En ce temps-là, la police était déjà la police.
"En France la sanglante et inutile offensive de Nivelle sur le Chemin des Dames se soldera du 1er avril au 9 mai par une hécatombe de deux cent soixante et onze mille morts provoquant de multiples mutineries dans l'armée où le calme ne fut rétabli que par l'intervention de Pétain. Les troubles se multiplièrent jusque sur le pavé parisien où Jacques Prévert, assistant par hasard à une manifestation antimilitariste, vit des poilus en permission qui chantaient "L'Internationale" et "A Craonne sur le plateau" - lieu des plus atroces combats à l'est du Chemin des Dames - se faire rudement matraquer par la police. Sa révolte face à ce comportement lui valut d'être arrêté rue du Four et bastonné à son tour. "Les soldats piétinés par les flics, se souviendra-t-il. Je donne mon avis. Arrestation. Pour la première fois, je suis sérieusement amoché place Saint-Sulpice." [J. Prévert, "Notes préparatoires".] Amené au poste de police de la rue Danton il fut stupéfait de voir les gardiens de la paix lui fourrer un rasoir dans la poche et lui tendre une déposition, toute prête, à signer. Devant ses protestations indignées il goûta - comme hier son copain André Tiran - aux joies viriles du "passage à tabac". Il rentra rue du Vieux-Colombier les yeux pochés, les lèvres tuméfiées, le corps couvert de bleus. Révolté pour la vie mais assez fier de lui : il n'avait pas signé la déposition préparée par les cognes ! Il parlera d'expérience en écrivant dans les années 30 son premier poème à avoir été mis en musique par Joseph Kosma :
"Boulevard Richard-Lenoir j'ai rencontré Richard Leblanc
Il était pâle comme l'ivoire et perdait tout son sang
Tire-toi d'ici tire-toi d'ici voilà ce qu'il m'a dit
Les flics viennent de passer
Histoire de s'réchauffer ils m'ont assaisonné"
[J. Prévert, "Histoires et d'autres histoires", "A la belle étoile".]"
Yves Courrière, "Jacques Prévert, En vérité", Yves Courrière et Gallimard, 2000.
En ce temps-là, la police était la police.