A l’occasion de la 75e commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, le 16 juillet 2017, le Président de la République, Emmanuel Macron, s’est inscrit dans les pas de ses proches prédécesseurs en honorant et des victimes de l’obscure France de Vichy, et des Justes qui en constituent les plus belles lumières insoumises. Manifestement ému, le Chef de l’État a tenu, en outre, à tirer les leçons d’une période honnie, celle de la montée des fascismes et de la seconde guerre mondiale… oubliant au passage, ce qui a éventuellement étonné, leur puissant et déterminant terreau qu’est la crise économique et sociale des années 1930… Il n’a, en effet, évoqué que « le racisme et l’antisémitisme », et il fallait le marteler, ces « vices » qui « entachaient la IIIe République » déjà et qui avaient été promus par des « dirigeants politiques », mais aussi des « fonctionnaires » et des « journalistes français ».
Puis les mots ont fait leur effet, et leur vocation à constituer leçon s’est avérée à saisir.
L’histoire ne se répétant pas dans les mêmes termes (on pourra ne pas s’empêcher de noter que la crise de 2007 relève du podium de celle de 1929, et que nationalisme et racisme se déploient dans des sphères tout aussi caractérisées et fertiles), il nous faut donc, et sans hésitation, les replacer dans le contexte actuel, celui d’une planète à vif. Et les causes n’échappent ou pourraient n’échapper à personne, leurs interactions non plus :
- le changement climatique qui rit des frontières et jette hors de leurs terres des flux croissants d’êtres désormais reconnus comme réfugiés climatiques (les Français et Européens que nous sommes, sensiblement redevables au passage, étant tout sauf à l’abri, ici ou là, d’un impératif de départ à plus ou moins long terme)
- la globalisation, dont la « crise » et les inégalités sont consubstantielles, qui s’organise dans les salons feutrés et autres sommets barricadés (l’Union Européenne, premier marché mondial, en est un acteur central, sans oublier les leviers onusiens et autres FMI, G7 ou G 20 de plusieurs de ses membres… et les Français et Européens que nous sommes, étant toujours plus exposés aux tensions en raison même de cette mondialisation)
- les dictatures et autres egos surdimensionnés de tels potentats ainsi que les conflits qui redessinent cartes et alliances, dans un monde où tout circule aisément sauf les populations (seul un conteneur sur mille est contrôlé à l’entrée de l’UE, quelques clics suffisant à déplacer opinions, images et capitaux), et qui poussent des hommes sur les routes de l’exil où prédateurs de tous genres sévissent (et les Français et Européens que nous sommes, savons, ou devrions encore savoir, la terreur lorsque l’État de droit disparaît)
- les élans nationalistes et racistes qui sont réactivés, redorés même, par des sphères qui devraient s’abstenir de manipuler ces ficelles redoutablement criminogènes (autre enseignement de l’Histoire, dont les Français et Européens que nous sommes, ne sauraient s’affranchir…).
Le tableau est sombre et s’il altère, il doit aussi revigorer, toujours et encore, les aspirations et résolutions de la Charte des Nations Unies (1945), de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948), de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (1989) ou de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne (2000)… Soit autant de textes de référence qui auraient trouvé leur place dans l’éminent discours présidentiel, élargissant aux autres victimes du mitan du siècle écoulé l’hommage de la nation. Pour dire avec plus de force encore l’insulte faite à l’Homme. Mais cela aurait sans doute prolongé l’allocution.
Ainsi, les facteurs déterminant la recherche d’un salut dans les années évoquées par le Président de la République sont-ils éloignés de ceux qui justifient les mobilités actuelles ? Assurément non, si l’on résume cette esquisse par quelques mots communs aux deux situations : misère, oppression, xénophobie, quête d’une vie meilleure… Et si les camps de la mort nazis ne forment plus leur ignominieuse constellation (d’ailleurs, qu’en savaient précisément ceux qui se sont illustrés par leur humanité, tels André et Magda Trocmé au Chambon-sur-Lignon ?), fuir Issayas Afewerki et les vautours qui jalonnent les sentiers et flots de la migration se conçoit aisément. Sinon s’impose. Comme les déluges de fer et de feu terrassant des villes comme Alep. Et voilà que les mobilités humaines atteignent de nos jours des sommets, la Grande bleue qui caresse nos côtes ensoleillées faisant office de plus grand cimetière marin de la planète… 25 000 âmes englouties en quelques années… Dans des éclairs d’effroi et de douleurs qui n’ont rien à envier aux saignées infligées sur les terres traversées (ne citons que l’exemple des marchés aux esclaves en Libye…).
Et pourtant, la France aux « 36 000 » communes ne s’apprête pas à accueillir 36 000 de ces « autres ». Beaucoup moins, dix fois moins dit-on, car elle se raidit… D’ailleurs, qui est ce « elle » ? « Dirigeants politiques », « fonctionnaires » et « journalistes français » disait Emmanuel Macron ? Et les autres mots du Président de la République parlent-ils de Cédric Herrou et de la Roya Citoyenne ? Ou ne s’agit-il que de mots « qui chantent » ?
Alors, saisissons quelques passages, et voyons, si oui ou non, l’homme qui incarne la nation française envisage l’extraordinaire mobilisation de Cédric Herrou et des siens :
« Dans le monde tel qu’il va où les guerres de religion renaissent, où les conflits ethniques ressurgissent, où l’intolérance et le communautarisme se donnent la main, tout doit être fait pour que l’humanité ne consente pas à s’avilir ».
Oui ! Cédric Herrou et la Roya Citoyenne œuvrent à la concorde et à la grandeur de l’humanité ! Leurs bras sont ouverts à tous, indistinctement, et ils le revendiquent, quand d’autres pratiquent avec une application d’un autre temps le délit de faciès.
« Parce que notre République, c’est justement ce projet d’une humanité constamment réinventée, en quête du meilleur d’elle-même par la solidarité, par la culture, par l’éducation ».
Oui ! Cédric Herrou et la Roya Citoyenne participent de cette humanité qui se crée sans cesse, à l’ombre des oliviers de la Roya ou des abris improvisés pour tels mineurs égarés, autour de tables garnies comme par enchantement, devant cartes et autres téléphones pour rassurer, mettre en lien tel enfant et tel parent, donnant le meilleur d’eux-mêmes par solidarité en particulier et humanisme en général ! Et c’est une autre appréhension du monde présent qui se construit, si éloignée de celle des financiers qui s’appliquent à le régenter…
« Chasser les ombres du racisme et l’antisémitisme, c’est ne jamais céder sur cela, c’est ne jamais se satisfaire d’une République gestionnaire, c’est ne jamais faire croire qu’accepter certains propos ce serait bon pour l’unité du pays, ce serait accepter de ne pas rouvrir des plaies. Ne cédez aucun pouce de cette humanité, ne cédez rien parce qu’à chaque fois c’est notre humanité à tous qui est remise en cause. C’est ne jamais admettre que les contraintes économiques puissent conduire au renoncement d’où naissent les pires dérives. C’est ne jamais céder sur l’école, c’est ne jamais céder sur la transmission, c’est ne jamais céder sur la culture, c’est ne jamais céder sur le combat contre l’obscurantisme et l’ignorance. Nous devons sans relâche soutenir sur le terrain ceux qui se mobilisent. C’est ne jamais céder non plus sur ce qui nous unit, tous ces projets à hauteur d’humanité que nous offre notre temps : faire vivre la démocratie, secourir les indigents, saisir cette ambition planétaire qu’est la lutte contre le réchauffement, accueillir du mieux possible les réfugiés que la guerre jette sur les routes… parce que toutes ces causes, toutes nous grandissent ».
Oui ! Cédric Herrou et la Roya Citoyenne tendent une main généreuse à ceux qui fuient l'indicible, à ceux qui n’ont plus rien ou si peu, ne cèdent pas à la haine de l’autre (quand d’autres élèvent des murs ou provoquent un incendie pour neutraliser tel centre d’hébergement, et quand d’autres encore manient la matraque et les gaz lacrymogènes), ne se satisfont pas d’une République gestionnaire mais incarnent sa luminescente devise, savent la diversité de la nation française pour en apprécier le potentiel lorsqu’elle est unie, ne cèdent aucun pouce à la dignité (ne serait-ce que par un regard bienveillant), refusent d’abdiquer devant les contraintes économiques en donnant même au-delà de ce qu’il est possible de donner, croient aux intelligences croisées et savourent les champs du savoir comme du débat et de la mobilisation citoyenne, accueillent tous les exclus, s’élevant et élevant ainsi… et apprécient le soutien qui leur est accordé ! Et ils l’aimeraient sans relâche, eux qui s’appliquent à comprendre le droit et à le faire respecter et évoluer…
« Ne perdons pas de vue mes amis la vocation même de notre pays, celle qui unit tous ces citoyens qui donne à chacun une place, une dignité, une signification. Car c’est ce que nous pouvons opposer de mieux au puissant dissolvant que sont la haine raciste et antisémite. C’est de l’absence d’espoir, du sentiment d’inutilité et de déclassement que naissent les peurs et les haines qui nous opposent les uns aux autres. Ce sont toutes ces haines qui se fondent sur ce que l’on est, sur d’où l’on vient, sur ce que l’on croit, que nous devons combattre ».
Oui ! Cédric Herrou et la Roya Citoyenne accordent à chacun une place, une dignité, une signification, balayant la faux de la haine de l’autre, allant outre leurs propres difficultés et souffrances, et ouvrent les champs du possible ! La lumière qui traverse tel visage épuisé l’atteste avec éclat. Nos militants sont ainsi convaincus que ces vies qui se croisent, d’où qu’elles soient, respirent l’air d’une même planète, foulent un même plancher, sont issues d’une même humanité. Thomas Pesquet ne dit pas autre chose avec ses sublimes images. S’effondre alors l’illusion de la fierté ou de la honte d’être né ici plutôt que là…
Dès lors, la leçon d’Emmanuel Macron est pertinente. Et il nous faut souligner encore et surtout ce qui manque dans cette mise en perspective : les deux folles spirales envisagées, celle abhorrée du siècle passé et celle abhorrée d’aujourd’hui, ont en commun les prodigieux élans de solidarité qui sauvent l’humanité. Alors, à coup sûr, le Président de la République saura donner à son discours toute sa force, et il ne recevra pas Cédric Herrou à l’Élysée (car on imagine ce que le modeste berger, si riche de sa propre histoire, attend des palais de la République) mais il se rendra dans la belle vallée de la Roya, à sa rencontre, pour soutenir ces Justes des temps présents, ces citoyens qui feront les pages étincelantes des livres d’Histoire à venir et qui sont en phase avec les idéaux gravés dans le marbre au lendemain de la seconde guerre mondiale dans le cadre onusien ou dans celui de la construction européenne. Et ils ne sont pas les seuls, d’autres belles personnes se démènent du Nord au Sud et d’Est en Ouest.
Mais taisons les quelques noms qui émergent déjà des multitudes solidaires, quand Cédric Herrou est neutralisé une énième fois ! Car le doute est bien là…