L'Amour aurait donc ainsi si mauvaise réputation chez les philosophes qu'il n'aurait jamais fait l'objet de leur réflexion. Ce préjugé ancré chez ceux qui ne jugent que sur quelques apparences est d'abord l'héritage des moralistes qui ont rarement été tendres avec l'Amour. De Lucrèce à Schopenhauer, leur opinion a crucifié l'Amour sur des planches de niaiseries et d'illusions. A y regarder de plus près, Platon, Spinoza, Rousseau, Kierkegaard, Marx ou Sartre ont dit des choses remarquables sur le sujet. Alain Badiou s'y colle aussi avec un gourmand "Eloge de l'amour" (Flammarion). L'idée de la différence contre celle de l'identité reste intéressante. On ne fait pas Un en amour mais Deux. L'amour est donc collectif et, dans une société qui additionne ses Moi, sans parvenir à ce qu'il soit reconnu totalement l'un par l'autre, la puissance amoureuse vit sous la menace permanente d'une érosion, d'un épuisement, d'une disparition. L'image de l'orchestre est parlante. Des instruments différents ne se mettent à jouer réellement ensemble qu'à la condition de ne pas renoncer à la chose commune, la partition ou les mystérieuses arabesques du chef d'orchestre. Héraclite appelle ça "Harmonie". En attendant la révolte de Vénus, commençons par déjouer les pièges du plaisir transformé en hédonisme libéral, et ceux de l'appétit où chacun est sommé de consommer sans en avoir vraiment l'envie ni même la possibilité.
Il Bronzino -Allégorie du Triomphe de Vénus, 1540-1545