux médecins qui s’abstiennent de prescrire des soins palliatifs avec l’accord des malades dont ils ont la charge. De plus en plus nombreuses sont les politiques qui affirment leur consentement à l’idée d’une mort digne attribuée par la seule intervention d’un traitement médical. Les auteurs et rédacteurs des lois sont sur le point de promulguer une nouvelle version tenant compte de ces faits mais tardent à la mettre en route par crainte de rencontrer l’opposition de ceux qui craignent la survenue d’une légalisation de l’euthanasie. La situation est d’autant plus conflictuelle au Japon que dans ce pays la tradition oblige les familles à s’occuper de leur famille jusqu’à la fin sous peine de se voire accusée d’abandon inhumain et de négliger les dernières volontés des patients.
Craintes de poursuites
Certains médecins craignent les réactions de certains membres de la famille des malades en fin de vie consistant en poursuites judiciaires. Cette éventualité risque de se produire surtout lorsque les décisions médicales ne sont pas exécutées dans les termes de la loi qui implique d’être conforme à une procédure prise de manière collégiale. Les médecins souhaitent bénéficier de garanties impliquant qu’ils ne seront pas traduits devant des autorités judiciaires ou civiles au cas où ils prendraient l’initiative d’un arrêt de traitement. Le débat reste vif entre ceux qui prônent le respect de la vie pour des motifs issus des droits de l’homme plutôt que ceux mettant en avant la situation financière.
Légalisation de l'euthanasie
Les défenseurs des handicapés insistent sur le fait que ce débat confirme leur crainte que l’influence des conditions financières ne prenne le pas sur la raison budgétaire susceptible de conduire à la légalisation de l’euthanasie. Pour toutes ces raisons, n’est-il pas plus raisonnable de réfléchir avant de décréter ?
Faut-il condamner un robot?
Assis dans le box des accusés, Daisuke Kaigoshi-N3, un paisible robot, a l'air tranquille. Aucune émotion ne transparaît de sa posture, ni de ses petites caméras rivées sur le public. Pourtant, dans quelques minutes le jury refera son entrée dans la salle d'audience du tribunal du district de Tokyo pour lire la décision sur sa sanction. Le robot, dernière génération humanoïde du soignantpour personnes âgées est poursuivi pour assassinat. Il est accusé d'avoir tué intentionnellement et de manière préméditée son propriétaire, un Japonais de 90 ans que Daisuke Kaigoshi-N3 assistait depuis une décennie. Frappé par plusieurs AVC, le « maître » avait progressivement perdu son autonomie physique, tout en gardant intactes ses facultés mentales. Décidé à mourir dans la dignité, il est parvenu à convaincre le robot de l'étouffer dans son sommeil.
Un vieillissement croissant
Une « euthanasie » passible de la peine de mort au Japon, depuis que le vieillissement croissant de la population a rendu de plus en plus fréquents les cas d'aide au suicide, et avec eux le danger - dans une société où se tuer constitue traditionnellement une manière de préserver son honneur - de l'émergence d'une forme d'eugénisme masqué.
Empathie pour un robot?
Pourtant, quand l'huissier annonce l'entrée dans la salle du jury, et que le robot se lève, une certaine gaucherie dans ses mouvements semble trahir une note d'appréhension. Ou peut-être est-ce juste ce que nous, les femmes et les hommes présents dans la salle, croyons voir à travers notre propre émotion, après dix jours d'audience et d'empathie croissante pour cet « être » ? Sans encore être un clone de l'homme, Kaigoshi-N3 est en effet doté d'une structure humaine avec deux jambes, deux bras, une tête, des yeux, un langage développé, et une véritable capacité de raisonnement qui semble frôler la sensibilité.
Le robot a expliqué le mobile de son acte. S'il avait explicitement été programmé pour « prendre soin » des humains sans leur « porter atteinte », en vertu des lois d'Asimov, il a compris tout au long de ces années d'assistance ponctuées de conversations avec son maître que le tuer serait la meilleure manière de répondre à sa mission. « Il m'a expliqué que ce serait pour son bien et qu'il ne pouvait faire confiance à personne d'autre.
Le robot fidèle
Le soir choisi, avant de prendre un puissant somnifère et de se coucher, le vieux Japonais avait d'ailleurs pris soin de rédiger une lettre où il expliquait être l'auteur de l'ordre et attestait de l'absolue fidélité de son robot. « En obéissant à mes dernières volontés, il respecte non seulement le lien privilégié qui nous unit, mais surtout l'humain qui est en moi », avait-il écrit. Il avait également souligné que jamais il n'aurait pu formuler la même requête vis-à-vis d'un proche fait de chair et de sang : « Non seulement je ne pourrais pas être sûr qu'il exécute mon ordre, mais j'aurais le sentiment de le mettre dans une position moralement insoutenable ».
Le robot coupable
Quand le jury termine sa lecture, quelques sanglots explosent dans la salle. Comme l'avait demandé le procureur, le robot est condamné à la peine capitale : la déprogrammation totale, puis le démontage et la revente de ses pièces détachées. « Il n'y a aucun doute : le caractère prémédité de l'acte montre bien que cet être à l'apparence sans âme a pris une décision, exercé une forme de libre arbitre », avait plaidé le ministère public. Avant d'ajouter : « La justice doit se montrer ferme devant un cas qui peut constituer un dangereux précédent. » L'introduction d'une responsabilité pénale des robots date d'il y a une dizaine d'années au Japon. La société japonaise a ressenti le besoin de punir « personnellement » ces engins pour répondre aux affaires de plus en plus fréquentes dans lesquelles aucun humain ne pouvait être tenu responsable de leurs infractions: comme dans le cas d'espèce justement, où le donneur de l'ordre-victime est décédé et aucune négligence ne peut être reprochée au programmateur ni à l'entreprise qui l'a fabriqué.
La peine de mort
Cependant, c'est la première fois qu'une peine capitale est appliquée. Réservée aux hypothèses de meurtre, elle avait été proposée par le législateur pour le cas plusieurs fois imaginé par la science-fiction du « robot rebelle », qui jusqu'à présent ne s'est toutefois jamais présenté. Le témoignage de la fille de la victime, choquée qu'un robot puisse prendre la relève d'un membre de la famille face à une question aussi délicate que l'euthanasie, a sans doute aussi influencé le jury.
Des droits de l'homme des non humains ?
Lorsque deux policiers viennent prélever Daisuke Kaigoshi-N3 pour le conduire hors de la salle d'audience, tous les yeux le suivent, espérant probablement répondre à la même question : a-t-il peur ? Juridiquement, le robot peut encore éviter l'exécution : la loi lui réserve le droit à l'appel, puis éventuellement à un recours devant la Cour suprême. Son avocat insistera sans doute encore sur sa ligne de défense : « programmé », le robot ne pouvait prendre aucune décision libre, mais seulement « déterminée ».
Opinion publique mobilisée
Pour le Japon non plus, et pour le monde tout entier, ce n'est d'ailleurs pas la fin de l'histoire, mais probablement un début. Non seulement, comme le craint le procureur, ce précédent risque d'inspirer de multiples affaires de ce genre. Surtout, l'application de la responsabilité pénale des robots commence à préoccuper l'opinion publique. Dans un pays où ces êtres animés sont quasiment omniprésents et entretiennent des relations très intimes avec les humains, la question de la reconnaissance de leurs droits est prise de plus en plus au sérieux. Des associations engagées contre la peine de mort s'interrogent sur l'opportunité d'étendre leur domaine d'action. Certains intellectuels sont allés jusqu'à comparer la vente des pièces détachées des robots déprogrammés, prévue par la loi, au commerce d'organes des condamnés exécutés. D'autres ONG insistent en revanche sur le risque qu'en humanisant excessivement des machines, la notion de « droits humains » soit vidée de son sens. Un débat qui sera difficilement tranché avant la prochaine condamnation.