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Billet de blog 30 juin 2016

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Les expos vu par Hilde Teerlinck, PUNK au MACBA

L’insoutenable légèreté de l’être ou PUNK IS DEAD. Le Punk est d’abord un mouvement social, une attitude avant d’être un style ou une expression artistique spécifique selon Hilde Teerlinck. D'ou l'erreur que semble cautionner cette exposition en ne mettant pas suffisamment en avant les prémices chronologiques et historiques d’un mouvement qui fut social avant d’être artistique.

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 L’insoutenable légèreté de l’être ou PUNK IS DEAD

J’ai lontemps hésité à écrire un article sur l’exposition ‘PUNK’ qui se tient en ce moment au Musée d’Art Contemporain de Barcelone.  D’abord parce que j’ai de la sympathie et du respect pour son commissaire: David G. Torres.  C’est un ami avec lequel j’ai souvent collaboré (en particulier dans le cadre de la 25° édition de l’Université d’été QUAM) et qui a participé à des catalogues que j’ai publiés.

Malheureusement l’exposition en soi est plutôt décevante, le discours qui la sous-tend plus que discutable.  Bien sûr (et avec une thématique pareille c’était prévisible) le vernissage s’est révélé éclectique.

Mais c’est l’article de Ramon de Espana que j’ai lu dans El Periodico du 22.05.2016, intitulé « Sic transit gloria punk », qui m’a fait  changer d’opinion et qui m’a incité à risquer le commentaire suivant.

D’abord on peut être gêné de l’analyse que fait ce journaliste de la situation (inquiétante) que vit le musée en ce moment.

Je cite : «Toujours, quand je passe devant le MACBA, j’ai l’impression de me confronter à une forteresse menacé par des « barbares ».  Je m’imagine le directeur comme un personnage digne d’un roman de J.G. Ballard, qui regarde à travers la fenêtre de son bureau les troupes de l’ennemi préparées sur l’esplanade.  Il doit se demander quand aura lieu l’attaque finale et décisive qui verra les rampes du musée se rempliront de skateurs, prêts à mettre feu aux installations et aux œuvres.  Heureusement pour lui, ces barbares sont des jeunes alternatifs, qui s’intéressent plus aux pirouettes qu’ils exécutent et qui respectent les frontières intouchables du musée.  C’est d’ailleurs un lieu où il ne songent même pas un moment à entrer.  Je doute qu’ils le fassent pour aller voir l’exposition qui s’y tient en ce moment.  Car l’image du « punk » se repère davantage sur leurs visages que dans les pièces exposées.  (…) ».

Dans un contexte où la politique culturelle de la Ville de Barcelone et de la nouvelle direction du Musée cherche à ouvrir l’art contemporain à un public de proximité tout en ayant une audience plus large, il est facile de se laisser séduire par des propositions spectaculaires qui viseraient un succès de facilité. Des institutions qui ne résisteraient pas à la pression politique, peuvent insidieusement devenir des lieux d’amusement, des « cirques » où le chiffre des visiteurs primerait sur la qualité de la programmation. Ainsi, il arrive que l’on confonde un certain folklorisme à teneur populiste avec la culture. 

Le choix du thème de l’exposition est donc également à comprendre dans ce contexte.  Le musée veut s’affirmer comme un lieu « ouvert » – et ouvert même aux cultures marginales qui semblent le contester en tant qu’institution, idée qui ne manquera pas de faire grincer certaines dents. L’exercice est d’autant plus périlleux qu’il faudrait rendre accessible à un vaste public une réflexion exigeante autour d’une thématique controversée voire non conventionnelle.

Car si nous parlons de « PUNK », il faut parler clairement, c’est-à-dire sans mâcher ses mots.  Le Punk est d’abord un mouvement social, une attitude avant d’être un style ou une expression artistique spécifique. D'ou l'erreur que semble cautionner cette exposition en ne mettant pas suffisamment en avant les prémices chronologiques et historiques d’un mouvement qui fut social avant d’être artistique.

Le commissaire a certes voulu souligner la prégnance du « sentiment » ou de l’esprit « punk » non seulement en Angleterre mais également dans d’autres aires culturelles comme le Pays basque ou la Catalogne. Clin d’œil un peu facile voire rapprochement complètement artificiel, dont la dimension « politiquement correcte » est à des années-lumière de l’esprit « punk ». Ainsi, il y a malheureusement très peu de pièces dans la sélection qui dérangent, qui fâchent ou qui choquent.

Moi-même, Hilde Teerlinck, je suis née dans les années soixante et j’ai grandi dans des milieux populaires où l’influence du punk était présente.  Or je dois avouer que très vite je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un mouvement éphémère, d’un coup magistral pensé par des gens du marketing ou de la mode comme Malcolm Mc Laren ou Vivienne Westwood.  Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que les « Sex Pistols » ont eu une existence relativement courte.  Ils ont d’ailleurs été remplacés par un autre modèle : PIL (Public Image Limited) dont l’histoire a été documentée dans le film génial « The Great Rock & Roll Swindle » de Julien Temple.

Le post-punk qui est né juste après est un mouvement caractérisé au contraire par une approche plus intellectuelle, plus conceptuelle.  Là nous parlons de l’influence de Joy Division, Throbbing Gristle, Psychic TV, Fad Gadget, Iggy Pop et même David Bowie.

Si on visite une exposition intitulée « Punk » on s’attend pour le moins à être submergé par l’esprit rebelle de l’époque où les actions des « Punk » étaient ressenties come des gifles en pleine face. Or force est de constater que cette magie de la révolte n’opère pas et que notre attente est déçue.

Certes, il y a des œuvres de très grand choix.  Ma préférée sans doute est la voiture « NO FUTURE ? » de Jordi Colomer et la vidéo qui l’accompagne.  C’est une très belle pièce, théâtrale et romantique à classer plutôt dans la catégorie néo ou post-punk.

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Il en va de même des photos de Itziar Okariz, urinant debout dans l’espace public qui ont la même force que les œuvres de Mike Kelley ou Martin Kippenberger.  Il est donc dommage que l’installation de ces pièces dans l’espace ne soit pas optimale.  En effet, elles auraient mérité une salle pour elles toutes seules.  C’est le cas aussi de la pièce « TEREMOTO » de Tere Recarens (sans doute la meilleure installation qu’elle ait jamais réalisée).  Or ce qu’on nous présente est une copie trop réduite de l’œuvre originale, qui plus oubliée dans un coin du musée, derrière des cordons de sécurité.  Voilà qui n’est guère « punk ».  Une autre pièce magistrale est « Guitar drag » de Christian Marclay, surdéterminée par des références sociales et politiques qui ne peuvent laisser personne indifférent. Malheureusement elle n’est pas mise en valeur de par sa confrontation maladroite avec une sorte de collage d’objets (un mauvais Carlos Pazos dirait-on) : une bicyclette qui traîne des guitares acoustiques. Le dialogue visuel entre ces deux œuvres s’avère inopérant.

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Par ailleurs, je m’interroge sur ce que viennent faire des figures comme Nan Goldin, Tracey Emin, Jean-Michel Basquiat ( !?) dans la sélection.

Une autre faiblesse de cette sélection qui se veut pourtant muséographique tient au fait que certaines pièces n’y figurent qu’au titre de simples copies. Absente la sculpture de Gavin Turk transformé en Johnny Rotten, mais à la place une image photo assez minable de la pièce.  Comme elle est installée stratégiquement à l’entrée de l’exposition, il n’y a pas meilleure incitation pour vous faire faire directement demi-tour. 

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Cependant, certaines œuvres peuvent irriter. C’est le cas de l’orchestre mécanique inventé par Marcelli Antunez. 

Cette installation fascine bien sûr les enfants et le grand public, qui sans doute n’ont jamais vu une sculpture de Jean Tinguely.  Car c’est ce que réussit l’exposition sans trop de difficultés: amuser.

Par contre, en tant que professionnelle du monde de l’art, je me demande si cette ambiguïté n’est pas contre-productive voire dangereuse? Jusqu’où devons-nous ou pouvons-nous nous en voulant plaire aux publics ?  On se surprend à souhaiter : heureusement que « punk est mort », ce qui n’est évidemment pas le but avoué de l’exposition. Et si c’était cela la légèreté de cette rébellion ?

Hilde Teerlinck

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