Modernisation des enseignements
L’éducation nationale en France végétait dans un carcan de traditions jamais remises en question.
La sacralisation de cette institution exigeait qu’elle ne remuât pas d’un nanomètre. Elle était plus stable que la constitution de la République une et indivisible. Ainsi se pensait la manière d’éduquer les foules et en particulier les enfants de France confiés à sa doctrine, celle qui, paraît-il, avait fait de ce pays un modèle d’intelligence, de culture et de savoir. Pendant que les hautes autorités de l’Etat, les institutions académiques, littéraires et scientifiques se pavanaient sous les diverses coupoles qui couvraient les temples sacrés où se transmettait la parole divinisée, jamais remise ni en cause ni en question, ailleurs on ne s’abritait plus sous ces toits dorés géométriquement arrondis pour y prêcher sous l’estampille de l’Ecole Normale Supérieure, les agrégation diverses et les certificats remis çà une élite qui ne doutait jamais d’elle même et qui confisquait à son profit la vérité. Cette dernière c’était celle des Pasteur, des Lavoisier, des Poincaré restée à une certaine époque sans contradicteurs. La solitude des penseurs et des transmetteurs de la vérité, pour glorieuse qu’elle fût, avait un inconvénient. Perchée au-dessus des réalités du monde et enfermée dans un hexagone protégé de toutes parts par le béton d’une ligne Maginot des connaissances, elle restait à l’écart des contacts indispensables à l’éclosion de l’imagination et de la création par l’enfermement d’une langue malheureusement de moins en moins répandue dans un univers en construction submergée par une langue anglaise toute puissante.
Puissance commerciale
Par le biais de la puissance industrielle des Etats-Unis, la pensée et l’expression se répandirent comme fusées au-dessus de nous, infiltrant sournoisement toutes les organisations qui n’adoptaient pas instantanément les outils mis si aisément et de façon si séduisante à la disposition des lois, des réglementations internationales et des rencontres destinées à négocier sur les problèmes instantanément posés aux habitants de la planète. Comme celle-ci se remplissait à la vitesse des chutes d’eau provenant de barrages rompus, du fait d’une démographie galopante, ainsi fit la langue submergeant en quelques instants les racines à peine écloses de vieux outils qu’on n’avait plus qu’à placer dans des caisses rouillées et poussiéreuses où les toiles d’araignées servaient de réseaux amaigris de la communication. Les langues dites mortes n’avaient plus qu’à se laisser mourir faute d’adeptes pour les apprendre. Les autres parlées par de minuscules communautés disparaissaient progressivement sous la puissance et le rayonnement commercial et numérique d’une expression devenue d’autant plus universelle que était devenue obligatoire et indispensable pour qui désirait apprendre, enseigner, comprendre et s’exprimer. Cette dernière mission avait été depuis longtemps « formatée » de telle sorte que toute tentative de sortie de cet encadrement était définitivement et résolument vouée à l’échec. Dans ces conditions et devant cette situation, un souffle d’air libérateur s’est fait sentir et écouter par l’intervention novatrice de rares penseurs qui enfin, proposèrent une autre voie que celle du bachotage, de la répétition, de l’imitation pour s’engager sur celles de la réflexion, de la critique, de la personnification.
Révolution
Devant cette révolution, on se mit à espérer en une nouvelle manière de favoriser la compréhension, la construction de l’individu et l’épanouissement de la personne, enfin sortie du carcan de l’apprentissage imposé et de la soumission aux règles immuables d’une docimologie définitivement enterrée. L’aube se lève enfin sur un horizon gris et tourmenté. Elle dit aux élèves qui sortent de leur lit qu’une ère nouvelle est arrivée. Qu’il doivent l’accueillir sans crainte et sans appréhension car elle va leur donner ce qu’il y a de plus précieux en l’homme en formation qu’ils sont, en devenir qu’ils vont être et en leur achèvement qu’ils attendent plus qu’ils ne l’appréhendent. Ces étapes, ils les capteront par le désir, celui de savoir, de changer et de se changer pour atteindre le perfectionnement, longue phase de leur aboutissement. D’un trait de plume rageur, on s’apprête à rayer les notes, cette calamité qui s’est abattue sur la scolarité des générations en vue d’une évaluation qui prétend leur attribuer une position dans le monde. On appelle cela la « constante macabre ». Cette idée, les enseignants l’ont saisie entre laxisme et sévérité, entre culpabilité et joie d’enseigner à la découverte d’un nouveau monde. La joie, le désir de savoir ne sont que les faces illuminées d’un astre éteint, planète morte de n’avoir su que réfléchir la lumière au lieu de la créer. Rien ne saurait être accompli sans la confiance réciproque entre l’enseignant et l’enseigné. C’est sous l’égide de la vérité qu’il peut s’établir bien plus que sous la menace du piège bien mieux adapté à la chasse aux souris qu’à l’éducation des hommes. Dans cette alliance, la « boule au ventre des enfants » se dissout dans l’affection des parents, la disparition du non-dit et l’éclatement de la vérité pour faire place au bonheur de la rencontre avec les choses, les êtres et les gens qui parcourent l’espace et le temps. On commencera par les regarder, leur serrer la main, les interroger sur leurs projets et leurs accomplissements, avant qu’ils ne se portent candidats au guidage.
Flèches et radars
Non celui des radars qui punissent mais des flèches qui indiquent le chemin. Sur cette route, si souvent bordée de roses et de haies, le voyage se pare d’agréments, de plaisirs, d’incursions dans le passé et de plans sur les comètes. A elles de créer les surprises, d’empêcher les retours en arrière, ces horribles redoublements qui signent l’échec, ralentissent les bonds et signifient aux témoins impuissants la négation de l’effort, l’inutilité de l’audace et la nullité de la tentative. Il faut un grand tableau noir ou vert pour effacer avec un chiffon neuf ces années d’errance et absorber par l’éponge ces calamités de l’éducation. Sur la virginité retrouvée des nouveaux supports de l’écriture, on pourra enfin débattre de compétence, d’orientation, de compréhension, mots interdits par l’ostracisme des corporations. Les questions ne seront plus posées dans la rougeur de la honte mais dans la fierté de l’incompréhension que les magiciens transformeront en bien-être, maitrise, auto-évaluation, confiance, sérénité. Comment peut-on se résoudre à appauvrir la relation et l’apprentissage en les parasitant par la médiation de leur contraire, la méfiance, le mystère, l’inconnu, ce morceau de fraction justement destiné à être résolu, celui qui mène au bonheur de la victoire sur soi, sur le cosmos et l’avenir. Alors, oui, à partir de ce moment, on peut partir à la conquête du monde, naviguer sur les flots, y discerner les mouvements des ondes et celui des particules, celui de l’énergie se propageant à travers la matière, les distances entre les crêtes d’ondes. On pourra demander à Proust comment il a apprécié sa madeleine et à Van Gogh comment il a déformé son ciel de Provence, à Cézanne comment il a déconstruit sa montagne Sainte Victoire. La voilà la victoire, indéfectible, irréversible, incommensurable, la victoire de l’homme homo sapiens, merveille de la nature qui à ce moment mérite pleinement son triomphe.