Presque 50 000 albums de musique sont disponibles sur www.jamendo.com. Leur caractéristique principale: la libre distribution. En d'autres termes ces disques sont gratuits et leur téléchargement est légal et encouragé ! Ce chiffre conséquent (et pourtant si peu représentatif du décollage du « libre ») illustre le changement de mentalité, la révolution même qui a gagné le monde de la musique. Reprenant le flambeau des défenseurs du logiciel libre et cherchant à l'étendre aux œuvres artistiques, des licences sui generis (créées de toutes pièces) sont apparues. Si toutes les œuvres artistiques sont concernées, la musique, de par les enjeux financiers qu’elle représente, est la plus sensible au droit d’auteur. Au-delà des évolutions du business classique de la musique que sont les itunes et autres deezer, les licences libres sont véritablement un nouveau business model. C’est une véritable révolution, c’est la notion de création artistique qui est complètement revisitée, et surtout, ça marche du feu de dieu !
Alors, qu’est ce qu’on appelle les licences libres ? Sans démanteler le droit d'auteur originel (droit moral et droit patrimonial), ces licences cherchent principalement à sortir du cadre marchand traditionnel et à dépasser les systèmes de protection traditionnels. L'artiste peut ainsi choisir le système de protection qu'il souhaite mais surtout, il choisit ce que son public peut faire de son œuvre (téléchargement, partage, modification, utilisation commerciale etc., ce qui est extrêmement différent de la protection classique serinée par la SACEM et consors. Attention, il ne s’agit pas de la disparition pure et simple du droit d’auteur et les œuvres sous licences libres ne sont pas exemptes de droits et elles ne sont pas non plus dans le domaine public. Bien au-delà du « gratuit » péjoratif et réducteur, elles illustrent les nouvelles démarches qui animent le créateur quant à l'accompagnement et au suivi de sa création et qui prennent ainsi à contrepied les majors du monde du disque. Car c'est une démarche philosophique, éthique et même parfois marchande qui anime les artistes choisissant de distribuer leurs œuvres sous licences libres. Encourager les gens à télécharger son disque, c’est aujourd’hui la grande classe.
Les modèles économiques traditionnels, déjà bouleversés par les actes de copie illégale et les facilités qu'offre le peer to peer, confrontés à la duplication d'œuvres protégées par le droit d'auteur traditionnel sont ainsi adossés à un nouveau modèle où la non rémunération des artistes n'est plus assimilable au manque d'incitation à la création artistique. En gros : nous seriner à longueur de temps que le piratage nuit à la création musicale, c’est un gros, énorme mensonge.
Acteurs et philosophie
L'organisation Creative Commons date de 2001. Elle provient de la Stanford Law School et a été instaurée par Lawrence Lessig, juriste américain et professeur de droit. Il a créé le Center For Internet and Society. Creative Commons est un type de licence qui se veut à la croisée des chemins entre le copyright et le domaine public.
En juillet 2000, la Licence Art Libre voit le jour. Elle a été initiée par les rencontres Copyleft Attitude. Rédigée par des juristes comme Mélanie Clément-Fontaine, David Geraud et des artistes tels Isabelle Modjani et Antoine Moreau, elle est aujourd'hui solidement établie. Son exemple est intéressant car elle est apparue dans le cadre du droit français mais valide dans tous les pays signataires de la Convention de Berne du 9 septembre 1886 relative à la protection des œuvres littéraires et artistiques.
Les licences libres qui concernent l'art ne cherchent pas à nier le droit d'auteur. Il s'agit seulement d'une utilisation particulière qui cherche à promouvoir les connaissances pour tous : les auteurs, le public et les autres intervenants. Si le copyright est un droit d'interdire alors ces licences représentatives de la mouvance copyleft est un droit d'autoriser. Ces licences insistent sur le caractère social de leurs mécanismes.
Une vague toujours croissante d’artistes adhèrent pleinement aux opinions et au fonctionnement de telles licences. Ils dénoncent la situation archaïque qu'ont mise en place les sociétés de gestion de droits d'auteur comme la SACEM. Ils exposent le choix du Libre comme une réponse citoyenne et morale à la problématique de la création artistique que certains exposent comme bloquée par le téléchargement. Ils sont persuadés de l'importance que prendra ce choix du Libre dans la diffusion de l'art. La transformation sociologique dans l'accès à la musique, au cinéma, à la photographie rend indispensable l'évolution du mode de création artistique. Ils voient également les possibilités au niveau création mais également en terme de débouchés qu'offrent les licences libres. Car ces licences libres ne regroupent pas qu’un rassemblement de hippies jouant mal de la mauvaise musique. Au contraire, c’est un terreau fertile et créatif d’artistes bénéficiant, pour les plus populaires, de réelles opportunités : production de disque, tournées etc… comme les « vrais » artistes…
Le choix moral est récurrent dans leurs propos. Dénonçant les excès du droit d'auteur en termes de répression, de collecte de données personnelles que peut occasionner la traque policière sur internet, ces artistes engagés prônent un art libre et déconnecté du monde marchand et matériel. En ce sens, ces artistes reprennent la philosophie de Richard Stallman (à l’origine du logiciel libre) et mettent en avant la création plus que le créateur. C’est un choix !
Prochainement : petit rappel des théories économiques du droit d’auteur (Ca a l’air ennuyeux comme ça mais restez quand même !).