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Billet de blog 13 décembre 2009

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Grippe A : une contagion des affects

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Bien peu de personnes ont, dans un premier temps, fréquenté les 1080 centres de vaccination contre la grippe A disposés sur tout le territoire Un mois après, on a constaté une forte hausse et quelquefois une ruée qui a mis en évidence les carences d'un système voire l'ineptie de la vaccination de masse. Ce qui est remarquable c'est cette forme de terrorisme utilisée par l'Etat pour effrayer la population sur ce qui s'annonçait comme la nouvelle grande peste du troisième millénaire et finalement le grand bide de cette fin d'année. Chacun jugera au mois de mars, retrait peu annoncé mais quasi systématique de l'épidémie, de ce "beaucoup de bruit pour pas grand chose".
Cependant, une nouvelle fois la question s'est posée de savoir s'il fallait d'abord penser à se protéger en se vaccinant ou bien se protéger de son protecteur en refusant la vaccination. Chacun n'étant pas médecin et chaque médecin n'étant pas docte, la responsabilité des pouvoirs publics s'est alors trouvé engagée dans un processus dit du "principe de précaution". Ne sachant à peu près rien de l'avenir, des conséquences sur la santé publique, le principe de précaution permet de ne pas avoir le pire en procédant à un calcul entre bonnes et mauvaises conséquences (1). Le problème pourrait se déplacer alors vers ce que nous mettons dans le bon et le mauvais et, soyons mauvaise langue, pourquoi pas dans le bien et le mal. Ayant délibérément joué sur les peurs, le gouvernement ne pouvait plus faire marche arrière dans cette logique. Ceci a même laissé penser à un moment qu'il pouvait être criminel pour son entourage de ne pas se faire vacciner.
Dès que la peur se met dans la décision c'est l'univers des sorciers qui gouverne le monde. Par la crainte, on peut gouverner tout homme et c'est bien pour nous délivrer de cela qu'il est encore utile de relire Spinoza. Dans la troisième partie de l'Ethique, vouloir ce que l'on ne veut pas et ne pas vouloir ce que l'on veut produit ce qui paralyse une décision éclairée ; c'est la définition même de la crainte (2). Cette peur éminemment contagieuse, car elle multiplie des images au lieu de multiplier les questions, repose sur le désir d'éviter un mal à venir qui pourrait être source d'un mal encore plus grand et cause d'un vouloir qui ne veut pas.
Il faudrait aussi comprendre que la crainte n'est pas un mode de gouvernement pour un Etat qui se doit d'assurer la liberté de ses citoyens. Seulement notre époque par beaucoup de traits vit avec la peur. Les catastrophes à venir sont pourtant déjà là en cela même que nous vivons avec la peur. Que ce soit la grippe A et tout ce qui touche au développement de la technologie, le chômage, c'est-à-dire ce qui touche à nos conditions matérielles d'existence, ou encore les difficultés de la vie commune, privée et publique, notre monde n'est pas sûr alors que le désir de sécurité est constamment alimenté puis agité comme réponse alors qu'il est bien souvent la cause de nos peurs modernes.
Comment en terminer avec nos peurs ? Il sera difficile de se prémunir contre l'idéologie dominante de la toute puissance de la science et du mirage qui consiste à dire qu'à chaque mal correspond un remède. La terrifiante peur de la mort s'est transformée. Disparue de notre société, elle rôde sous d'autres formes à mesure que la science échoue à satisfaire notre désir d'immortalité. Pour revenir au sage Spinoza, sa béatitude, cette intelligence du sentiment - infini principe de l'intuition qui guide la satisfaction de l'âme - fait place à une autre temporalité que celle de la peur. Savoir quitter le petit monde de nos arrangements avec la crainte et l'espoir pour celui de la vie, serait cette heureuse tâche et joyeuse leçon de sagesse inaugurale que le temps de la grippe A ne peut à son tour contaminer.
* (1) Le principe responsabilité de Hans Jonas reste toujours une stimulante réflexion de ce concept et d'une constante actualité.


* (2) "Cette affection d'ailleurs par laquelle l'homme est disposé de telle sorte qu'il ne veut pas ce qu'il veut, ou veut ce qu'il ne veut pas, s'appelle la Peur ; la Peur n'est donc autre chose que la crainte en tant qu'elle dispose un homme à éviter un mal qu'il juge devoir venir car un mal moindre." (Ethique III - scolie de la proposition 39).

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