Chaque nouvelle alerte sanitaire[1] réveille notre mémoire et nous ramène à l’apparition du sida au début des années 80. Se mêlent alors toujours les mêmes craintes et questions : allons-nous être stigmatisés ? Faut-il prendre au sérieux l’alerte ? Les appels à la prudence ne menacent-ils pas notre liberté sexuelle difficilement acquise depuis les années 70 ?[2]
Car il se trouve que l’origine de notre présence aux toutes premières places dans cette nouvelle épidémie est notre culture sexuelle qui engendre toutes les conditions pour développer un foyer d’infection : intimité physique, multi partenariat, déplacements géographiques au sein de réseaux très structurés[3]. Ce n’est donc pas notre orientation sexuelle qui est en cause mais plutôt la fragilité de notre écosystème sexuel.
Quelle que soit l’évolution de cette variole du singe, son apparition et les premières réactions qu’elle suscite devraient nous inciter à enfin accepter de reconsidérer la politique de prévention en santé sexuelle. Depuis une dizaine d’années on persuade les gays que leur confort sexuel repose essentiellement sur leur couverture médicale. On leur a vendu un nouveau paradigme, pour ne pas dire un dogme[4], qui consiste à se vouer entièrement à l’efficacité de la médecine : dépistages, traitements curatifs et préventifs, vaccinations. Tous ces outils sont bien évidemment efficaces et légitimes, mais tout montre aussi qu’ils ne sont pas suffisants, et surtout que leur promotion massive et sans nuance non seulement n’empêche pas la progression des contaminations, mais pourraient déboucher sur des effets secondaires qui pourraient à terme devenir préoccupants.
Il ne s’agit pas de remettre en cause les prodigieux progrès de la médecine, mais de revenir aux fondamentaux de la prévention : agir en amont, éviter tous les facteurs qui vont nous exposer aux maladies, ne pas avoir à les traiter parce qu’on aura réussi à les éviter. Pour les IST c’est bel et bien notre culture sexuelle qu’il faut examiner et rendre moins contaminante. Et c’est là que l’expérience va nous aider. Pour faire face au sida au début des années 80, les gays ont inventé le safer sexe pour s’adapter sans revenir en arrière. Aujourd’hui ils doivent à nouveau évoluer, pour entrer dans la transition sexuelle[5]. Car il apparait de plus en plus clairement que l’assistanat médical ne fera pas ressusciter le modèle de la révolution sexuelle de l’avant sida.
Le safer sexe innovant et non liberticide de l’après sida reste à inventer. Notre épanouissement sexuel en dépend.
[1] Périodiquement surgissent des alertes sanitaires qui sont dirigées vers les hommes qui ont des relations sexuelles avec les hommes, elles se poursuivent par des campagnes de vaccination : en 2013 méningite C, hépatite A en 2017. Par ailleurs chaque publication annuelle de la surveillance des IST s’accompagne d’articles dans la presse qui soulignent la progression des IST dans la population homosexuelle.
[2] Sur la réaction des homosexuels face à l’apparition du sida, on lira « Les premières années de l’épidémie de sida et la conversion politique du mouvement homosexuel Nicolas DODIER, http://mediatheque.lecrips.net/docs/PDF_GED/S48010.pdf
[3] « L’émergence de l’épisode actuel, préférentiellement dans la communauté homosexuelle masculine, peut donc s’expliquer par la promiscuité des comportements au sein de cette communauté, couplée à son interconnexion internationale et sa mobilité. » Antoine Flahaut
https://atlantico.fr/article/decryptage/variole-du-singe-cette-verite-que-les-autorites-sanitaires-doivent-aux-hommes-gays-communaute-homosexuelle-bisexuels-lgbt-stigmatisation-afrique-equatoriale-transmissibilite-antoine-flahault
[4] Hervé LATAPIE interdit de parler de sexualité gay par Willy ROZEMBAUM. Publication Facebook le 24 mai 2022
Je devais intervenir aujourd’hui à un séminaire de formation de la commission psy du COREVIH Est IdF « La sexualité parlons-en, pistes de réflexion pour les soignants ». J’avais été invité pour exposer mes réflexions sur la prévention des IST auprès des gays et exposer mon concept de « transition sexuelle », ceci en m’appuyant sur tout ce que j’ai réalisé ces dernières années : mes livres Doubles Vies et Génération trithérapie, le collectif Parlons Q, l’animation du pôle santé au Centre LGBT, les chroniques pour Garçon Magazine et Qweek, le site checksex.org (pas encore promu mais cela viendra), le travail de prévention auprès des demandeurs d’asile… Donc oui, ma longue expérience de travail sur le terrain me donne la légitimité d’intervenir dans un tel séminaire.
Mais vendredi matin j’ai reçu un coup de téléphone du professeur Willy ROZENBAUM, président du COREVIH Paris Est pour m’expliquer pourquoi il me serait impossible d’intervenir « en raison de mon opposition connue à la PrEP ». Surpris (estomaqué en fait !) j’ai conversé une vingtaine de minutes (Willy ROZENBAUM est toujours charmant, et je reconnais qu’il était très correct de sa part de m’appeler lui-même pour m’avertir). Comment un professeur aussi emblématique que lui pouvait pratiquer une telle censure ? En se basant sur quelle analyse ? Et surtout dans quel intérêt ? L’oukase ne viendrait pas directement de lui mais des associations partenaires (Arcat, Actions traitements et Aides ?) qui ont protesté et obtenu mon exclusion. Mais il reste d’accord sur le fond : on ne peut pas inviter un opposant à la PrEP dans son COREVIH coordinateur des actions en faveur de la PrEP. Bonjour l’ambiance ! Est-ce ainsi que la science progresse ?
Ma consolation est de me sentir très motivé pour mettre au clair tout ce que j’ai envie de raconter sur la prévention des IST. La sidacratie s’est bâtie un dogme et annonce à grand coups de communication « la fin du sida », manque de chance il y a eu la COVID, il y a la transition climatique, et l’éco-système sexuel des gays vacille : surmédicalisation, chemsex et toujours des IST (jusqu’à cette curieuse variole du singe qui surgit quand on ne l’attend pas). Comme pour le climat, il est peut-être temps de changer nos pratiques et de faire évoluer notre culture sexuelle héritée des années 70. Mais pour cela il faut commencer par accepter de dialoguer.
[5] Santé des gays : pour une transition sexuelle écologique, article du 19 avril 2018, https://blogs.mediapart.fr/herve-latapie/blog/190418/sante-des-gays-pour-une-transition-sexuelle-ecologique