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Billet de blog 24 janvier 2025

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À Tbilissi pendant les manifestations, la solidarité des étranger·es sous pression

La capitale géorgienne est depuis le 28 novembre dernier le théâtre de manifestations spontanées qui continuent après plus de 50 jours de bloquer tous les soirs de l'avenue Roustavéli, principale artère du centre-ville. Un certain nombre d'étranger·es participent à l'effort à leur échelle, mais voient leur action entravée par les pressions du pouvoir central.

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Tbilissi (Géorgie).- Nous sommes fin décembre et je me dirige vers le centre-ville sous un soleil d'hiver pour retrouver Vova, un jeune Biélorusse habitant en Géorgie depuis quelques années. Il dirige avec un ami géorgien le café Ruby qu'ils ont ouvert tous les deux à l'automne dernier. Dans la nuit du 28 novembre alors qu'une manifestation était en cours devant le parlement non loin du café, ce dernier a été submergé par une foule en panique. La police faisait usage de la force pour la première fois, et de nombreux commerces, bars, restaurants à proximité du parlement avaient alors tenu lieu de refuges pour les manifestant.e.s fuyant le gaz lacrymogène qui saturait l’air de l’avenue. « Les gens sont arrivés, on ne pouvait pas les rejeter. On a compris qu’on se devait de les accueillir » me dit-il.

L'annonce de la suspension des processus d'intégration à l'Union Européenne par le premier ministre Irakli Kobakhidze avait en effet été suivie d'un mouvement de contestation national, caractérisé à Tbilissi par des rassemblements massifs devant le parlement, réprimées violemment par la police géorgienne; utilisation de canon à eau, de gaz lacrymogène, tirs de balles non létales (caoutchouc), arrestations arbitraires et passages à tabac. Les citoyen.ne.s y avaient répondu par des lancers de projectiles, l'utilisation de mortiers d'artifices et la tenue de barricades. Au bout d'une dizaine de jours, les manifestations se sont faites plus calmes, mais parvenant à chaque fois à bloquer l'avenue Roustavéli, principale artère du centre-ville.

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Tirs de feux d'artifice sur le parlement géorgien, Tbilissi le 09 décembre 2024 © Hicham El Bouhmidi

Des étranger.e.s solidaires du mouvement

Après ce premier évènement, Vova et ses collègues ont fait le choix de s’investir pleinement en soutien aux manifestant.e.s. Grâce à des stories publiées sur instagram, iels ont pu lever des fonds pour acheter du matériel de protection à destination des manifestant.e.s, et ont commencé à organiser des distribution de thé, café et nourriture dans leurs locaux et sur l’avenue.

Cette entraide a été rendue possible par la présence de bénévoles, qui se sont présenté.e.s de manière spontanée après avoir pris connaissance sur internet de l’initiative de Vova et ses collègues. Parmi ces volontaires des géorgien.ne.s bien sûr, mais aussi des russes. Selon lui, « certain.e.s [russes, NDA] aident aussi car iels se sentent coupables ». Une partie des géorgien.ne.s tolère en effet difficilement la présence d’autant de ressortissant.e.s russes arrivé.e.s en masse après le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022.

Le Rêve Géorgien, parti au pouvoir depuis 2012 a adopté depuis quelques années une rhétorique très proche de celle de Moscou allant jusqu’à copier des lois phares de la répression poutinienne, telles que les loi sur les « agents de l’étranger » ou contre la « propagande LGBT ». Ce phénomène déjà été vu dans d’autres pays ex-membres de l’Union Soviétique comme au Kirghizstan ou au Kazakhstan par exemple. Il est souvent identifié comme trace d’une influence bien moderne du Kremlin sur ses anciennes républiques, dont beaucoup de géorgien.ne.s souhaiteraient se débarrasser définitivement.

Jenya fait partie de ces russes venu.e.s aider l’équipe. Pour cette ancienne journaliste de 30 ans, qui a quitté la profession face aux risques que son exercice représente en Russie, prendre part à l’effort de solidarité apparaissait comme une évidence. « Je ne pouvais pas faire autrement [que d’aider, NDA] en tant qu’être humain face à la situation politique du pays dans lequel je vis » me glisse-t-elle en esquissant un sourire.

Face aux pressions, la peur

Cet élan de solidarité n’a pourtant pas fait l’unanimité dans la communauté russe de Tbilissi. Outre l’indifférence de certain.ne.s, la peur semble avoir une place importante dans la retenue dont une partie des russes – pourtant politisé.e.s – ont fait preuve. Jenya raconte ainsi avoir été « disputée par [ses] ami.e.s » pour son engagement, sous prétexte que ce ne serait « pas sa guerre ». Mais elle ne leur en tient pas rigueur : « Ils ont peur pour ma sécurité et je les comprends. Je sais que si je sors de Géorgie maintenant, personne ne peut dire si la police aux frontières me laissera revenir. »

L’ancienne journaliste fait référence aux interdictions de territoire dont un certain nombre d’étranger.e.s, notamment des journalistes et militant.e.s russes et biélorusses ont fait l’objet depuis 2022. Ces décisions sont attribuées sans justification, motif ni préavis. Plus récemment, l’ONG Civil Society Foundation faisait état le 11 décembre de plusieurs dizaines de ressortissant.e.s étranger.e.s ayant reçu des convocations de la part du ministère de l’intérieur géorgien après avoir participé aux manifestations. L’ONG critique ces convocations qu’elle estime « sans fondements juridiques » et appelle à leur arrêt immédiat.

En parallèle de ces actes d’intimidation, le ministère de l’intérieur déclarait le 04 janvier avoir déporté 25 ressortisant.e.s étranger.e.s suite à une décision du tribunal en lien avec leur participation aux manifestations. Pour certain.ne.s, la déportation pourrait avoir des conséquences dramatiques. C’est le cas de Vova ; en situation régulière mais sans titre de séjour, ni nationalité géorgienne il se sent fragile. « J’ai déjà quitté les tortures, les arrestations, donc tout ça m’inquiète » ajoute-t-il l’air soucieux. Il a choisi de partir sans retour en 2020 du Bélarus, alors en proie à une répression d’une violence inouïe face aux manifestations historiques qui traversaient le pays.

Si lui n’est pas poursuivi dans son pays d’origine, et pourrait donc passer entre les mailles de la répression à son retour hypothétique au Bélarus, ce n’est pas le cas de toustes ses compatriotes contraint.e.s à l’exil. Il m’explique qu’un de ses amis, travaillant aussi dans un café à Tbilissi n’a d’autre choix que d’être extrêmement vigilant car en cas d’extradition vers la Biélorussie, une peine de prison longue et injuste l’attend.

Prudence et autocensure

Ces raisons ont poussé Vova à rendre les activité du café plus discrètes. Les bénévoles préparent désormais les thermos de thé et la nourriture chez elleux et les mentions de soutien aux manifestations ont été retirées des réseaux sociaux de l’institution. D’autre part, le jeune restaurateur craint des représailles juridiques ; de son expérience, les établissements qui ont suivi le même chemin de solidarité au Bélarus ont été fermés ou poursuivis au cours des quatre années qui se sont écoulées depuis.

Cette inquiétude est partagée par Tchi gérante de Kitchen Bon, un bar japonais également installé à proximité du lieu des manifestations. La jeune femme, elle même japonaise et vivant en Géorgie depuis 2020 a spontanément choisi de venir en aide aux manifestant.e.s par le biais de la cuisine. Armée de quelques ami.e.s et de larges marmites, elle s’est rendue sur l’avenue tous les soirs de la première semaine de manifestations pour préparer de la soupe qu’elle distribuait gratuitement. Elle est devenue connue sur les réseaux sociaux géorgiens à cette occasion, après quelques interview dans des médias indépendants.

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Sato et Tchi à Kitchen Bon, Tbilisi © Hicham El Bouhmidi

Si elle dit ne pas avoir vu au prime abord de risque dans ses actions, elle est désormais plus vigilante depuis que « [ses] ami.e.s russes, géorgien.ne.s et kazakh.e.s [lui] ont conseillé de faire attention ». Elle aussi craint désormais être prise pour cible en raison de sa notoriété liée aux manifestations. Un soir, des personnes non identifiées sont venues insulter les clients du bar depuis la rue avant de jeter une pierre sur la vitre.

Il n’est pas possible d’établir de lien précis entre le soutien de Tchi envers le mouvement populaire et cet évènement, mais il n’est pas sans rappeler les agressions violentes perpétrées sur des membres de la société civile géorgienne au cours des dernières semaines. Ces journalistes, artistes ou activistes critiques du régime ont été pris pour cible par des hordes d’hommes masqués et vêtus de noir. Beaucoup des victimes de ces attaques ont du être hospitalisé.e.s au vu de la brutalité des agressions subies.

Alors que la répression s’installe, petit à petit les voix sont contraintes à baisser d’un ton. L’affiche à l’entrée de Kitchen Bon n’annonce plus de soupe « gratuite pour les manifestant.e.s », mais « gratuite pour toustes ». Le café Ruby n’est plus identifié sur les profils instagram de toutes et tous comme point de chute, mais tout le monde sait qu'il reste toujours ouvert tant qu’il y a des manifestant.e.s sur l’avenue. Les voix baissent mais ne se taisent pas.

*Le prénom a été modifié

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