Jeudi 15 mars, 8h10, nous partons pour notre rendez-vous avec Nagy Navarro, journaliste en grève partielle de la faim depuis 96 jours devant le siège de la télévision publique hongroise. Cette grève de la faim est tournante, plusieurs journalistes se relaient pour pouvoir continuer leur combat.
A 8h45, nous arrivons devant le siège de la Magyar Televízió, un complexe imposant où travaillent plus de 5000 personnes, seulement gardé par quelques vigiles en ce jour de fête nationale. Une tente est installée, avec du matériel militant, des panneaux hauts en couleur à moins de 5 mètres du bâtiment.
M. Nagy Navarro, journaliste récemment licencié de la première chaîne de télévision nationale, nous accueille chaleureusement pour parler de leurs revendications. Celles-ci sont clairement exprimées : liberté d’information et de presse, démission de certains responsables de l’audiovisuel public et lutte contre la corruption.
Leur combat a débuté le 10 décembre 2011, lorsque les télévisions publiques ont été contraintes de « flouter » le visage d’un constitutionnaliste reconnu, critique à l’égard du régime et déclarée persona non grata. Il nous fait état de pressions financières et politiques sur les journalistes pour que l’information soit relayée dans un sens qui convienne au pouvoir.
Il nous montre un panneau flanqué d’une liste de neuf responsables de l’audiovisuel public (regroupant les deux principales chaînes et l’agence de presse hongroise), dont les grévistes demandent la démission en raison des atteintes commises contre la liberté d’information et de conflits d’intérêt. Trois noms ont été barrés de rouge, un signe de victoires car ceux-ci ont été contraints de quitter leurs responsabilités. Tous très proche du Fidesz, on trouve également parmi ces neuf noms deux personnalités provenant des rangs de l’extrême-droite : l’un deux a été chargé de la communication.
Les autorités hongroises refusent d’aller en justice pour déloger les grévistes, reconnaissant implicitement que la grève pacifique sera probablement jugée conforme aux lois. En conséquence, des projecteurs très puissants de lumière ont été installés par les responsables de la télévision pour être braqués sur la tente durant les nuits, ainsi que des enceintes de musique hurlant « Jingle Bells » en boucle, évoquant les méthodes de torture psychologique en vigueur dans certaines prisons américaines. M. Nagy Navarro nous rappelle au passage, en ce magnifique jour de printemps que les températures hivernales flirtent régulièrement avec les moins 20° C.
Après quelques photos, les membres du MILLA nous ont distribués des Pin’s en forme de cocarde, symbole aux couleurs nationales en ce jour de commémoration de l’indépendance nationale de 1848, avec en son cœur une main blanche sur fond noir, une allusion assumée à l’opération « main propre » contre la corruption en Italie au début des années 1990 et qui est le symbole du MILLA.
A la fin de notre rencontre, le journaliste regrette l’absence de soutien international ; il appelle les journaux européens et Reporter sans frontières à médiatiser leur combat, tout en convenant d’une (insupportable) hiérarchisation des luttes pour la liberté de la presse (« contrairement à la Syrie, ici les journalistes ne meurent pas »).
Il regrette également des divisions de l’opposition, et en conséquence l’absence de perspectives politiques étant donné la faible confiance dans les partis de l’ensemble du spectre politique hongrois.