Je reviens compléter mes propos sur ce sujet qui m’intéresse tout particulièrement et que j’avais commencé à traiter ici. Malheureusement, nous abordons maintenant le côté rébarbatif. M'enfin, peut-être cela en intéréssera t-il quelques un? Voici donc un petit rappel des théories économiques concernant l’innovation, et plus particulièrement le droit d’auteur. Et je suis preneur de toute correction ou remarques concernant d’éventuelles erreurs d’interprétation. Plus tard, il y aura une troisième et normalement dernière partie pour clôturer tout ça en beauté.
Il s'agit dans un premier temps de nous intéresser à la nature du bien produit. En effet, les oeuvres d'art qui sont diffusées à travers les licences Art Libre, Creative Commons ou GNUart et de manière générale par les distributeurs traditionnels comme la Fnac, sont ce que la théorie économique appelle des biens informationnels. Il ne s'agit pas d'un bien matériel comme une voiture mais d’œuvres dont les caractéristiques économiques font qu'elles se rapprochent des biens publics.
Il s’agit avant tout d’un choix
L'information comme un titre de musique, est un bien non excluable. Cela signifie que l'on ne peut pas exclure un utilisateur même si ce dernier ne participe pas au financement de ce bien et adopte un comportement de free rider ou passager clandestin. Les fichiers téléchargés par peer to peer sont un bon exemple car l'on ne peut pas endiguer la totalité des copies numériques réalisées sans qu'il y ait eu contrepartie financière. Par ailleurs, l'information est un bien non rival. C'est à dire que sa consommation par un individu ne diminue pas la quantité de bien qui reste disponible. Ce n'est pas parce que mille utilisateurs téléchargent un morceau de musique ou un film que l'oeuvre sera dégradée. De manière générale la création d'un bien informationnel nécessite un important investissement mais sa reproduction, son coût marginal tend vers zéro.
Ces caractéristiques économiques font que le bien informationnel pose problème. Le marché des biens culturels est défaillant et son libre fonctionnement conduit systématiquement à un bien-être social sous-optimal. Si la gratuité est totale, alors il n'y aura pas de rémunération possible pour l'artiste ou la personne à l'origine de l'information qui ne sera pas incitée à créer si elle ne peut pas être rétribuée. Ainsi la société ne disposera jamais des œuvres qui auraient permis d'augmenter la richesse collective, elle est donc perdante. Mais si l'on rend payant cet accès à l'information alors certaines personnes dont le consentement à payer ne leur permet pas d'y avoir accès seront exclues du bien informationnel alors qu'elles en auraient retiré un bénéfice sans qu'il n'en coûte rien à la société. Encore une fois la société est perdante. De ce fait l'optimum de Pareto n'est pas atteint car il est toujours possible d'augmenter le bien-être d'un individu sans diminuer celui d'un autre. En conséquent, la question qui se pose alors est d'atteindre un optimum de second rang. Ainsi, la théorie économique des droits de propriété intellectuelle présente ces derniers comme la résolution séquentielle, en deux étapes, des problèmes que posent les caractéristiques des biens informationnels.
Mais alors comment faire ?
Dans un premier temps, c'est l'efficacité dynamique, c'est à dire l'incitation à la création qui est résolue. En conférant un monopole temporaire à son créateur, le droit d'auteur assure à l'artiste un monopole d'exploitation durant un laps de temps défini qui doit lui permettre de bénéficier de suffisamment de royalties pour compenser les investissements qu'il aura réalisés. Lorsque cette protection prend fin, c'est l'efficacité statique qui est favorisée car l'oeuvre tombe dans le domaine public et l'ensemble de la société peut avoir accès à l'oeuvre sans payer le supplément que le créateur réclamait auparavant. Cette solution est manifestement imparfaite car la société doit supporter pendant toute la durée de la protection un prix plus élevé qui sert à rétribuer le créateur, c'est la perte sèche. D'un autre côté le créateur, s'il considère que la durée de la protection n'est pas suffisante pour compenser l'investissement nécessaire, ne sera pas incité à la création. C'est néanmoins cet optimum de second rang répondant aux critères d'efficacité de Hicks-Kaldor qui est adopté. Le coût pour la société ou l'auteur existe, mais il est compensé par le gain social. Tout est bien qui finit bien !!
La durée du monopole accordée est également une source de complications. Elle est en effet la même pour toutes les oeuvres et de ce fait ne prend pas en compte les différences en terme de coût fixe et d'investissement qu'elles ont nécessitées. Une protection courte peut permettre à certains créateurs de rentrer dans leurs frais mais sera insuffisante pour d'autres. Inversement, une protection trop longue permettra à plus de créateurs de réaliser leurs oeuvres mais le surplus de royalties perçus par les créateurs fait que les individus exclus de la consommation peuvent représenter une perte sèche inacceptable en comparaison avec la création permise par une longue protection. Et cela ne prend pas en compte le cas des créations cumulatives. Si les oeuvres d'art peuvent former un terreau fertile d'idées et de créations artistiques, comme l'adaptation en film d'un roman par exemple, alors le coût en terme de royalties peut bloquer l'avènement d'oeuvres futures qui se baseraient sur les oeuvres actuelles.
Certaines solutions ont été préconisées comme le recours au financement public en ce qui concerne les biens culturels. L'incitation à la création est résolue puisque l'Etat se charge de rétribuer les artistes et sa diffusion est assurée en évitant la perte sèche dûe au payement des royalties. Cependant de nombreux défauts viennent heurter cette analyse. En effet la subvention étatique nécessite un prélèvement sous forme d'impôt ou autre taxe qui crée inévitablement une distorsion dans d'autres compartiments de l'économie. Par ailleurs, les biens culturels étant soumis à une demande fortement imprévisible. Dans ce cas, comment calculer le montant de la subvention? En effet les biens culturels sont des biens dits d'expérience, c'est à dire que leur valeur ne peut être connue qu'après l'achat du disque ou du film. Mais comment prévoir la réaction du public et en conséquent décider du montant de la subvention qui peut se heurter au mécanisme d'anti-sélection? Comment être certain qu'il sera égal à celui de la valeur sociale de la création? De ce fait, la subvention est un mécanisme trop rigide face à un marché aléatoire et n'est pas adapté à cause de cet effet d'asymétrie d'information. L'on peut également se pencher sur la question de la valeur de l'oeuvre produite qui dépend largement des relations entre producteurs et utilisateurs, spécialement dans le cas qui nous occupe.
To be continued…