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Billet de blog 6 octobre 2020

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6 octobre 1976: L'attaque terroriste contre l'avion de Cubana

- « Il y a eu une explosion et nous sommes en train de tomber! Il y a le feu à bord! ». C’était la voix angoissée de l’un des pilotes de l’avion de la Cubana de Aviación, communiquant avec la tour de contrôle, neuf minutes après avoir décollé de l’aéroport Seawell de la Barbade.

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- On est en train de brûler !

- C’est horrible! Pose-toi sur l’eau, mec! Pose-toi sur l’eau! »

Ce furent les dernières paroles qu’entendirent les contrôleurs. Il était 12h28, ce 6 octobre 1976. Transformé en une boule de fumée et de feu, l’avion tomba à l’eau et ses 73 passagers trouvèrent la mort. Une explosion avait eu lieu à l’intérieur cinq minutes auparavant.

Illustration 1

Parti de Guyane, l’avion avait fait escale à Trinidad puis à la Barbade et se dirigeait vers la Jamaïque, avec pour destination finale La Havane.

Cette même nuit, les deux responsables présumés furent capturés par la police de Trinidad. Dans la matinée, ils étaient montés dans l’avion sur cette île caribéenne et en étaient descendus à la Barbade, après y avoir déposé l’explosif. Lorsqu’ils apprirent le « succès » de leur action, ils furent pris d’une extrême nervosité. Ils décidèrent de quitter l’hôtel et de retourner à Trinidad. Une fois sur cette autre île, dans le taxi qui les menait vers un hôtel, ils parlèrent de l’explosion de l’avion, croyant que le chauffeur ne comprenait pas l’espagnol. Leur état de quasi-panique les rendit suspects. Après les avoir déposés, le conducteur alla à la police. Peu après avoir été arrêtés, les deux hommes reconnurent leur culpabilité. Il s’agissait des Vénézuéliens Hernán Ricardo et Freddy Lugo.

Grâce à leurs déclarations, très vite on remonta jusqu’à ceux qui avaient préparé l’acte terroriste. Les autorités vénézuéliennes perquisitionnèrent les bureaux des entreprises de sécurité de Luis Posada Carriles, où ils trouvèrent, entre autres, les enregistrements des messages que Ricardo avait laissés à Posada. Depuis les hôtels des îles caribéennes, il l’avait informé que « l’omnibus » avait coulé « avec les chiens à l’intérieur ». Selon un communiqué de presse du service chargé de l’enquête, daté du 14 octobre, durant la fouille, « on trouva des preuves des liens entre les citoyens vénézuéliens arrêtés à l’étranger et ces entreprises, ainsi que des documents et du matériel en rapport avec l’affaire. »

Posada Carriles avait été recruté par la CIA en 1960. Dans une interview donnée au New York Times le 12 juillet 1998, il avouait : « La CIA nous a tout appris... tout. Comment utiliser les explosifs, comment tuer, comment fabriquer des bombes... ils nous ont entraînés à mettre sur pied des sabotages ». Il fut de ceux qui avaient été sélectionnés pour participer aux opérations spéciales contre Cuba. Après la Crise des Missiles, il s’enrôla dans l’armée étasunienne, où il obtint le grade d’officier.

De nombreux enquêteurs le désignèrent comme l’un des participants au complot qui entraîna la mort de Kennedy. La CIA le mit en relation avec la Représentation Cubaine en Exil (RECE), organisation qui recevait d’importants fonds de Bacardi, l’entreprise productrice de rhum.1 L’objectif de départ de la RECE était de préparer une nouvelle invasion de Cuba, après la dite Crise des missiles, mais elle dût s’en tenir à une série d’actions terroristes contre la population civile.

Posada Carriles quitta la RECE pour partir au Venezuela. Il raconte, dans son autobiographie, qu’en 1969 il intègre les services de sécurité politique de ce pays, suite aux instructions de la CIA. « Quelques-uns parmi nous ont été recommandés à différents gouvernements, pour agir comme instructeurs de personnel dans le domaine de la lutte antisubversive, ou comme conseillers en matière de sécurité nationale. »2 Il occupa au Venezuela le poste de Commissaire en Chef à la DISIP. « Cette situation m’a permis de combattre sans trêve les ennemis de la démocratie vénézuélienne. » Ce qui signifia la torture et la mort pour de nombreux citoyens de l’opposition, et pas seulement de l’opposition armée. En 1974, sans perdre le contact direct, il se détacha officiellement de la DISIP pour créer sa propre entreprise de sécurité et partit pour les Etats-Unis afin d’y acquérir le matériel dont il aurait besoin.

Le deuxième homme arrêté en tant qu’auteur intellectuel de l’attentat meurtrier du 6 octobre 1976 n’était autre qu’Orlando Bosch Ávila. Six jours après l’acte barbare, le New York Times annonçait que le CORU était peut-être l’organisation responsable, en précisant qu’elle était dirigée par Bosch, un homme recherché par les autorités étasuniennes. C’est alors que l’on découvrit publiquement que le terroriste se trouvait à Caracas. Une dépêche de l’agence de presse AP, datée du 19 octobre, affirmait que Bosch s’était installé comme résident dans ce pays quelques jours après l’assassinat d’Orlando Letelier. Elle se trompait seulement de date.

Le terroriste était arrivé à l’aéroport de Caracas dans la nuit du 7 septembre 1976 et avait été reçu par Ricardo Morales Navarrete, un autre personnage recommandé par la CIA au gouvernement vénézuélien. « Il est arrivé au Venezuela, en provenance de la République Dominicaine, après une escale au Nicaragua », raconte dans son livre Posada Carriles qui faisait partie du comité d’accueil. Dans ce pays d’Amérique Centrale, le consul vénézuélien avait reçu des « instructions », de la part des hautes sphères du gouvernement, pour délivrer un visa à Bosch, qui possédait un passeport dominicain sous un autre nom.

Bosch fut logé dans l’un des principaux hôtels de Caracas et fut transféré le lendemain dans les bureaux de la DISIP, où on lui remit une carte de fonctionnaire. «  A partir de ce moment, le Dr Bosch fut investi d’une autorité qui lui permit de porter toutes sortes d’armes et d’agir en fonction des exigences attachées à son poste » raconte Posada. En plus des armes, on fournit à Bosch deux hommes pour sa sécurité. Son séjour dans le pays était d’une telle importance que le 10 octobre il devait rencontrer le président en personne, Carlos Andrés Pérez.

Posada et Bosch furent arrêtés le 14 octobre au Venezuela.

Les preuves de la complicité

Toutes les informations et les preuves recueillies sur l’explosion de l’avion et ses responsables furent remises aux autorités vénézuéliennes par la Guyane, Cuba, La Barbade et Trinidad.

Washington décida, de façon surprenante et incompréhensible, de ne pas collaborer et de plus nia quelque lien que ce soit avec les hommes impliqués. Les Etats-Unis commencèrent par récuser le témoignage détaillé des chauffeurs de taxis qui, par deux fois à la Barbade, avaient conduit les terroristes à l’ambassade. Pourtant, Ricardo et Lugo avaient fourni le nom des fonctionnaires à qui ils avaient parlé. Cela faisait partie des documents que le gouvernement de Bridgetown présenta devant le Conseil Permanent de Sécurité de l’ONU. En vain.

Tout aussi vainement: Ricardo reconnut sous serment qu’il était un agent de la CIA ; Lugo affirma au commissaire principal adjoint de la police de Trinidad qu’ils travaillaient tous les deux pour l’Agence ; de plus, dans l’agenda de Ricardo se trouvait le numéro de téléphone d’un haut fonctionnaire de l’ambassade des Etats-Unis à Caracas.

Les dénonciations de Fidel Castro, impliquant la CIA, eurent une certaine répercussion dans le monde, en particulier celles qu’il fit le 15 octobre, quand il déclara: « Au début, nous n’étions pas sûrs de savoir si la CIA avait organisé le sabotage directement, ou bien si elle l’avait préparé soigneusement par l’intermédiaire de son organisation secrète [il se réfère au CORU], composée de contre-révolutionnaires cubains. Actuellement, nous croyons fermement que la première supposition était la bonne. La CIA a participé directement à la destruction de l’avion de Cubana à la Barbade ».

Quelques jours plus tard, face à de telles accusations et aux pressions de la presse, le secrétaire d’Etat Henry Kissinger réagit en disant que la position du gouvernement de la Havaneétait « hostile et irresponsable. » Mais le dirigeant cubain ne mentait pas. Ses affirmations étaient même en deçà de la vérité. Kissinger, lui, savait de quoi parlait Castro. Mais treize ans devaient cependant s’écouler avant que quelques documents classés « TOP SECRET » ne soient montrés publiquement, et plus d’un quart de siècle pour que d’autres soient mis en lumière. Pendant toutes ces années, les Etats-Unis soutinrent de façon catégorique qu’ils ne savaient rien.

En réalité, les hautes instances étasuniennes en savaient trop et étaient autant impliquées par action, par omission que par complicité .

Deux jours seulement après l’attentat, le directeur du FBI avait envoyé un document secret, qualifié de « niveau et priorité maximum », aux quatorze directeurs des plus importantes agences de renseignement et de sécurité des Etats-Unis qui, logiquement, incluaient le directeur de la CIA, George Bush, et celui de la Direction de Renseignement et de Recherche du Département d’Etat (INR). « Le 7 octobre 1976, la source confidentielle […] admettait pratiquement que Posada et Bosch avaient été les architectes de l’explosion de l’avion et promettait de donner plus de détails […]. » 3

Le 18 octobre, Kissinger reçut un autre rapport, cette fois de son subordonné, le directeur de l’INR. On y trouvait en détail l’identité des hommes impliqués, ainsi que leurs liens avec la CIA et d’autres entités officielles étasuniennes. « [Ligne rayée dans le document 4] Le nom et le numéro de téléphone de Leo, l’Attaché Légal des Etats-Unis furent découverts dans le carnet de notes de Lugo lorsque celui-ci fut arrêté à Trinidad. Leo dit qu’il n’a pas eu de contact avec Lugo et suppose que son nom et son numéro de téléphone ont été communiqués à Lugo par Posada […] Notre Attaché Légal (Joséph Leo) a fait la connaissance de Posada quand ce dernier travaillait [mots rayés] et après sa démission, Posada a recontacté Leo en quelques occasions […]. » Mais ce rapport méconnaissait un autre rapport du FBI, daté du 8 octobre, qui mentionnait les différentes entrevues de Leo avec Lugo à l’ambassade de Caracas.

Le 2 novembre, le FBI remettait un « Rapport Secret de Renseignement » intitulé : « Explosion de l’Avion de Cubana DC-8 près de la Barbade, Indes Occidentales, le 6 octobre 1976 ». On y disait que le 1er novembre, « une source confidentielle » avait informé que les 23 et 24 octobre 1976, « Ricardo Morales Navarrete, en qualité de commissaire de la Section de Contre-espionnage de la DISIP […] », avait donné des détails au sujet d’une réunion qui s’était tenue dans un grand hôtel de Caracas. On apprenait qu’outre Morales, étaient présents Frank Castro, Posada Carriles et un autre Cubain et qu’ils « discutèrent de plans en rapport avec l’explosion d’un avion de Cubana ». La réunion eut lieu « peu de temps avant » l’acte terroriste. Dans le rapport, on explique que Frank Castro est un « dirigeant du CORU, organisation terroriste anti-castriste qui a revendiqué diverses attaques à la bombe. » Morales raconta aussi à la personne source que les mêmes personnes s’étaient à nouveau réunies, dans son appartement, afin de préparer les détails de l’attentat.

Ce document qui fut totalement déclassifié le 18 mai 2005, faisait aussi la lumière sur la responsabilité des hautes autorités gouvernementales vénézuéliennes, à commencer par le président lui-même. Morales avertit la « source », que si Posada Carriles ou quelqu’un d’autre parlait : « Nous aurons notre propre Watergate. »

Dans le rapport de la Direction du Renseignement destiné à Kissinger, cette relation était en partie mentionnée. « [Mots rayés], on dit que le président vénézuélien Carlos Andrés Pérez a beaucoup de sympathie pour Bosch et qu’il lui a permis de voyager librement dans le pays et de solliciter des fonds, à condition que le Venezuela ne serve pas de base d’opérations ou de lieu de refuge. Bosch a soi-disant promis de ne pas participer à des activités terroristes tant qu’il serait au Venezuela […].»

Mais le document le plus étonnant fut celui envoyé par la CIA le 21 juin 1976, à treize agences de sécurité et de renseignement y compris celle de l’Armée, de la Marine, du FBI et l’INR du département d’Etat. A cette date, on savait déjà qu’un attentat contre un avion commercial cubain se préparait. « Objet : plans possibles d’exilés cubains extrémistes pour détruire un avion de Cubana […] Un groupe d’exilés cubains extrémistes, dont Orlando Bosch est le dirigeant, prévoit de poser une bombe dans un vol de la compagnie aérienne Cubana entre Panama et La Havane […]. »

Le rapport de l’INR à Kissinger lui rappelait ce qui précède tout en développant: «  Une source du FBI a dit que [les terroristes] ont fait une tentative, mais que la bombe n’a pas explosé. Une seconde tentative a eu lieu en Jamaïque le 9 juillet, mais la bombe a explosé avant que la valise dans laquelle elle était cachée ne soit placée dans l’avion. […] »

Il n’existe pas la moindre preuve que cette information ait été communiquée aux autorités cubaines. Jusqu’à ce jour, aucun des documents étasuniens déclassifiés, ne fait état de la moindre intention de contacter La Havane. 

Sur la scène internationale, on insistait pour que les coupables soient punis. Washington s’embourbait. Aux Etats-Unis, quelques regards accusateurs tentèrent de se tourner vers la CIA, dirigée par Bush père. Celui-ci fit tout son possible pour que les mécanismes d’enquête judiciaire ignorent l’Agence, même si ces derniers ne montraient pas beaucoup d’empressement à découvrir son implication.

Il arriva alors une chose peu normale. Les médias étasuniens qui donnaient continuellement des informations sur l’affaire la première semaine, se turent peu à peu. Le 16 octobre déjà, le journal canadien Le Devoir se disait préoccupé par la faible couverture médiatique donnée par ses collègues à un tel acte de barbarie. Contre toute attente, l’information dévia radicalement pour se focaliser sur la prétendue responsabilité de Fidel Castro dans l’assassinat de Kennedy. Les média se calmèrent lorsqu’une commission du Congrès réfuta catégoriquement une telle implication.5 A ce moment, l’explosion de l’avion faisait déjà partie du passé. S’agissait-il d’un écran de fumée ? Si tel était le cas, il avait parfaitement fonctionné.

Parmi les nouvelles qui furent mises de côté, figure un câble de l’AFP transmis le premier novembre, qui disait que l’enquête sur l’assassinat de Letelier et celle sur l’avion pouvaient mener à des « révélations dangereuses pour la sécurité des Etats-Unis ». Et que les recherches du FBI s’étendaient déjà hors du pays et s’entrecroisaient.

Jusqu’à ce moment, la DISIP avait gardé pour elle la découverte faite dans les bureaux de Posada Carriles : un plan de la ville de Washington, où figurait le parcours quotidien d’Orlando Letelier, de sa résidence à son lieu de travail.

Les autorités étasuniennes et la CIA en particulier en avaient déjà connaissance. Dans le texte envoyé à Kissinger, le directeur de sa Direction du Renseignement lui disait : « [mots rayés] rapporta qu’une fois Bosch arrivé à Caracas, en septembre, il déclara lors d’un dîner organisé pour collecter des fonds: « Maintenant que notre organisation a bien bossé sur l’opération Letelier, on va passer à autre chose […]. » » Cette « autre chose » serait l’explosion de l’avion.

D’après ce que raconta Morales Navarrete en 1981 dans un hôtel de Miami, au commissaire général de la DISIP de l’époque, comme ce dernier en attesta devant la justice chilienne le 16 décembre 1991, c’est à Bonao que furent planifiés l’assassinat de Letelier et la « destruction d’un avion cubain. » On dit que c’est parce qu’il avait révélé les dessous de tous ces actes terroristes que Morales fut criblé de balles, dans un bar de Miami en 1982. Un assassinat à propos duquel aucun corps de police ne se soucia d’enquêter.

Non content de dissimuler délibérément des informations, le gouvernement étasunien tenta de mettre au point une autre fourberie. Dans le rapport du FBI «Niveau et priorité maximum», il est dit que le 7 octobre 1976, soit un jour après l’attentat, et voyant que les auteurs matériels avaient été arrêtés, quelqu’un, dont le nom est rayé dans le texte déclassifié « était en train de tout organiser pour que Posada Carriles et Orlando Bosch Ávila quittent le Venezuela le plus vite possible […] ». Le 18 octobre, sa Direction du Renseignement informa Kissinger : « [Deux lignes rayées] Actuellement, les Etats-Unis essayent de déplacer Bosch du Venezuela vers les Etats-Unis, où il sera immédiatement emprisonné pour avoir violé sa liberté conditionnelle […]. »

 C’était la meilleure solution. Une fois sur le territoire étasunien, on aurait la certitude que les terroristes ne révèleraient pas d’informations délicates impliquant les intérêts des Etats-Unis et leurs agences de sécurité, la CIA en particulier. Mais ils n’y parvinrent pas.

 Le pardon accordé aux terroristes

Enfin, le 4 août 1987, le tribunal vénézuélien rendit son verdict : vingt ans pour les auteurs matériels et la relaxe pour Bosch. Il ne se prononça pas sur Posada, alléguant que celui-ci était en fuite. Effectivement, le 18 août 1985, après de nombreuses tentatives infructueuses, il s’était échappé d’une prison de très haute sécurité. Le verdict fut rendu après un procès long, saboté, mouvementé, et de nombreuses tentatives de corruption. La juge qui suivait l’affaire pour la partie civile dut se retirer en raison des menaces. Quand, inexplicablement, on transféra le dossier à la justice militaire, le président de la Cour Martiale ne céda pas aux pressions et aux menaces. C’est alors que l’un de ses fils fut assassiné.6

A Caracas, et malgré tous ses antécédents terroristes, on remit à Bosch un passeport « d’urgence » pour qu’il rentre aux Etats-Unis. Avec l’autorisation de l’ambassadeur Otto Reich, un Cubano-étasunien, ex-officier de l’armée, très proche du vice-président George Bush père. Il avait travaillé au Bureau de Diplomatie Publique (Office of Public Diplomacy, OPD ), du Département d’Etat, une unité de guerre psychologique et d’intoxication médiatique créée par Ronald Reagan.7

A son arrivée à Miami, le 16 février 1988, Bosch fut arrêté pour avoir violé la liberté conditionnelle qui lui interdisait de sortir du pays. Bosch avait préféré revenir aux Etats-Unis, alors qu’il aurait pu intenter une action contre le Venezuela pour les années passées en prison. Peut-être sentait-il qu’il ne s’en serait pas bien tiré. Tous les leaders extrémistes d’origine cubaine, vétérans de la Baie des Cochons, disposaient déjà des mécanismes à leur portée pour les mettre au service du terroriste. Henry Adorno, l’un des avocats de l’entreprise Bacardi se chargea gratuitement de sa défense. Il fut emprisonné au Centre Correctionnel Métropolitain, connu aussi comme le “Miami Country Club”.

Le Département de la Justice essaya de l’expulser en juin 1989, mais 31 pays refusèrent de le recevoir, malgré les pressions politiques du Département d’Etat. Seul Cuba exigea qu’on le lui remette, mais ne reçut même pas de réponse. A cette occasion, pour appuyer sa requête, le Ministère de la Justice présenta quelques-uns des documents qu’il avait réclamés au FBI, au Département d’Etat et à la CIA.

Ce fut l’Agence qui montra le moins d’empressement à apporter des informations. C’est à ce moment qu’apparurent certaines preuves que Washington disait ne pas posséder.

Selon les conclusions des autorités judiciaires, Bosch avait participé à plus de trente actions terroristes. Dès que le Service de Migration et de Naturalisation (SIN) annonça la possibilité de l’expulser en tant qu’« étranger indésirable », il commença à recevoir des alertes à la bombe.

Le 17 juillet 1990, le désormais président George Bush père décida de lui “pardonner”, de le dispenser de prison, de le sauver d’une possible expulsion du pays et de lui accorder la résidence à Miami. Deux jours après, le terroriste Bosch quittait la prison à bord d’une voiture luxueuse. Et dire que même le FBI s’était opposé à sa libération !

Le seul journal étasunien à grand tirage qui se soucia de dénoncer un tel procédé fut le New York Times, dans un éditorial incendiaire du 20 juillet: « Au nom de la lutte contre le terrorisme, les Etats-Unis ont envoyé la Force Aérienne bombarder la Libye, et l’Armée envahir le Panama. Cependant, maintenant, l’administration Bush dorlote [coddles] l’un des terroristes les plus connus de l’hémisphère. Et pour quelles raisons ? La seule raison évidente est de gagner les faveurs du sud de la Floride ».

Dans un autre paragraphe, l’éditorial signalait que le Ministre de la Justice ne l’avait probablement pas libéré sur des exigences légales, mais plutôt sous une « visible pression politique qui nuit à la crédibilité des Etats-Unis en matière de lutte contre le terrorisme. »

Ce « pardon » avait des antécédents. Le New York Times du 17 août 1989 dévoilait que la congressiste Ileana Ros-Lehtinen s’était entretenue avec le président Bush pour lui demander la libération du terroriste. C’était là l’emblème principal de sa campagne électorale, qui lui rapporta d’ailleurs une bonne partie des voix. Pour elle, Bosch était un « héros », un « patriote », un « combattant pour la liberté de Cuba ». C’est le fils du président, Jeb, directeur de campagne de Madame Ros-Lehtinen qui avait organisé le rendez-vous.

Lors de ces mêmes journées, le président Bush avait prononcé à Miami un discours retentissant, dans lequel il assurait qu’il poursuivrait les responsables et les complices du terrorisme en quelque partie du monde que ce soit. Il le déclara dans un meeting de soutien à la candidature de Mme Ileana Ros-Lehtinen, d’origine cubaine. Presque au même moment, un communiqué de l’Associated Press annonçait que le FBI considérait Bosch comme « le terroriste numéro un » des Etats-Unis.

Et c’est de nouveau à Miami que quelques années plus tard, le 20 mai 2002, le président Bush, le fils cette fois-ci, parla devant un important auditoire, dont la grande majorité était composée de vétérans du Projet Cuba. Son discours se focalisa aussi sur la « lutte contre le terrorisme » menée par sa Nation. Dans la salle, se trouvait Bosch auprès d’autres terroristes reconnus tels que José Dionisio Suarez et Virgilio Paz. Tous « pardonnés » sur ordre de l’un ou de l’autre des deux présidents Bush.

En juillet 2002, Jeb Bush, alors gouverneur de Floride, nomma Raúl Cantero, le petit-fils du dictateur Batista, juge à la Cour Suprême de cet Etat. Cantero avait représenté Bosch et avait été son porte-parole.

Deux poids deux mesures, car pour le gouvernement étasunien, il existe de bons et de mauvais terroristes. Le 21 janvier 1992, à l’instigation des Etats-Unis, une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU avait exigé de la Libye qu’elle livre deux présumés responsables des attentats contre l’avion de la Pan Am au-dessus de Lockerbie en Ecosse, le 21 décembre 1989, et contre celui de la compagnie UTA au-dessus du Nigeria, le 19 septembre 1989. La Libye refusa et le 15 avril 1992, les premières sanctions économiques entrèrent en vigueur.

Cuba profita du débat et insista pour que le Conseil de Sécurité exige aussi des Etats-Unis qu’ils lui livrent Bosch. La réponse fut décevante: la demande de Cuba n’était pas recevable, car de nombreuses années s’étaient déjà écoulées.

 Questions sans réponses

Orlando Bosch Ávila fut interviewé le 5 avril 2006, par le journaliste Juan Manuel Cao, du Canal 41 de Miami. A la question de savoir si la mort de 73 personnes lui posait un « cas de conscience », le terroriste répondit: « Non, mec, dans une guerre comme celle que nous menons, nous, les Cubains amants de la liberté, tu dois abattre des avions, couler des bateaux, être prêt à attaquer tout ce qui passe à ta portée [...]. »

Dans une autre interview, publiée le 6 octobre 2006, jour du trentième anniversaire de la destruction de l’avion de Cubana, le journaliste Andy Robinson, du journal La Vanguardia, de Barcelone, demanda à Bosch si cette action avait été une « cible légitime ». « Pour moi, c’est une cible de guerre. Il y a beaucoup de choses que je ne peux pas dire. Mais c’étaient des faits de guerre. Et cet avion était un avion de guerre. A bord se trouvaient des Nord-Coréens, des Guyanais. Tous des communistes. Les sportifs rapportaient cinq médailles d’or en escrime [...] Nous nous étions mis d’accord à Saint-Domingue [quand le CORU fut créé] sur le fait que tout ce qui sortirait de Cuba pour rapporter de la gloire à Fidel, devait courir le même risque que nous qui combattons la tyrannie. »

Douze ans auparavant, le 7 septembre 1988, pendant une audience spéciale du Sénat, le sénateur étasunien Thomas Harkin avait posé une série de questions à George Bush père, vice-président et candidat à la présidence.8

L’interpellé n’était pas présent ce jour-là, mais par la suite non plus il ne daigna répondre aux questions, puisqu’il n’y était pas obligé, de par sa haute investiture. En voici deux :

 « [...] l’électeur nord-américain a droit à des réponses de George Bush sur certaines questions difficiles, à propos de ses relations et de celles du bureau vice-présidentiel avec un terroriste international connu, Luis Posada Carriles.

Question 1: Monsieur Bush, que savez-vous à propos de Luis Posada? [...]. »

 « Question 4: Mr Bush, Lorsque vous étiez directeur de la CIA en 1976, avez-vous enquêté sur le rôle joué par Posada et d’autres Cubains dans l'attentat contre l'avion de Cubana? […] Posada était non seulement membre du CORU, mais il travailla aussi sous contrat pour la CIA jusqu'en 1975. […] La véritable question est, compte tenu des liens passés de Posada avec la CIA, de la connaissance qu'avait la CIA de la collusion entre les Cubains et l'attentat contre l'avion de ligne ainsi que l'attentat de 1976 contre Letelier, pourquoi, en tant que directeur de la CIA, n'avez-vous pas eu connaissance de l'existence de Posada à ce moment-là ? Pourquoi aucune action n'a-t-elle été entreprise? »

(Ce texte est un chapitre du livre de l'auteur L’Équipe de choc de la CIA, Le Temps des cerises, novembre 2009)

Notes :

1 Calvo Ospina, Hernándo. Rhum Bacardi. CIA, Cuba et mondialisation. EPO, Bruxelles, 2000. Voir aussi: Vargas Llosa, Álvaro. El Exilio Indomable. Op;cit.

2 Posada Carriles, Luis, Los caminos del Guerrero, Op.cit.

3 Les documents officiels déclassifiés présentés ici, se trouvent sur le site du National Security Archive, un institut de recherche de l’Université George Washington. http://www.gwu.edu/~nsarchiv/

On peut aussi retrouver plusieurs de ces documents dans : Cotayo, Nicanor León. Crimen en Barbados. Ed. Ciencias Sociales. La Habana, 2006.

4 Régulièrement, avant de déclassifier totalement un document, des mots, des phrases et jusqu’à des paragraphes entiers sont rayés. C’est ainsi que des noms et/ou des événements continuent à être cachés.

5 Jean Pierre Clerc. Les quatre saisons de Fidel Castro. Ed. Seuil, Paris, 1996

6 Voir: Herrera, Alicia. Pusimos la bomba... ¿y qué?. Editora Política. La Habana, 2005. Rosas, Alexis et Villegas, Ernesto. El terrorista de los Bush. Editeur non mentionné. Caracas, 2005.

7 Labarique, Paul et Lepic, Arthur. “Otto Reich et la contre-révolution. http://www.voltairenet.org/article13891.html

8 Session du Sénat, 7 septembre 1988. Congrès 100, Seconde Session. Acte du Congrès 134 S 13037. Référence: Vol. 134, No. 131. Washington DC.

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