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Billet de blog 19 avril 2018

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Santé des gays: pour une transition sexuelle écologique

Ce texte conclut la série d'articles « La PrEP en questions ». Il préfigure le lancement d’actions visant à répondre au défi de la transition sexuelle : relancer la promotion du safer sex, promouvoir la clinique de la bonne santé et évaluer nos rapports aux produits psychoactifs.

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Ces dix dernières années, tous les choix et orientations stratégiques de la prévention du VIH et des IST en direction des gays placent la médicalisation au centre des dispositifs. On leur propose de s’engager dans une logique de sur-médication, alors qu’ils avaient par le passé massivement adopté une prévention comportementale audacieuse : le safer sex. Ceci implique à la fois, une surconsommation de médicaments, une confiance excessive dans les vertus de la chimie pourvoyeuse de bonheur, et des risques écologiques non négligeables.

Les gays, souvent présentés comme une minorité culturelle innovante, se retrouvent à contre-courant de l’air du temps qui valorise ce que l’on pourrait appeler une médecine écologique. Partout on insiste sur l’impact de nos modes de vie sur notre santé, on souligne les limites de la médecine occidentale orthodoxe qui survalorise la chimie et s’est souvent compromise avec l’industrie pharmaceutique. On se rend compte que la véritable prévention, ce n’est pas de se contenter de dépister les maladies puis de les soigner, mais d’adopter les comportements qui permettent d’éviter de les contracter : améliorer son hygiène de vie (diététique, activités physiques, sommeil, relations sociales satisfaisantes, …), éviter les pratiques à risques (sexuelles bien sûr, mais aussi les consommations abusives), et ne pas entraver nos défenses naturelles mais au contraire les favoriser (notamment les antibiotiques ne sont pas automatiques).

Ainsi, une prévention individualisée, basée sur le principe de « la clinique de la bonne santé »[1], s’articule autour de la notion d’écosystème. La médecine curative, traque les pathologies pour ensuite les combattre et soigner le patient, tandis qu’en s’intéressant à la globalité de la personne et du corps humain, on cherche à ne pas entraver l’équilibre de l’écosystème, au contraire, on essaye de le respecter et de le renforcer. On a donc bien deux logiques, tout à fait complémentaires, l’une efficace pour guérir, l’autre pour prévenir.

Or aujourd’hui la prévention proposée aux gays, fortement marquée et influencée par les progrès spectaculaires des traitements pour les personnes séropositives (les fameuses trithérapies), s’est engouffrée dans une logique privilégiant l’approche médicale et chimique au détriment de l’action culturelle en faveur des comportements sexuels à moindres risques.

On a présenté aux séronégatifs un « nouvel outil », la PrEP, alors même que l’on commence à comprendre que les séropositifs prennent trop de médicaments, et à étudier la possibilité d’alléger leurs traitements[2]. Considéré comme un égal du préservatif permettant de « diversifier » la prévention, la PrEP s’annonce comme un grand espoir et est même vendue comme « le sexe sans peur » selon un slogan venu de San Francisco. Du reste, la couleur de cette pilule sexuelle (le TRUVADA du laboratoire GILEAD) est bleue comme le VIAGRA. Fallait-il faire une promotion massive d’un outil médicamenteux aussi lourd ? Tous les témoins historiques de l’épopée du préservatif sont épouvantés et en colère : pourquoi risquer ainsi de détruire une culture du safer sex qu’il a fallu des années à construire ? Est-il donc impossible de la redévelopper, de la moderniser ?

Et tandis que l’on communique triomphalement sur le pari de l’éradication du sida, grâce à cet usage massif d’un médicament qui promet l’accès à une sexualité plus épanouissante, la quête du bonheur des gays ne semble pas encore achevée : ils s’adonnent à de nouveaux plaisirs à travers la pratique du « Chemsex[3] », utilisant toujours plus de substances chimiques, des produits psychoactifs pouvant mener à des addictions sévères. Dans ce contexte, les pratiques à risques augmentent, et les contaminations par des IST autres que le VIH réapparaissent, en quantité plus importante qu’avant le début de l’épidémie de sida. Certaines de ces infections deviennent plus complexes à soigner, en particulier chez les patients séropositifs.

La libération sexuelle tant mythifiée bute sur une surenchère et débouche sur de nouvelles dépendances : nos plaisirs ne peuvent se réaliser que sous contrôle médical, ils dépendront notamment d’un approvisionnement régulier effectué par l’industrie pharmaceutique et d’un financement mutualisé accepté par la collectivité. La surconsommation de médicaments et autres substances risque d’hypothéquer le confort de notre vieillissement…

Il faut rompre avec cette logique de compensation chimique et retrouver des voies d’épanouissement sexuel plus satisfaisantes. Ce n’est pas le préservatif qui entrave nos plaisirs, ce sont tous les maux de notre société qui nous poussent à consommer des produits chimiques (drogues ou médicaments) présentés comme miraculeux. Les gays doivent entamer une transition sexuelle écologique, ils doivent à nouveau inventer de nouvelles pratiques, comme ils l’ont fait lors de l’apparition du sida lorsqu’il a fallu promouvoir le safer sex. Cette libération sera culturelle et non médicale : le plaisir sexuel est déterminé par notre imaginaire, c’est sur lui qu’il faut agir en le rendant plus compatible avec notre santé et notre bien-être. Vaste chantier à entamer d’urgence !

[1] Expression employée par Patrick Lemoine, dans son livre : La détox, c’est la santé ! Pour une médecine plus écologique et moins chimique, Paris, Robert Laffont 2008.

[2] Voir l’étude ICCARRE inspirée par le docteur Jacques Leibowitch (www.iccarre.net), et l’essai QUATUOR mené actuellement par l’ANRS (http://www.anrs.fr/sites/default/files/2017-10/ANRS_170_quatuor.pdf).

[3] Il faut noter que cet usage de drogues associées exclusivement aux rapports sexuels, notamment le « slam » (drogue par injection), a d’abord été adopté par des séropositifs, et se développe aujourd’hui, en particulier parmi les usagers de la PrEP. Très souvent il est associé à des rapports sexuels sans préservatifs.

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