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Billet de blog 9 mai 2020

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Coronavirus, sexe, plaisirs, santé

Le coronavirus nous donne une occasion de reparler de santé sexuelle et de safer sex (sexe à moindre risques). C'est un retour à la case départ de la prévention.

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Comment la sexualité gay peut-elle survivre avec la Covid-19 ? Que signifie en matière de sexe la distanciation physique et sociale ? Voici une belle occasion de reparler de prévention, de plaisirs et de santé. Car déjà il y a une quarantaine d’année, les gays ont dû réagir face à l’arrivée du sida. C’était toute leur culture sexuelle issue des années 70 qui était remise en question. Ils adoptèrent le safer-sex, un compliqué compromis entre liberté sexuelle et santé.

Aujourd’hui l’irruption du coronavirus survient dans une période où les gays commençaient à croire que l’arsenal bio-médical allait pouvoir les protéger aisément du VIH et des IST, le safer-sex n’avait plus la côte, et toute une culture de la prévention acquise au fil des années sida commençait à s’oublier.

L’expérience de l’innovation sexuelle des gays face au sida pourrait aujourd’hui nous être bien utile pour affronter la Covid-19, et par là même enrichir notre réflexion collective sur la sexualité gay.

Covid-19 : un drôle de remake en accéléré

Les similitudes de cette pandémie du coronavirus avec celle du sida sont flagrantes, sauf que tout s’enchaine à un rythme accéléré. Il a fallu plusieurs années pour voir arriver l’ampleur et la gravité du sida, aujourd’hui la maladie et les informations circulent en continu. Les populations à risque ne sont pas les mêmes, mais comme dans toute épidémie, le mal se propage dès lors qu’il y a multiplication des contacts.

Pour le sexe nous n’avons même pas eu le temps de souffler, du jour au lendemain nous a été imposé le confinement, qui de fait interdit la pratique du multi-partenariat. Les gays plus anciens se souviendront alors de la panique qu’ils ont ressentie au début des années 80, une maladie inconnue, des symptômes inquiétants et aucune réponse médicale convaincante. Quelle sexualité dans ces conditions ? A l’époque la transition prit des années, on inventa peu à peu la prévention, avec bien des hésitations, il était très douloureux et difficile de changer ses pratiques après des années de lutte pour la libération sexuelle. Pourtant la montée des IST tout au long des années 70, leur explosion juste avant l’arrivée du VIH, annonçaient déjà la fin de la récréation.

Ce qui nous tombe dessus aujourd’hui arrive au moment où la fête sexuelle reprenait de plus belle : la fin du sida est annoncée comme imminente, permise par les progrès médicaux, les traitements curatifs ou préventifs semblant promettre à tous de s’affranchir des contraintes du safer-sex. Les gays magnifient une culture sexuelle de la performance où le multi partenariat peut être un agréable art de vivre. Les rencontres sont facilitées par l’existence d’un réseau commercial communautaire et les applis sur smartphones géo localisées. Dans ce contexte de liberté retrouvée, sous assistance médicale, ceux qui osaient lancer l’alerte, en invoquant les enseignements de l’histoire des maladies infectieuses, étaient traités de moralisateurs liberticides.

La menace du coronavirus remet d’un coup beaucoup d’embûches sur notre quête des plaisirs et nous amène à nous poser bien des questions, somme toutes classiques pour tout gay ayant déjà été confronté à la crainte des IST.

Quelle sexualité en temps de Covid-19 ?

Les slogans des premières années du sida indiquèrent l’intention « il ne passera pas par moi » et donnèrent une méthode manquant de fun : « abstinence, fidélité ou préservatif ». Pour la Covid-19 l’abstinence assortie de fidélité devient un confinement rigoureux dans une bulle domestique étanche, et les gestes barrières, dont le fameux masque, indiquent le mode d’emploi d’un safer-contact.

Cette pandémie de coronavirus est une aubaine pour les asexuels, et va offrir à beaucoup d’entre nous une période d’abstinence dont nous n’aurions jamais imaginé qu’elle soit supportable. Pour peu que la fin du confinement soit accompagnée d’un check up de dépistage complet de toutes les IST, et nous voilà prêts à nous remettre en selle en bonne santé sexuelle !

Très vite aussi sur les sites gays et les réseaux sociaux, comme à l’époque de l’émergence du sida, sont apparus les conseils pleins de bonnes intentions pour nous encourager à imaginer des moyens de vivre nos fantasmes en solitaire ou d’expérimenter des plaisirs pas encore explorés : sex toys, le sexe au téléphone ou en visiophone, fétichismes, et ainsi de suite. La Covid-19 suscite tant d’innovations, il généralise l’usage intensif des contacts virtuels, parions que de nouvelles pratiques sexuelles vont surgir.

Mais on n’empêchera pas la plupart des gays d’avoir envie de compenser et de rechercher des partenaires. Les temps sont trop durs pour renoncer aux plaisirs tangibles. D’autant que les fameuses applis de rencontres continuent de fonctionner. Tous ceux qui de toute façon ne concrétisent jamais en les fréquentant ne changeront rien à leurs habitudes : ils iront discuter, fantasmer, sans déboucher sur un lien physique. Le plus compliqué sera pour les habitués des rencontres rapides : comment résister à la tentation si un des contacts insiste et propose la rencontre ? Tous les arguments seront bons pour passer outre le confinement : allez je l’ai déjà eu, ou je m’en fous, mieux vaut vivre heureux que de se morfondre seul, et puis nous sommes jeunes, cela n’est pas très risqué.

Et c’est là que cette épidémie de Covid-19 nous rappelle un principe de base du bon savoir vivre de la sexualité : le sexe est bon, agréable, autant faire en sorte en le pratiquant de ne pas se pourrir la santé. Pour cela il est possible d’adopter des pratiques à moindre risque, c’est le safer sex !

Le retour du dilemme : liberté / sécurité

Et on retrouve des questions d’éthique : qui va l’emporter, mon désir, ma liberté ou la discipline collective qui prône de non seulement se protéger soi-même, mais aussi et surtout de protéger l’autre. Il est beaucoup question avec cette pandémie des méfaits de décennies de développement de l’individualisme. La sécurité communautaire est-elle une atteinte à nos plaisirs individuels ? Il est juste question de responsabilité.

Avec le sida ces dilemmes de la protection ont beaucoup évolué : le séropositif a eu longtemps la hantise de contaminer ses partenaires, il devait protéger les autres. Il a alors subi le rejet de la part des séronégatifs, qui eux étaient paniqués à l’idée de devenir séropositifs. La sexualité gay était devenue complexe, c’est d’abord le safer sex qui a adouci l’ambiance, le préservatif et autres pratiques à moindre risques ont permis aux gays de continuer d‘avoir une vie sexuelle. Puis l’arrivée des traitements a vraiment détendu l’atmosphère : aujourd’hui en prenant son traitement, un séropositif non seulement se préserve de tomber malade mais en plus il ne peut plus transmettre le virus, et donc protège l’autre. La PrEP est venue également rassurer un peu plus, cette fois c’est le séronégatif qui peut se protéger d’une contamination au VIH.

Notons que toutes ces protections médicamenteuses ont des limites : nul ne peut prouver qu’il prend bien son traitement, et surtout ces comprimés ne protègent que du VIH et pas des autres IST. Voilà pourquoi le safer-sex, basique de la prévention reste d’actualité. La pose du préservatif est dans tous les cas un acte visible et assumé de protection mutuelle. Comme le masque aujourd’hui pour la covid : je le mets, et tout le monde constate que je me protège et que je protège mon entourage. Même si porter un masque n’est pas le plus confortable. Et ce n’est qu’avec mes proches, avec qui je suis confiné, que je peux le retirer et me retrouver à nouveau plus libre ! Pour arrêter le préservatif avec mon partenaire, je devais aussi réunir des conditions, connaître notre état sérologique (séronègs, séropos indétectables), n’être porteur d’aucune autre IST, ne pas aller avec d’autres partenaires attraper de nouvelles maladies.

Quand le masque nous rappelle le préservatif

La manière dont le masque a été raillé ces dernières semaines rappellera aux plus anciens l’apparition du préservatif au début des années 80, et pourra interpeller tous ceux qui aujourd’hui dénigrent le safer-sex.

Le masque hygiénique est un nouvel accessoire de notre vie quotidienne, déjà bien intégré dans certains pays. Dès les débuts de l’épidémie de coronavirus certaines personnes l’ont donc adopté, des médecins l’on conseillé, tandis que d’autres tentaient de nous rassurer : mais non, cette contrainte n’est pas vraiment nécessaire, vous pouvez y échapper, ce n’est pas 100 % efficace, c’est difficile à bien utiliser, y’en a de mauvaise qualité, et de toute façon la maladie n’est pas si grave surtout si vous êtes jeune et en bonne santé.

C’est comme le préservatif ! Il a été difficile de le promouvoir et de le faire accepter, il n’était disponible qu’en pharmacie ! On ne savait pas l’utiliser. Le pape l’a même interdit ! Son efficacité contre toutes les IST n’a jamais fait aucun doute, mais ces dernières années, au lieu de continuer à le vanter, on instille au public gay des doutes et des incitations à l’abandonner : il n’est plus promu, on met systématiquement en avant ses limites et on lui préfère les moyens de prévention bio-médicaux. Par exemple on affirme que la PrEP est plus efficace que le préservatif, que la liberté sexuelle c’est pouvoir se passer de capote, que jamais personne ne l’a utilisé pour la fellation et donc qu’on ne se protègera jamais à 100 % des IST. Or si on s’en tient aux enseignements de santé publique, le préservatif est un moyen très efficace pour réduire la transmission des IST, il est très accessible, facile à utiliser, peu coûteux, sa technologie a évolué et le rend plus confortable qu’avant. Pourquoi alors le dénigrer ? Pour le masque on s’est posé la question : pourquoi a-t-il été si mal préconisé par les autorités sanitaires françaises ? Le sujet est débattu et commenté à longueur de journée. Une conclusion fait cependant consensus : la prévention n’est pas le point fort du système médical français, qui sait bien guérir, et moins bien prévenir.

La Covid-19 nous ramène à la case départ de la prévention en santé sexuelle : les comportements humains sont déterminants pour vaincre les maladies infectieuses. La médecine n’est pas toute puissante, nous avons une occasion à saisir pour faire évoluer notre culture sexuelle en rendant nos comportements et nos pratiques plus compatibles avec notre écosystème.

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