Noël est traditionnellement une fête chrétienne. Pourtant, elle emprunte au paganisme, ce qui ne laisse d'étonner quand on comprend que l'avènement du christianisme est autant une affaire politique qu'une affaire de croyance. En effet, outre les Saturnales (du 17 au 24 décembre) qui célèbrent le solstice d'hiver, la fête de la naissance, de la nativité, reste, chez les Romains, associée au culte solaire de Mithra. Le Sol invictus (Soleil invaincu) correspond à la naissance du jeune dieu solaire, inspiré du culte d'Apollon et célébré le 25 décembre. Lors des Saturnales, il se produisait quelque chose de tout à fait étonnant. Les esclaves devenaient pour un moment les maîtres.
On peut d'ailleurs trouver curieux que notre Père Noël soit de nos jours le maître à croire des enfants et peut être aussi un peu l'esclave consentant des parents et de la société de consommation ; car sous l'apparente trêve de Noël se cache aussi une activité débordante de la société capitaliste. C'est sur ce moment de l'activité et du travail qu'il faudrait revenir. Jérôme Carcopino a calculé le nombre de jours obligatoirement fériés à cause des fêtes romaines au cours du second siècle de notre ère. Il s'élève à 182 jours ! (1)
Au sujet de la fête, on peut constater que les Romains avaient sans doute dépassé le stade du travail. La société esclavagiste - l'idée d'une société romaine reposant sur une économie esclavagiste est d'abord une typologie marxiste - se fondait sur cette possibilité car ce n'était pas le travail réservé à la condition servile qui l'animait mais une plus haute idée de la dignité de l'homme consistant à consacrer son temps à la politique et à l'otium, c'est-à-dire aux loisirs qui permettent de pratiquer des activités proprement humaines. La société des loisirs était déjà dans la Rome de Virgile.
Maintenant, relevons les analyses d'Ernst Bloch sur la fête populaire comme "plus belle des manifestations de l'esprit communautaire" et "union heureuse avec l'esprit" (2) ce qui selon lui est non seulement possible mais souhaitable dans une utopie qui supprimerait le travail grâce au machinisme. C'est alors que notre notion de progrès social s'en trouve quelque peu bousculée. L'utopie marxiste semble revisiter ce que le miracle romain avait su créer pendant près de 1000 ans. Ainsi, il est cocasse de constater que la valeur travail n'était pas partagée par toutes les sociétés dans tous les temps. A-t-il fallu attendre saint Paul est son "Celui qui ne travaille pas, qu'il ne mange pas non plus" pour nous faire penser que nos chaînes devaient aussi se forger à la mamelle d'une mère nourricière ?
La fête assure un lien pour la communauté aussi sûrement que le travail, comme sa privation, est source du conflit interne de la société industrielle et de service. Le peu de place que nous occupons à nous fêter, nos seules fêtes n'étant qu'un vulgaire dérèglement de la pulsion d'achat, réduit le monde un peu plus chaque jour à un grand supermarché.
Sans idyllisme, la leçon de la fête romaine indique le moment d'une abolition de la classe sociale par la joie. C'est cette gaieté qui prend pourtant racine dans la gravité et l'étonnement d'un commencement, d'une naissance, qu'on espère encore retrouver dans la fête de fin d'année. Si cela est vrai, il n'y a pas de travail qui ne mène au repos et au principe d'égalité, qui n'est autre que chacun suffise à son besoin selon son aptitude. Puisse le souffle des Saturnales vivifier encore cette pensée.
* (1) Rome à l'apogée de l'empire (Pluriel), p. 237.
* (2) Le principe espérance - Tome II.
Billet de blog 25 décembre 2009
A nos fêtes romaines
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