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Billet de blog 20 septembre 2025

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Le président colombien a parlé de souveraineté. Et maintenant ?

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« Les 40 personnes les plus puissantes de Colombie ». C'est ainsi que le principal magazine colombien, Semana, a intitulé un long article publié en octobre 2001. Sans la moindre pudeur, il reconnaissait que « l'homme le plus puissant de Colombie » était alors le président des États-Unis, George W. Bush. Avec une dignité nationale au plus bas, il précisait qu'il existait d'autres Etasuniens ayant beaucoup de pouvoir sur le destin de la Colombie et des Colombiens : les sous-secrétaires d'État aux affaires politiques et à la lutte contre le trafic de drogue, l'ambassadrice de l'époque à Bogota, le directeur de la Réserve fédérale, le président du sous-comité des opérations internationales du Sénat et le président de la Chambre des représentants. Cette liste comprenait également le chef de mission du FMI et le président de la Banque interaméricaine de développement (des entités contrôlées par Washington). Semana concluait, cerise sur le gâteau de l’ignominie, en affirmant qu’après la présidence colombienne, la deuxième « institution » la plus « puissante », était « le gouvernement des États-Unis ». Derrière venaient les Forces armées et le Congrès colombien. Selon Semana, ces institutions étasuniennes étaient « essentielles » au moment de décider « qui mènerait la guerre » (contre la guérilla). De même, leur « influence » s'étendait à « de nombreux domaines » tels que la justice, les douanes et même « la question pénitentiaire ».

C'est l'héritage d'une nation à genoux que le président Gustavo Petro a reçu.

Illustration 1

Pour une fois, Petro a abordé le sujet et a reconnu, le 15 septembre dernier, que la Colombie « est presque envahie » par les forces armées étasuniennes, sous prétexte de lutter contre le trafic de drogue. Petro n'a pas précisé qu'une partie de cette « invasion » est due à la présence de huit bases militaires, où un lieutenant étasunien peut donner des ordres à un général colombien, ou lui refuser l'accès selon son bon vouloir ; sans compter que les forces du Pentagone peuvent utiliser n'importe quelle base du pays, sur simple demande. Petro a également omis de mentionner que des troupes de plusieurs pays de l'OTAN circulent sans grandes restrictions dans le pays depuis le 31 mai 2018, date à laquelle le président de l'époque, prix Nobel de la paix et responsable de plusieurs crimes contre l'humanité en Colombie, Juan Manuel Santos, a fini par céder la souveraineté au secrétaire de l'OTAN, Jens Stolberg, à Bruxelles, afin d'avoir le « mérite » malheureux d'être un « partenaire global ».

Petro pourrait prendre le temps de parler de ces questions fondamentales, rendant ainsi un grand service aux Colombiens en leur ouvrant les yeux. La gauche et les « progressistes » en ont également besoin, et de toute urgence.

Il est vrai que Petro a mis beaucoup de temps à dire certaines vérités à Trump. Plus exactement, au pouvoir à Washington. Il est vrai que cela ne doit pas être facile dans un pays où les gringos ont commandé à tous les niveaux, comme l'a démontré Semana, et où les forces militaires ont été endoctrinées et formatées depuis avril 1952 par le Pentagone. Cette année-là, la Colombie avait signé le Pacte d'assistance militaire (PAM), le premier du genre en Amérique latine. C'est ainsi que les armes et les instructeurs ont commencé à arriver, utilisés pour combattre les premières guérillas, qui n'étaient pas communistes mais appartenaient au parti libéral.

Il est vrai que la Colombie a été le premier pays du continent où la Doctrine de Sécurité Nationale, créée par le gouvernement Kennedy, fut instaurée dans les forces armées, enseignant à rechercher et à éliminer « l'ennemi intérieur », C'est-à-dire l'opposition politique et tout ce qui s'oppose aux intérêts du grand capital. Elle a été si bien apprise par les militaires et l'oligarchie meurtrière qui dirigeait le pays jusqu'à l'arrivée de Petro (elle continue toujours d'exercer un pouvoir immense) qu'une dictature n'a jamais été nécessaire en Colombie, alors que c'était la mode dans toute l'Amérique latine.

Une autre réalité remonte à 1941: lorsque les États-Unis entrèrent dans la Seconde Guerre mondiale, ils imposèrent au gouvernement colombien le premier pacte d'assistance militaire, qui leur permettait de faire passer des avions militaires sur tout le territoire, ainsi que d’avoir le droit de prendre des photos aériennes à des fins militaires, sans restriction ni formalités particulières. Il semble que seules quelques virgules aient été modifiées dans ce « pacte » afin de le mettre à jour. Ah, l'oligarchie n'a pas accepté de bon gré ce pacte, car ses relations avec l'Allemagne nazie étaient très étroites : Depuis lors, cette classe politique était déjà bien fasciste.

À ma connaissance, ce 15 septembre est la première fois que Petro se lance dans une demande pour que Washington respecte la souveraineté colombienne ; qu'il prononce des mots et des phrases « non sanctas » contre ces démons qui décident pour l'humanité. Et il les a répétés les jours suivants. Petro avait toujours pris soin de ne pas le faire auparavant. Mais ce n'est pas tout : Petro a même annoncé qu'il n'achèterait plus d'armes aux entreprises yankees. 

Et pire encore, il a défié le tyran du quartier, Trump : « Ne me menacez pas. Je vous attends ici, si vous voulez. Je n'accepte pas les invasions, je n'accepte pas les missiles, je n'accepte pas les assassinats ». 

Pour autant que je m'en souvienne, c'est la première fois qu'un président colombien ose le faire. Bon, aucun autre ne s'est intéressé à cette « question ». Petro doit avoir effrayé cette droite servile, cipaye et antipatriotique. C'est vraiment surprenant.

Petro s'était déjà distingué au niveau international en qualifiant le gouvernement israélien de génocidaire, ce que la grande presse a repris pendant quelques jours avant de l'oublier. Et il continue de le répéter, même si le système de renseignement colombien reste celui qui a été mis en place par ce gouvernement génocidaire, en vertu d'un contrat conclu par les gouvernements précédents.

Ces déclarations de Petro sur la souveraineté ont été peu commentées par la presse internationale. Je pense qu'elles les considèrent comme faisant partie des querelles que Trump provoque à travers le monde. Elles les considèrent également comme la réaction d'un « gauchiste » qui commence à « ressembler » à Maduro. L'important est de l'ignorer ou de le délégitimer.

Petro a évoqué la souveraineté lors d'un Conseil des ministres, car on venait de lui annoncer que les États-Unis retiraient leur certification à la Colombie, après 30 ans, sous le prétexte qu’elle n’en avait pas assez fait pour contrôler la production de plants de coca et la sortie de la cocaïne. Bien qu'il ne se soit pas étendu sur le sujet, le peu qu'il a dit était précis, et vous pouvez le voir dans cette vidéo où j'ai placé les extraits sur le sujet, mais en espagnol (1)

Sa réaction était également motivée par le blocus naval ordonné par Trump dans les Caraïbes, prétendument dans le but, selon son perroquet belliciste et chef du département d'État, Marco Rubio, d'empêcher la sortie de la cocaïne qui, selon le récit inventé, proviendrait du Venezuela.

Dans un article précédent, j'ai dit que chaque jour, ce déplacement naval, incluant un sous-marin nucléaire, coûtait au contribuable étasunien entre 7 et 10 millions de dollars par jour. Je me suis trompé, et de beaucoup : près de 50 millions de dollars, selon un responsable militaire à Washington. Et jusqu'à présent, le résultat, selon Trump et Rubio, est plus que ridicule : trois petits bateaux coulés par des missiles, qui coûtent plusieurs millions. Alors que 80 % de la cocaïne sort par le Pacifique, en particulier depuis l'Équateur, un pays très ami des États-Unis (ces dernières années plusieurs bateaux interceptés transportaient de la cocaïne dans des cargaisons de bananes appartenant à la famille du président équatorien, M. Noboa) (2).

Ces derniers jours, Petro semble préoccupé par une possible agression contre le Venezuela. Il l'a exprimé comme jamais auparavant. Et comme aucun autre président. Petro doit sûrement savoir que si Washington décide d'attaquer le pays bolivarien, la Colombie sera contrainte de le suivre. Il doit sûrement savoir que s'il refuse d'accepter cet ordre, voici ce qui pourrait se passer : son hélicoptère pourrait s'écraser, une vieille pratique de la CIA ; ou les forces armées colombiennes pourraient organiser un coup d'État, car elles restent bien endoctrinées et liées à Washington. Et il est difficile pour elles, ou du moins pour la majorité d'entre elles, de refuser d'obéir à celui qui a été comme leur « père naturel ».

Il se peut également que les États-Unis utilisent les nombreuses bases qu'ils possèdent sur le territoire colombien et, sans demander l'autorisation du président de la République, se lancent contre le Venezuela avec leurs grands partenaires : les paramilitaires, de nombreux militaires colombiens, ainsi que les forces de l'OTAN. Lâches comme ils sont, les États-Unis n'attaqueraient pas seuls.

Cette décertification pourrait être une première étape pour diaboliser Petro : il ne fait rien pour combattre le « poison de l'humanité et des États-Unis », comme le répètent Trump et Rubio. Sans tenir compte du fait que ce gouvernement a réalisé les plus importantes saisies de cocaïne, car avec les gouvernements précédents, en particulier depuis le plan Colombie de 2000, qui était censé éradiquer le trafic de drogue, la production et l'exportation ont augmenté de manière incroyable : et dans un pays quasiment envahi, comme l'a dit Petro.

La Colombie est un grand pays, merveilleux, regorgeant de trésors dont seuls quelques-uns profitent à l'intérieur. Et les États-Unis et des autres puissances les leur volent. Petro a enfin parlé de souveraineté. Espérons qu'il fasse quelque chose de concret pour la rendre à la Colombie et aux Colombiens. Il serait bon qu'il commence par demander aux envahisseurs de partir, avant qu'ils ne le renversent ou ne l'assassinent, ce qui revient presque au même. Espérons que les forces armées colombiennes le soutiendront dans cette démarche et que je doive retirer mes propos selon lesquels elles restent étroitement liées au Pentagone. Je le ferais avec grand plaisir. Et je suis sûr que nous serions nombreux à le faire.

1) Presidente Petro: Después de 50 años la "guerra contra las drogas" de EE.UU. es un francaso.

2) Une Autoroute de cocaïne vers l'Europe que Washington préfère ignorer | Le Club

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