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Précédant le son et les mots, Le Brun s’impose avec son Chancelier Pierre Séguier. Et d’une œuvre assurément classique, magnifiquement classique, tristement classique, l’artiste et sa belle troupe nous proposent une scène qui vire au baroque et qui n’a rien à envier à son modèle. Puis l’on pense à Patrice Chéreau et à son monument, La reine Margot, cette pépite centrée sur un crime d'Etat, ou de familles rivales (on pense tout particulièrement au Duc de Guise), doublé d'un crime de foule qu'est la Saint-Barthélémy : des visages extraits des plus somptueuses huiles sur toiles, des portraits éteints et intenses à la fois, des visages sous la chape grave du moment, un temps menaçant et glaçant, une descente sombre et pesante. Puis les mots, sciemment répétés dans un rythme qui ne perd personne pour dire avec fierté la vacuité de la théorie du grand remplacement qui toujours plus se répand insidieusement ici et fièrement là. Une chaîne d’info en continu en fait même son refrain, son sinistre refrain, son criminel refrain. Et on n’oubliera pas que des responsables politiques, ces éminences censées être au service de la République, se laissent aller, depuis des années, à des propos qui suggèrent et nourrissent la haine de l’autre, cet être venu d’ailleurs et qui ne peut être que fauteur de troubles et incarnation du désordre qui menace l’hexagone. Un hexagone qui serait blanc et chrétien, estime-t-on vite, comme un réflexe, comme un poison.
Ici, la dernière moisson issue des palais de la République : "Avoir le droit d'asile sur le territoire national ne crée pas le droit de mettre le bordel" ; il est préférable qu'un jeune "ait un militaire pour idole qu'un islamiste radical ou un caïd".
Younès compose, Younès sourit, Younès est debout. Younès rit même de cette théorie vaseuse qui ne mérite pas plus. Avec panache. En cela, Younès donne raison à ce concitoyen engagé dans les rangs de SOS Méditerranée et qui pour toute réponse à quiconque se proclame raciste tranche ainsi : « Tu es donc raciste ? C’est ton problème ! » La honte doit changer de camp.
Et les commentaires, comme les évaluations qui s’affichent au compteur de la plateforme de partage, disent la pertinence de l'œuvre de Younès, l’urgence aussi de réagir. Le rappeur est vilipendé, menacé de mort aussi et ce jusqu'aux États-Unis, cet autre Occident. Et c’est notre problème cette fois, notre problème de citoyens et citoyennes animés de la devise Liberté Égalité Fraternité que de promouvoir cette devise sans relâche. Et d'être aux côtés de Younès. Car la bête immonde rôde. Elle est même, pour une oligarchie épuisée et triomphante à la fois, une stratégie de maintien dans un château construit naguère par un « négrier »…
Enfin, relèvent du crime contre l’humanité ceux et celles qui répandent cette théorie du grand remplacement activée par Renaud Camus. A voir la scène qui s’est récemment déroulée dans le métro de Londres, on a une idée de l’outrage subi par un groupe de jeunes. On note également quelques interventions de passagers et passagères, au courage évident, refusant l’insulte et osant une certaine réprobation, voire tentant le dialogue. On a aussi et surtout, le vertigineux spectacle d’un suprémaciste revendiqué dont on se demande quel drame personnel a pu être le terreau fertile, en lui, d’une théorie aussi immonde que violente. Lui aussi, sans doute, a besoin d’être nourri d’une devise dont on peut et doit souhaiter l’universalité. Le voir au sol, est un autre drame, un autre échec.
Encore une fois, rappelons-nous que les mots sont des actes, car ils génèrent des actes. C’est éclatant, ici. Certains mots sont éminemment plus beaux que d’autres. Il ne doit plus y avoir la moindre Saint-Barthélémy !
Post-scriptum (27.04.20) :
Younès,
Son texte, un noble engagement et une urgence,
Sa scène, un subtil raisonnement et une danse,
Son sourire méditerranéen et centré sur des yeux lumineux, un irrésistible enchantement et une chance,
Qu'il ne change rien !
Mise à jour (28.03.2020), avec copie du texte YT de Younès au sujet de cette oeuvre :
Épinglé par Younès
Younès
Ça fait une semaine que le clip « Le Grand Remplacement » est en ligne. Quelques 100K et centaines de menaces de morts plus tard, faisons le point. Je me doutais qu’avec un titre pareil, je risquais de m’attirer les foudres de la fachosphère. Ça n’a pas manqué. J’assume ce titre, et le clip qui va avec. Je considère cette théorie du « grand remplacement » comme ce qu’elle est; à savoir une théorie raciste et stigmatisante. Elle est une insulte à mon égard et à l’égard de tous ceux qui ne sont pas blancs en France. Le terme « remplacement » n’est pas anodin. Il invite à penser que « nous » -ceux qui ne sont pas blancs-, prendrions la place des français blancs. Implicitement, il y a une connotation négative à ce terme. Personne ne prend la place de quiconque ici. Le monde évolue et nous avec. Chacun verra dans ce clip et dans ce titre ce qu’il souhaite y voir. Les personnes adhérant à cette théorie y verront la confirmation qu’un «grand remplacement » a bel et bien lieu. Ceux considérant qu’il s’agit d’un discours raciste et xénophobe verront que je pointe du doigt avec ironie l’absurdité de cette théorie. Peut-être certains n’auront pas perçu ce second degré. À moi il m’apparaît évident tant cette théorie m’est abjecte et grossière. Il me semble important de le clarifier aujourd’hui pour ceux qui en douteraient. Quant à ceux qui n’avaient pas d’avis sur le sujet, qui n’en étaient pas familiers ou qui y étaient indifférents; voilà l’occasion de vous dire ce que moi, en tant que personne racisée, je ressens lorsqu’il est évoqué. Quand j’entends parler de cette théorie, à la télé, sur internet, dans la bouche d’intellectuels ou de politiciens, je me sens mis au ban du pays, je me sens insulté, je me sens touché. J’ai le sentiment qu’on veut me désigner en tant qu’ennemi de la nation. Cette théorie est une insulte et j’ai décidé de la tourner en ridicule avec autodérision et sarcasme. Au cours des dernières semaines j’ai eu la chance de jouer ce titre devant des dizaines de milliers de personnes, me mêlant à eux chaque soir en sortant de scène et ne recevant à aucun moment quelque remarque négative que ce soit. Il est important de garder à l’esprit que ces individus, bruyants sur internet, usant de multiples identités et le plus souvent sous couvert d’anonymat, tentent par tous les moyens de propager leur idéologie haineuse et de semer la division en France et en Occident. “Le Grand Remplacement’’, est un pied de nez, une moquerie, une goguenardise. C’est aussi un hommage à mon grand père, Bassidi, qui était luthier et musicien. C’est de la musique, c’est de l’art. Et tant mieux si ça fait réagir, car qui peut prétendre faire du rap sans prendre position?