Comme il est drôle de constater qu'en ouvrant la boite de Pandore, la créature échappe à son créateur... Depuis que le président de la République s'est engagé sur le sujet de "l'identité nationale", bien peu de choses ont finalement précisé les enjeux de la question. En dehors du fait de séparer le "bon" du "mauvais" Français, le niveau du débat s'enlise dans l'univers des symboles (Marseillaise, drapeau, Assemblée nationale...) et celui de l'immigration. Bref, on ne voit vraiment pas vers quoi précisément il faut nous en tenir pour aborder la question.
Ce qu'il faudrait comprendre c'est qu'une identité au demeurant n'existe pas, pas plus qu'une nation. A partir de là on pourrait refermer le débat. Cependant, le poids de l'histoire et de la culture est bien trop important pour ignorer ce que tout ceci a produit depuis une hypothétique origine française. Car il faudra bien examiner la question du passé pour savoir de quoi nous parlons afin d'en juger la pertinence. En effet, la nation est d'abord une histoire d'imaginaire, comme on pourrait dire tout autant qu'elle est une histoire imaginaire. Vercingétorix, Clovis, Robespierre, Napoléon, De Gaulle... les noms et les images façonnent le grand récit mais aussi sa légitimité et sa loi.
Or tout ceci tient autant du folklore que de l'idéologie. Chaque morceau de l'histoire de France fut interprété, récupéré et reconstruit. C'est pourquoi ce que nous appelons identité nationale ne peut pas se retrouver seulement par le passé, la coutume, la provenance mais bien par un socle commun à la fois de valeurs et une idée précise de la politique. La république comme bien public est le lien nécessaire pour que nous puissions trouver dans la nation ce qui nous identifie. Mais là, il s'agit d'élargir le focus (1) et non de le rétrécir, car la république est d'abord ce qui universalise avant ce qui particularise. Le patriotisme n'est en effet qu'un individualisme contrarié et qui se traduit d'abord par la citoyenneté politique. En fait la communauté des origines ne repose pas sur la race, ni sur la langue ou la culture mais avant tout sur le consentement à la communauté qui est l'acte politique qui place l'individu dans un espace politique commun. En cela l'universalisme républicain a été abandonné au profit à la fois de l'atomisation des individus et la segmentation en catégorie de population voire en les opposant les unes aux autres.
Le piège du débat sur l'identité nationale consiste à figer ce qui est mouvement. En effet, à la fois construction et déconstruction, continuité et rupture, l'idée française ne sera jamais la même pour un paysan du Moyen-Age qui ignore tout de la France, un poilu de la guerre de 14 qui imagine plus le drapeau tricolore qu'il ne le vit et un jeune de la cité qui vit plus qu'il n'imagine être français. Tout ceci serait accablant et dangereux si une fois pour toute était gravée dans le marbre une "identité française" (2).
Aujourd'hui, il semble bien que ce soit l'absence de politique qui conduise à fragmenter plutôt qu'à cimenter l'idée d'une république nationale. Et dans ce mot de politique il faut y mettre la souveraineté, c'est-à-dire la question de savoir Qui commande ? Vide de sa substance, la politique, l'identité nationale tourne immanquablement à la généalogie du droit du sang ou du sol. Ramener la question à un ordre humain relèvera alors d'une prouesse de Titan.
* (1) On peut entendre ce mot comme la mise au point lors d'une prise de vue en rétrécissant ou en élargissant son champ mais aussi dans un sens premier, du latin focus qui veut dire "foyer", le lieu où plusieurs choses se concentrent.
* (2) Pour Jules Michelet la nationalité française est sans fin car elle est "patrie de l'universel". "Ce qui est propre à la France, c'est d'avoir peu en propre, d'accueillir tout, de s'approprier tout, d'être la France et d'être le monde. Notre nationalité est bien puissamment attractive, tout y vient, bon gré, mal gré ; c'est la nationalité la moins exclusivement nationale, la plus humaine" (Jules Michelet - Histoire de France - Tome III).
Billet de blog 5 décembre 2009
République et identité nationale
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