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Billet de blog 1 janvier 2011

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Les contresens de Yann Moix sur le Contrat social

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Tout cela aurait pu être tout à fait anecdotique. Yann Moix mais comme tous ceux qui n'ont pas lu Rousseau imprime une marque idiote sur le Contrat social. Ayant laissé un commentaire sur son blog relevant les inepties de ses affirmations, cet acharné travailleur de la démocratie l'a fait disparaître dès le lendemain. La récupération des libéraux de Rousseau est tout à fait surprenante et peut être n'ont-ils retenu que les préjugés qu'ils ont toujours manifestés à son encontre pour mieux se les appliquer.

Premier simplisme :

"j’accepte, pour mon bien qui est lié au bien d’une communauté nationale, de ne pas être en mesure, à titre individuel et privé, de bénéficier de toutes les ressources et informations – ce privilège, je l’ai abandonné (démocratiquement) au Président de la République et à son gouvernement"

Aliéner sa liberté au Président de la République et à son gouvernement, c'est oublier la distinction fondamentale entre le législatif et l'exécutif. Autrement dit Moix nous enjoint de servir les intérêts particuliers d'un seul homme ou d'une faction qui aurait pu s'accaparer le pouvoir y compris démocratiquement. Chez Rousseau la Volonté générale n'est pas dans l'exécutif mais dans le législatif. Soumettre sa liberté à l'exécutif c'est précisément tout ce que Rousseau combat. Ici Moix identifie la soumission à la loi, expression de la Volonté générale, à l'allégeance personnelle, donc réinvente la féodalité et une forme d'esclavage tout en se rapprochant davantage de l'absolutisme que de la démocratie. Rousseau invente quant à lui l'Etat de droit contre l'abus permanent de l'exécutif sur la liberté du peuple dont les lois sont les garantes. La souveraineté n'est ni dans l'exécutif, ni dans aucune institution, elle est toute dans le Corps politique qui accepte de s'unir et abandonne ses particularismes au profit de la Volonté générale. La volonté des citoyens, c'est la Volonté générale qui est avant tout un principe de Justice capable d'associer liberté et pouvoir. Rousseau n'aura de cesse de vouloir mettre en garde contre le grignotage permanent de l'exécutif sur le législatif, c'est-à-dire la colonisation de la volonté par la force. Ces deux pouvoirs ne sont pas séparés, ils sont simplement disctincts et c'est bien le pouvoir exécutif qui est subordonné au pouvoir législatif. En cela la démocratie de Rousseau est directe puisque la tâche du législatif est toujours d'inspecter l'exécutif.

Second simplisme :

"Je me cache à moi-même des choses par son intermédiaire – parce que j’ai choisi, accepté de le faire ; par ce que j’admets, tacitement, qu’il en fera meilleur usage que moi, que nous tous rassemblés. Et surtout, je suis conscient que dans cette part de secret, de voile, d’opacité, réside une valeur ajoutée (en terme de sécurité, mais aussi de démocratie) que le dévoilement, que la publicité mettraient à mal"

Le Léviathan ! Eloge de l'Etat tout puissant et du mensonge d'Etat grâce à la collaboration des honnêtes citoyens. Tellement c'est ridicule que je me demande s'il a bien compris "Martine à la plage". Sur le même plan, on retrouve sécurité et démocratie, la démonstration se fait d'elle-même, la force a toujours raison, la loi du plus fort est toujours la meilleure et transcende la Volonté générale. Ce que Moix ne comprend pas, c'est que le Contrat social soutient que l'exercice du pouvoir n'est pas le pouvoir. L'exercice du pouvoir n'est rien d'autre que le bras armé de la Volonté générale, son outil sans lequel elle est impuissante. Au sommet de l'Etat si l'on trouve un gouvernement, ce dernier n'est rien d'autre qu'un intérêt particulier s'il n'est pas subordonné à l'intérêt du Corps politique, c'est-à-dire du peuple. La loi du plus fort n'est pas une loi car elle est arbitraire et ne met pas en jeu un autre intérêt que celui qui veut l'imposer aux autres - "Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir" (CS I-3). De la loi du plus fort ne découle aucune moralité, aucune signification universalisable. Pour résumer dans une démocratie, les rapports de force ont à la fois un point d'accord à résoudre sur le droit et plus encore sur la morale.

Troisième simplisme

"Sans bénéficier des pouvoirs (ni la légitimité) de ceux qui nous dirigent mais surtout, mais essentiellement nous représentent, il se met en face d’eux, au même niveau, à la même altitude. Ce n’est pas, ce faisant, les Etats qu’il insulte, mais les peuples que ces Etats représentent"

Ici Moix reproche à WikiLeaks d'être une volonté particulière qui s'oppose à la Volonté générale, se mettant ainsi en quelque sorte en dehors de la communauté. Il me semble que la Loi dont nous avons parlé un peu plus haut garantit un certain nombre de libertés. Celles de l'expression et de la presse en font partie et sont mêmes inscrites dans la constitution. Au nom de la Raison d'Etat, c'est-à-dire de la sécurité de l'Etat, Yann Moix d'un trait de plume se met lui-même au-dessus de la loi en jouant au censeur ! Il n'a certainement pas lu le Contrat social, ce jeune faiseur d'opinion à la mode ! Tout l'effort de Rousseau est bien de rétablir l'égalité par la force de la législation. D'autre part l'usurpation de la représentation est elle aussi une menace permanente pour la démocratie. La préférence de Rousseau va bien à la démocratie directe mais plus encore à ce qui permet de maintenir la souveraineté du peuple contre l'oppression et la destruction de l'égalité. Aussi, la démocratie rousseauiste porte en son sein le débat contre l'opacité des gouvernants précisément parce que "rien n'est plus dangereux que l'influence des intérêts privés dans les affaires publiques" (CS - III-4).

Pour conclure, l'apparence du savoir n'est pas le savoir, les sophismes de Yann Moix ont sans doute un autre but. Celui d'aveugler, en se réfugiant derrière des concepts inappropriés pour défendre l'absolutisme. Ce que décrit le blogueur c'est un césarisme proche d'un pouvoir sans légitimité (justice et amour) qui est une maladie évolutive vers le despotisme. Prends-garde aux Ides de Mars !

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