Horia Dazi Masmi

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Billet de blog 21 juillet 2010

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Audience du 21 juillet à la Cour d'Appel de Paris

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cet après midi la Cour d'Appel de Paris a évoqué de 15h à 17h l'affaire qui oppose Médiapart (pour 4 de ses articles de juin 2010) et Le Point (pour son cahier spécial du 16 juin) à Mme Bettencourt et Mr de Maistre.

Pour y avoir assisté, en spectatrice - là où je plaide parfois - j'ai pu constater que le public venu soutenir Médiapart a contraint la Cour à évoquer l'affaire dans la grande salle de la 1ère Chambre (celle où les Avocats à Paris prêtent Serment) et non en salle du conseil beaucoup plus petite, comme prévu à l'origine.

A l'issue des débats, la Cour a indiqué rendre son arrêt le vendredi 23 juillet 2010 à 15h.

Une première surprise, Me Kiejman ne s'est pas déplacé pour plaider ce dossier, son associé représentait Mme Bettencourt et a eu la parole en premier puisqu'elle est appelante. Là, nous avons assisté pendant près de 40mn à un autre débat : l'avocat de Mme Bettencourt a plaidé le dossier d'Edwy Plenel contre Gilles Ménage et nous n'avons quasiment de ce côté de la barre entendu que cela, les extraits des décisions de justice rendues en faveur d'Edwy Plenel, les extraits tronqués de certains auteurs commentant ces décisions - biensûr pour tenter d'expliquer qu'Edwy Plenel "ne pourrait faire ce qu'il reprochait aux autres de lui faire" (comme si les deux affaires étaient seulement comparables) -.

Puis nous avons assisté, encore plus hallucinés que nous étions, nous spectateurs-auditeurs, à une particulièrement hasardeuse et j'ose dire scandaleuse comparaison entre Lucie Aubrac (oui la résistante) avec Mme Liliane Bettencourt (dont j'avais surtout retenu que son père étant un partisan du régime de Vichy) tout cela pour quasiment nous expliquer que tout de même nous parlons d'une personne "comme tout le monde" qui n'a "ni plus ni moins de droits que les autres", je dois dire que le public qui m'entourait était pantois, un instant j'ai trouvé là un "motif légitime" à l'absence du médiatique défenseur de Mme Bettencourt, tellement ce discours était aux antipodes de la problématique à régler par la Cour.

Puis l'avocat de Mr de Maistre appelant lui aussi, est venu d'abord nous rappeler que c'est lui qui s'est plaint le 1er, que c'est lui qui a saisi en 1er le juge des référés (regrettant surement que Mme Bettencourt lui vole la vedette) et entre autres explications nous dire que c'est terrible pour son client de seulement retranscrire qu'il a demandé un bateau, car personne ne sait finalement s'il a eu ou pas ce bâteau ! et de nous expliquer encore que c'est terrible de ne donner que des extraits bien choisis, car cela suppose que d'autres auraient pu être publiés et c'est terrible de ne pouvoir avoir que le son "sans les images" (si si je vous promets, je cite). Evidemment dans le public nous nous sommes tous regardés à se demander si le reproche n'était pas que Médiapart n'ait pas fourni un caméra au majordome pour venir "violer" ce lieu sacré qu'est la Domus : le lieu de toutes les sécurités, de tous les secrets, le lieu inviolable par excellence !

Puis une sortie sur la recevabilité d'Arnaud de Montebourg qui s'est invité dans le débat par des conclusions d'intervention volontaire, ce qui a permis à Monsieur le Batonnier Charrière Bournazel de venir rappeler à ses confrères appelants quelques principes élémentaires de notre Démocratie en aparté à sa réponse juridique pour son client et les raisons de sa présence à ce procès.

Enfin, la parole fut donnée à Me Tordjman et Me Mignard pour Médiapart, et nous avons enfin pu parler du dossier dont est saisie la Cour c'est à dire la tentative par Mme Bettencourt et Mr de Maistre d'obtenir le retrait et l'interdiction de publier et diffuser, par Médiapart et Le Point (car depuis l'ensemble de la presse française a repris ces enregistrements, mais seulement ces deux organes de Presse sont poursuivis car j'ai appris à cette audience grâce aux conseils des appelants que le Journaliste serait un professionnel chargé de commenter et d'analyser l'information d'où l'absence de critiques des autres organes, évidemment le journaliste digne de ce nom n'est pas là pour débusquer l'information, pour révéler l'information, il serait servilement un commentateur de communiqués !) les transcriptions des enregistrements faits par le majordome à l'insu des intéressés, au domicile de Mme Bettencourt, enregistrements produits en justice par Mme Meyers Bettencourt fille de Liliane, qui font l'objet d'une procédure devant la 15ème Chambre du tribunal correctionnel de Nanterre, d'une enquête préliminaire menée en parallèle (et je dirais de façon étanche) par Monsieur le Procureur Philippe Courroye (dont je précise que l'avocat de Mme Bettencourt l'a aussi appelé le "Juge Courroye" et comme pour le mot du Président, bien sur ce n'était pas un lapsus ! je m'autorise à rappeler pour les profanes qu'un magistrat du Parquet n'a pas la qualification de Juge, c'est un vocable réservé aux magistrats du siège qui à la différence du ceux du Parquet ne sont pas soumis à l'autorité hiérarchique de la Chancellerie donc de l'exécutif, ce sont eux les magistrats du siège qui garantissent par la protection de la liberté individuelle qui leur est exclusivement dévolue la séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Evidemment au delà de cette affaire, l'enjeu est aussi la réforme de la procédure pénale que veut tant Monsieur Sarkozy, à laquelle il n'a nullement renoncé et qu'il entend faire passer par petites étapes qu'il espère moins médiatisées).

Les enjeux sont clairs et circonscrits par le débat tel que lancé par les avocats de Mme Bettencourt et Mr de Maistre qui se sont enfermés dans les articles 226-1 et 226-2 du Code Pénal d'interprétation évidemment restrictive comme toute loi pénale, au lieu de saisir la justice sur le fondement de l'article 9 du Code Civil, puisque le problème pour eux était de protéger ce droit sacré à la vie intime de la vie privé. Oui mais ils se sont manifestement enfermés dans un piège que les avocats de Médiapart ont parfaitement vu, de même que le premier juge.

En s'enfermant dans l'interprétation très restrictive de ces deux articles de la loi pénale, les avocats de Mme Bettencourt et Mr de Maistre permettent ainsi aux avocats de Médiapart de demander au 1er juge puis à la Cour de retenir que dans le balancier entre le droit à l'intimité et le devoir d'informer, ils doivent vérifier la plus importante des libertés à protéger, dès lors qu'il est établi que Médiapart a volontairement et professionnellement - je dirais déontologiquement - choisi de ne publier et ne diffuser que les extraits qui intéressent la vie publique, le citoyen et son droit de savoir dans ce qui touche rien moins qu'à des libertés publiques aussi importantes que celle de la liberté de la Presse, de l'indépendance de la Justice, le traitement par l'exécutif qui a déclaré faire son "cheval de bataille" de la lutte contre la fraude fiscale, les contournements probables de la loi sur les financements des partis politiques, les conflits d'intérêts au plus haut sommet de l'Etat.

Cette notion de conflit d'intérêts qui a amené Me Mignard à expliquer que si Mr Woerth a pu être ministre du budget et trésorier d'un parti, il ne lui eut pas été possible en 1303 d'être Echevin avec de telles casquettes, surtout que son épouse est employée dans une des sociétés de l'une des plus importantes contribuables de France (quoique sur ce point, Le Canard enchainé de ce jour, nous explique qu'elle ne paie pas plus d'impôt qu'un cadre, mais elle n'a surement pas les mêmes revenus).

Avec force arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, de la Cour d'appel de Paris, surtout de la Cour européenne dont deux arrêts très récents, les conseils de Médiapart ont parfaitement expliqué comment la Cour ne pouvait que confirmer la décision rendue et débouter les appelants.

En dernier lieu, l'avocat de l'hebdomadaire Le Point et de Hervé Gatégno a pris la parole pour conforter cette défense.

Belle audience qui me laisse assez confiante en la décision de la 1ère chambre de la Cour.

Merci à Médiapart, son Directeur de Publication, ses Journalistes pour leur courage à faire simplement leur travail, informer les citoyens de ce qui les concernent au plus haut point, même si cela est dérangeant pour nos gouvernants, c'est ce qui fait la différence entre une Démocratie et tout autre forme de régime politique

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