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Esquisse. Et le serment du jeu de paume ne s’appréhende plus que par ce brouillon, à l’encre brune et noire majorée de craie blanche, une oeuvre patrimoniale précieusement conservée au Musée national du château de Versailles et que l'on ne regarde plus à force de la voir. Quant à l’huile sur toile, si elle existe, elle demeure inaboutie. Pire : terne, sans âme, tant détails et autres rehauts de couleurs et de lumière lui font défaut. Et l’on ne peut qu’imaginer, vibrant pour le beau moment, l’œuvre achevée. Mais que dit l’absence ? Fruit du seul hasard ? Des seules heures sombres à venir ?
Car la composition est fine : le geste grave et bâtisseur de Bailly (s’engager à ne pas se séparer avant d’avoir rédigé une constitution), draine vers lui l’élan des députés repliés en ce lieu. Elle est aussi éclairée, disant acteurs et idéaux : le seul député refusant l’acte sacrilège, Martin Dauch, comme prostré sur sa chaise, est pressé par un autre et protégé par un troisième... un habile raccourci, l'image ne disant pas la fuite salutaire de l'élu et le repenti plus tardif de ses pairs : liberté de conscience et d’expression ! Comme la réconciliation, menée in extremis par l’abbé Grégoire, entre le moine Dom Gerle, défenseur d’une France catholique, et le pasteur Rabaut-Saint-Etienne faisant valoir les droits des protestants. Ou comme Barère rédigeant son journal, la plume connectée au regard. Et que dit l’embrassade entre le député du Tiers-Etat de Colmar, Reubell, et le curé Thibault ? La fin de la société d'ordres, soit l’égalité ! Et les deux jeunes gens soutenant le vieillard qui s'anime ? La solidarité ! Le tout, avec le public associé d’un geste à la prestation par Pierre-Louis Prieur. Et alors que le vent de la liberté soulève les rideaux, la foudre frappe la chapelle de Versailles… Assentiment divin couronnant celui du vieillard qui bénit de sa main, épuisée, l’audacieuse résolution.
Or, si l’œuvre n’est qu’esquissée, n’en est-il pas de même de la Révolution de 1789 ? Ce public, fragile sur les hauts murs, n’est-il pas malmené par l’orage ? Et le père Gérard, seul paysan élu, n’avoue-t-il pas, voûté et en prière derrière le chapeau de Mirabeau (et au pied de la chaise qui élève l’élu à l’origine de la commande), son usurpation ? Et Sieyès, assis et soucieux, ne songe-t-il pas déjà à son… « État représentatif* » ? Quant au suffrage, la constitution de 1791 rédigée par ces mêmes héros le dira… censitaire. Pas universel. Révolution délaissée, comme cette œuvre. Ou Révolution en attente ?
*Extrait du discours de l’abbé Emmanuel-Joseph Sieyès du 7 septembre 1789 :
«Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants.»