Léon-Augustin Lhermitte donne « avec un succès jamais démenti, l’image rassurante d’une France rurale laborieuse, ignorante des bouleversements sociaux et des troubles que le prolétariat fomente en ville : c’est ainsi qu’aime à se présenter une Troisième République soutenue, comme du reste le Second Empire, par des campagnes attachées à un régime stable, à la morale familiale et au travail » observe-t-on dans le très utile site L’histoire par l’image, qui précise en outre que tout ici « dénote la grandeur et la dignité » et, citant un critique de 1882, « avec une noblesse idéale et vraie à la fois ».
Instant d’authentique et douce concorde, donc…
Agrandissement : Illustration 1
Image Wikipédia
Et si on osait une autre lecture ?
Alors reprenons, et observons. Au terme d’une journée harassante que dit "l'ancien" à la faux, l’employé du propriétaire de cette imposante exploitation (qui ne suggère que fermeture et vide) verse la fameuse paye à quelques journaliers, ces salariés recrutés au jour le jour et soumis à de vertigineux aléas. Une main tendue par un jeune homme, droit et fier, au seuil sans doute d’une vie d’adulte pleine de projets, suffit à contenir les pièces remises par un maître obligé, tout de même, de lever les yeux vers lui.
On devine le caractère vital de ce salaire et, peut-être même, la nécessité d’en vérifier le montant, en observant le couple au centre du tableau. Les pièces sont recomptées, sous l’œil attentif de la mère au cœur de la composition et sensiblement détournée de l’enfant qu’elle allaite enfin (n’a-t-il ou n'a-t-elle pas du attendre son heure, quelque part à l’ombre et en bordure de champ ?).
Des moissonneurs debout, on passe ainsi, à la croisée des trois lames, au couple courbé, sans visage, soucieux de sa subsistance, puis au vieillard assis, seul, éreinté, qui n’accorde même plus d’intérêt à la somme perçue. Digne. Invaincu, malgré tout. A-t-il d'ailleurs empoché sa misère, déjà, ou s'est-il extrait du groupe des mains tendues ?
Et cette faux, à l’inverse des deux autres, si impressionnante qu’elle semble vouloir fendre l’image (obliques et angles), une scène que dominent verticales (l’ordre) et horizontales (le calme), ne suggère-t-elle pas, après ces trois temps de l’existence habilement représentés, l’ultime étape, celle de la mort ?
A moins que là, plantée dans la récolte dorée, une faucille attend de rencontrer son marteau…
Improbable car anachronique, sans doute.