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Billet de blog 2 décembre 2025

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Le Venezuela et la botte insolente de l'étranger

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Texto original en castellano

Dans son discours annuel devant le Congrès, le 2 décembre 1823, le président des États-Unis, James Monroe, prononça l'une des déclarations qui ont le plus marqué l'histoire de la politique étrangère de ce pays : « Les continents américains, dit-il, ne doivent plus être considérés comme des sujets qu’une puissance européenne pourrait à l’avenir coloniser». Il précisa en outre que toute tentative d'intervention de la part de ces puissances serait considérée comme une menace pour la paix et la sécurité des États-Unis.

C'est ainsi qu'est née la célèbre doctrine Monroe, résumée par le slogan « L'Amérique pour les Américains ». Washington s'attribuait ainsi le rôle de protecteur du continent, un rôle dont personne ne lui avait demandé de se charger. Très vite, il commença à montrer que c’est lui qui dominerait, politiquement et économiquement, son « arrière-cour », comme on appelait alors l'Amérique latine et les Caraïbes.

Le 9 décembre 1902, Washington eut l'occasion de faire appliquer la doctrine, mais ne le fit pas. Ce jour-là, les flottes impériales britannique, italienne et allemande commencèrent à assiéger et à bombarder plusieurs ports vénézuéliens, avec le soutien logistique de la France, des Pays-Bas, de la Belgique et de l'Espagne. Le motif invoqué : recouvrer d'anciennes dettes. Pendant les deux mois que dura l'agression, les États-Unis ne s'y opposèrent pas, ne protestèrent même pas ; et se proposèrent seulement comme « médiateurs neutres » : ils amenèrent les parties à négocier à Washington, où ils imposèrent au pays latino-américain un « protocole » qui l'obligeait à payer, mais limitait son autonomie financière en le plaçant sous surveillance étrangère.

Avant et pendant l'agression militaire, les journaux des pays agresseurs, des États-Unis et d'Amérique latine, avaient ridiculisé le président vénézuélien Cipriano Castro à coups de caricatures, allant jusqu'à le dessiner sous les traits d'un gorille mangeur de bananes. Les opposants vénézuéliens en faisaient de même. De plus, en Europe, on répétait ce que le fonctionnaire étasunien Alexander Scott avait écrit à Monroe près d'un siècle auparavant : « Les Vénézuéliens sont timides, indolents, ignorants, superstitieux et incapables d'entreprendre ou de faire des efforts. Je crains qu'ils n'aient pas atteint ce niveau de dignité humaine qui permet à l'homme de jouir d'un gouvernement libre et rationnel [?]. » (1)

Illustration 1

Le 19 décembre 1908, Juan Vicente Gómez renversa Cipriano Castro. Washington manifesta son approbation, non seulement en lui accordant une reconnaissance diplomatique, mais aussi en envoyant, cette fois-ci, des navires de guerre sur les côtes vénézuéliennes pour soutenir le nouveau dictateur. Castro avait eu de violents conflits avec les États-Unis et les puissances européennes.

En 1914, la présence de pétrole dans le lac Maracaibo et ses environs se confirma. Une filiale de la société anglo-néerlandaise Royal Dutch Shell s'installa dans cette région. En raison des quantités découvertes, une raffinerie fut construite en 1917, la plus moderne d'Amérique latine, marquant le début de la production commerciale de pétrole au Venezuela. Face à l'abondance de pétrole brut, une autre raffinerie fut construite sur l'île de Curaçao, colonie néerlandaise.

Le pétrole était devenu une ressource très convoitée depuis que Winston Churchill, premier lord de l'Amirauté britannique, avait ordonné en 1911 que tous les navires de la Royal Navy passent du charbon au diesel. (2)

C'est en décembre 1922 que cette région du Venezuela devint l’objectif privilégié des compagnies pétrolières. Près de Cabimas, à l'est du lac Maracaibo, un puits qui commençait à être exploré, Barroso 2, explosa dans une série de secousses. Pendant dix jours, il projeta du pétrole à environ 500 mètres de hauteur, sans contrôle. Près d'un million de barils se répandirent sur une superficie de 740 hectares.

La Standard Oil, propriété de la famille Rockefeller, s'y installa immédiatement, faisant du Venezuela le plus grand bénéficiaire des investissements étasuniens dans cette industrie. Le Venezuela devint le premier exportateur de pétrole en 1928 et le deuxième producteur mondial. De 1925 à 1962, le Venezuela a extrait la plus grande quantité de pétrole au monde : enfin, ce n'est pas le pays qui l'a fait, mais principalement les compagnies pétrolières étasuniennes.

Il a fallu de nombreuses années pour que le gouvernement vénézuélien apprenne que 60 % du pétrole utilisé par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale provenait des entrailles du pays et avait été vendu par les États-Unis.

En 1960, au Venezuela, la majorité de la population voulait travailler dans les champs pétrolifères ou les raffineries, où les salaires étaient fixes. Le pays connut une migration massive qui fit presque disparaître le secteur agricole. Malgré les faibles redevances versées par les compagnies pétrolières étrangères, il y avait beaucoup d'argent en circulation, et presque tout ce qui était consommé venait de l'extérieur. Par exemple, une bouteille de whisky coûtait moins cher qu'une bouteille de lait. Et le lait commença également à être importé, malgré l’abondance des vaches présentes dans les vastes plaines vénézuéliennes.

Il était courant que les classes supérieures et moyennes fassent leurs achats à Miami, partant le matin et rentrant pour le dîner. C'était plus simple et mieux vu socialement que de le faire dans un marché de Caracas.

Il y avait déjà un drame humain, en terme d’exode : les paysans colombiens qui fuyaient la violence politique, se réfugiaient au Venezuela, ce qui a contribué à préserver en partie l'agriculture et l'artisanat dans le pays. L'industrie pétrolière, qui absorbait la quasi-totalité de la main-d'œuvre, ne permettait pas à ces secteurs traditionnels de se développer.

En 1970, la hausse des prix du pétrole a déclenché le plus grand boom pétrolier de l'histoire du Venezuela. Les compagnies pétrolières étrangères et les gouvernements qui se succédèrent après Cipriano Castro façonnèrent une société dépendante du pétrole, en créant une « addiction » économique à cette ressource. Ce changement entraîna un déclin de l'éducation et de l'intérêt pour d'autres secteurs productifs, la société se concentrant presque exclusivement sur l'industrie pétrolière. C'est ainsi que la structure sociale, économique et professionnelle du Venezuela au XXe siècle a été profondément façonnée.

La bourgeoisie et la classe moyenne vénézuéliennes dépendaient de manière parasitaire de « l'or noir » pétrolier, tandis que les pauvres, toujours présents, se contentaient de son odeur et vivaient marginalisés dans les environs des centres pétroliers. La fête pétrolière n'était pas pour tout le monde.

Le pétrole faisait et défaisait les présidents. Les coups d'État du XXe siècle sentaient le pétrole brut. Chaque décision stratégique était prise à Washington, puis transmise via l'ambassade à celui qui occupait le palais de Miraflores, qu'il soit civil ou militaire.

Jusqu'à l'arrivée d'Hugo Chávez Frías, qui décida de reprendre le contrôle souverain du pétrole vénézuélien, exigeant que, si les Etats-Unis le voulaient, ils le paient à sa véritable valeur. En d'autres termes, il retira le pétrole vénézuélien aux États-Unis. Sensibles comme ils sont, ils déclenchèrent une guerre totale sur tous les fronts et de toutes les manières possibles, qui dure depuis plus de vingt ans. Ils ont même reproduit, avec son visage, les caricatures qu'ils avaient faites de Cipriano Castro.

Il y a presque exactement 123 ans, les puissances européennes ont assiégé et bombardé les ports vénézuéliens, réussissant à débarquer brièvement dans certains d'entre eux, avec la complicité des États-Unis. Le président Cipriano Castro avait alors proclamé : « Vénézuéliens, le pied insolent de l'étranger a profané le sol sacré de la patrie ! », en appelant à la défendre. Certains Vénézuéliens se rangèrent du côté des agresseurs.

Aujourd'hui, les États-Unis imposent un blocus naval menaçant contre le Venezuela. L'Europe se rend complice par son silence, et qui sait peut-être plus encore. Certains Vénézuéliens traîtres se sont rangés du côté des agresseurs. Ceux qui sont à la tête de l'État, dirigé par le président Nicolás Maduro, restent fermes. Ils ont déjà assuré que l'étranger insolent qui profanera la terre de Bolívar y demeurera enterré, bottes comprises.

(1) Scott, Alexander. « Lettre à James Monroe », 16 novembre 1812. Correspondance diplomatique des États-Unis concernant l'indépendance des nations latino-américaines. Université d'Oxford, New York, 1925.
(2) Voir le documentaire : Venezuela, les raisons obscures. Documentaire de Hernando Calvo Ospina

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