
Assidu à certaines émissions de télé, je me vois petit à petit pourtant les abandonner et consacrer plus de temps à la lecture des pages scientifiques de la presse dite papier. Quel repos et quel bonheur ! Françoise Héritier à la place de Christine Lagarde, une vénus de 35000 ans à la place d’un clip de MTV music, ( ne voyez aucun rapport avec les deux personnalités précédemment citées), ou bien encore OpenVIBE au lieu « d’un dîner presque parfait ».
Beaucoup d’articles et d’interviews sur le monde, le vrai, celui dans lequel nous baignons. Pas celui des vedettes de la chanson, du cinéma, du sport et de la politique, mais celui des scientifiques et des penseurs. Celui des créateurs, de ceux qui font rêver, aussi, et de ceux qui font déjà demain. Les universitaires n’ont pas que du talent, ils ont également du génie.
Voyez Michel Serres, par exemple. Quel talent, mais quel vendeur aussi !
Voyons voir, comme le dit p’tit Bob, s’il est possible de l’imiter un peu.
« Avoir du TALENT, cela revient à être apte, n’est-ce pas ! Donc habile, diplomate, et à l’évidence négociateur, bon marchand, donc VENDEUR. »
Michel Serres s’amuse ainsi, à jouer avec les mots. Moi, j’exagère. Faut toujours que j’exagère. J’exagère tout. Toujours. Ecoutez-le, lui, lors de la conférence enregistrée le 11 décembre 2007 à l’occasion des 40 ans de l’INRIA, quand il raconte le mot « adresse », celui de « forêt » et de « Robin ».Tout est disponible sur le site INTERSTICE.
Pendant plus d’une heure, Michel Serres met en évidence une révolution que nous vivons et qui nous contraint à tout changer. Même le droit, et à bien l’écouter, on peut dire, surtout le droit. Pour le philosophe, en réalité, le monde virtuel est une zone de non-droit, à l’instar de ce que fut le bois dans des temps reculés. Il explique et démontre bien, oserai-je « démonte bien » ce sur quoi, pendant des siècles, notre monde a fonctionné. La mémoire est tout le sujet sur lequel il disserte pendant cette conférence. Nous n’avons plus besoin de nos têtes pour emmagasiner. Il illustre son propos en reprenant l’histoire de l’évêque Denis, de Lutèce. Parce qu’une partie de notre corps n’a plus à remplir une des trois fonctions qui lui fut longtemps attribuée, nous nous retrouvons un peu comme la poule devant l’œuf, à nous demander ce que nous sommes. Certains, c’est moi qui parle, imaginent que notre cerveau n’est qu’un récepteur à publicités. D’autres, évidemment, plus sages, pensent, et c’est ce qu’affirme Michel Serres, que « Les nouvelles technologies nous ont condamnés à devenir intelligents ! »
Les conséquences, ne serait-ce qu’en termes d’urbanité, sont énormes. Et l’on comprend pourquoi on parle de révolution. Comme on l’a fait pour le néolithique ou la Renaissance.
J’ai été sur le moment convaincu du tout. Franchement. J’ai d’ailleurs assez peu à dire sur le sujet en terme critique. Il n’empêche. Après avoir été sensible à son ramage, vous savez comment est fait l’esprit, je me suis souvenu, non d’une conférence, mais d’une intervention, je crois que c’était lors d’un Grand échiquier, peut-être dédié à son ami Hergé. Michel Serres avait expliqué le drame dans lequel nous nous trouvions à l’époque. Ce devait être quelque chose qui tournait autour de l’écologie. Il avait montré à l’assemblée une reproduction des deux frères qui se battent de Francisco Goya, et expliquer que cela symbolisait parfaitement le monde dans lequel nous évoluions. Pour faire court, nous nous battions sans nous rendre compte que le sol se dérobait sous nos pieds.
Pour que nos mémoires virtuelles vivent et continuent d’exister, il faut impérativement, au jour d’aujourd’hui, qu’il y ait de l’électricité, comme il fallait qu’il y ait du papier pour que l’imprimerie tournât.
Malgré les signes alarmants de dégradation généralisée liés à la toute puissante croissance, Michel Serres continue de penser que tout se résume à un duel. Comme le jeu télé des années soixante « la tête et les jambes », ou tout simplement comme dans le tableau de Goya qu’on peut regarder sans avoir cet éclair de lucidité qu’il a eu un jour. Il semble l’avoir oublié, sa mémoire lui a fait défaut.
Ce soir, à la télé, y'a DEXTER. Génial!