L'arrêté préfectoral concocté par le préfet Lallement qualifiant de "partis contestataires" les partis ayant appelé à la manifestation du jeudi 9 janvier est tout sauf anecdotique. Il énonce en toute clarté la conception que Macron se fait des institutions politiques. Celle d'une démocratie de façade dont le principe est la continuité du chef, autour duquel gravitent quelques coteries. Dans cette dérive extrémiste du projet gaulliste de mettre fin au "régime des partis", le seul vrai parti est le parti de l'Etat, de son chef et de son projet. Car ce n'est pas rien d'établir une liste officielle de partis contestataires. C'est établir du même coup qu'ils n'ont rien à voir avec l'Etat, qui est le seul parti, au service du chef de l'Etat, qui tient son mandat directement du peuple. Les partis contestataires rejoignent la liste officielle des syndicats contestataires, et le rapport que l'Etat établi avec eux est un rapport de police, une succession de rapports de police. Le seul partenaire des contestataires est le Ministère de l'intérieur.
De cette étatisation de la politique, le Parti socialiste est, plus que la constitution elle-même de la Cinquième République, le principal responsable. Après 1981 et au gré des alternances, et au fil du temps, le parti socialiste est devenu un parti de hauts fonctionnaires et de professionnels de la politique. C'est ce groupe social, cette caste, Piketty emploie cette curieuse expression de parti brahmane, qui a véhiculé Macron jusqu'au sommet de l'Etat. Le parti socialiste est vidé de sa substance. Ce qui en reste découvre avec horreur qu'il est du mauvais côté de la barrière, celle où l'on prend des coups. Le bonapartisme de la cinquième république, dénoncé dès ses origines, mais jamais véritablement advenu, est maintenant une réalité. Dans le régime politique nouveau qui s'est mis en place avec Macron, populiste au vrai sens du mot, s'appuyant directement sur le peuple contre les factions, les partis, les morceaux et toutes les contestations possibles, l'opposition n'est pas la majorité potentielle de demain. Elle est par nature une contestation à surveiller et réprimer. C'est nouveau. Pourtant le régime est formellement démocratique et les élections règlent l'accès aux moyens d'action des institutions politiques. Mais la démocratie ne se contente pas de la forme. Il faut pour qu'elle continue à fonctionner qu'il y ait toujours une alternative politique potentiellement majoritaire dans des élections législatives, et la constitution nous y contraignant, présidentielles. Or la seule menace électorale qu'encoure le macronisme vient de l'extrême droite, qui sur le fonds, ne craint pas que le seul parti soit l'Etat, car elle entend bien en profiter l'heure venue. Si l'extrême droite gagne les élections, l'Etat sera son parti comme il est le parti de Macron. Et la police sera sa milice comme elle est la milice de Macron.
L'absence d'alternative potentiellement majoritaire à gauche est le facteur déterminant de la dérive dictatoriale et violente que connaît notre pays. Le mouvement social, massif, est une chose. Mais sans alternative politique il est réductible en l'acculant par la violence et l'absence de toute négociation. L'Etat-parti ne discute pas avec ceux qui sont inscrit sur la liste infamante. Il les ignore, les tolère, les élimine. ce qui pousse à négocier avec un mouvement social, c'est le risque électoral. Mai 68 n'aurait pas débouché sur les accords de Grenelle si Mitterrand n'avait pas mis De Gaulle en ballottage en 1965. La réaction de juin 68 n'était que temporaire. Il a fallu attendre 1981 certes mais l'histoire ne se fait pas en trois semaines.
Il ne faut pas se laisser affoler par le climat insurrectionnel que Macron provoque délibérément et met en scène avec de vrais gens qui prennent de vrais coups et auxquels il ne parle pas. Certes c'est une expérience politique majeure, et pour les gilets jaunes qui restent dans la course, une initiation. Mais pour l'alternative politique, il faudra du temps, aussi bien du point de vue de l'organisation que des orientations. Il faut l'admettre avant toute chose. Et ne pas s'engager dans des raccourcis qui sont des cul-de sac, des nasses, nasses policières et nasses politiques.
Il n'y a pas de révolution qui vient, ni au coin de la rue, ni à l'horizon.
