Alors, pour ne pas oublier et avancer, laissons-nous emporter par cette photographie prise aux Éparges sur le front Ouest durant l’hiver 1914-1915, cet hiver que les belligérants avaient imaginé en vainqueurs, et les hommes se projetant démobilisés en habits de fils, fiancés, époux et pères… Or n’est-ce pas précisément à cause de cette conviction partagée, vainement contrée par Jean Jaurès dans ses dernières heures encore, que le conflit s’enlise, comme les poilus, dans d’infinies tranchées ? Et n’est-ce pas dans ces sols éventrés et brûlés que germe alors une Europe de la paix qui, un siècle plus tard, frémit sous les effets des politiques ultralibérales d’États qui commémorent, mais oublient, divisent et ainsi trahissent en réactivant les nationalismes ?
Agrandissement : Illustration 1
Ici, aux termes d’un assaut sanglant, des soldats français investissent une tranchée allemande. Et ce bout de terre conquise qui n’est que désolation, engloutit une fois encore des hommes, sous les yeux des hommes...
Et si certains scrutent les lignes ennemies, d’autres guettent celui qui fige l’instant pour l’état-major. Lorsqu’un rescapé se perd sur son casque et qu’un autre, au fusil posé, est happé par une dépouille. La neige se fait modeste. Un lien est créé. Ce regard suggère la volonté de raisonner, l’émergence du doute probablement aussi. Et les poches seront fouillées, le courrier lu… Soit de ces témoignages de ceux qui ont "vécu" l'enfer et qu'il nous faut considérer.
Dès lors, relisons le Landser Hugo Müller qui, le 17 octobre 1915, non loin du trépas, écrit :
« A mon étonnement jamais je n’ai lu à vrai dire de remarques haineuses […]. Dans chaque lettre, mère, femme, fiancée, enfants, amis, dont les photographies étaient souvent jointes, espéraient un retour joyeux et prochain, et maintenant ils gisent tous là, morts et à peine enfouis entre les tranchées et au-dessus d’eux les balles sifflent et les obus chantent leur horrible chant de mort. Tant mieux pour ceux que nous ou ceux d’en face, avons pu au moins enterrer à peu près décemment ; mais encore aujourd’hui il y a des lambeaux de corps humains dans les barbelés […] une main avec une alliance, […] un avant-bras dont il ne restera finalement que les os. Que la chaire humaine semble bonne pour les rats ! C’est affreux ».
Leçon…