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Billet de blog 28 avril 2025

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Kanaky Nouvelle-Calédonie : à l’aube des négociations

[Rediffusion] Le ministre des Outre-mer Manuel Valls est attendu en Nouvelle-Calédonie, où il présentera un projet d’accord global, base des négociations à venir entre indépendantistes et loyalistes. L’État français et les élus calédoniens vont devoir se montrer à la hauteur du moment car l’enjeu est simple : la paix civile durable ou le risque considérable de futurs « événements ».

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Ce 29 avril, le ministre des Outre-mer Manuel Valls fait son troisième passage en Nouvelle-Calédonie, où il présentera un projet d’accord global regroupant plusieurs thèmes majeurs, base des négociations à venir entre indépendantistes et loyalistes. L’État français et les élus calédoniens vont devoir se montrer à la hauteur du moment car, après des mois à dénoncer les responsabilités de chacun dans les événements passés, se joue leur responsabilité à tous sur l’avenir. L’enjeu est simple : la paix civile durable ou le risque considérable de futurs « événements ».

Manuel Valls et la restauration du dialogue

Le ministre s’est déjà rendu deux fois sur le territoire depuis sa prise en charge du dossier. Il a souhaité y « restaurer la confiance » en recréant des conditions de dialogue appropriées, assumant s’inspirer de « la méthode Rocard » ayant abouti en 1988 sur les accords de Matignon-Oudinot puis sur les accords de Nouméa, en 1998. Manuel Valls opère de cette manière un tournant dans la gestion du dossier calédonien. En effet après le référendum de 2021, le chef de l’État Emmanuel Macron, avait déclaré « La France est plus belle, car la Nouvelle-Calédonie a décidé d’y rester ». Les indépendantistes n’avaient pourtant pas participé à ce troisième référendum car sa tenue n’était pas conforme à la période de deuils coutumiers provoqués par la crise Covid. Cette position hors de tout consensus appelé par l’esprit des accords a profondément brisé la confiance des partis indépendantistes envers l’État français. Le dialogue fut interrompu, et les partis indépendantistes décidés à attendre une autre présidence, ou un autre gouvernement. Le deuxième épisode important considéré comme une sortie unilatérale des accords fut le projet de loi constitutionnel sur le dégel du corps électoral. Celui-ci a été porté à l’assemblée nationale, tandis que des manifestations pacifiques des indépendantistes, qui s’y opposaient tous, avaient lieu depuis des semaines. La sensibilité de ce sujet était pourtant largement connue : le point de départ des événements des années 80 a aussi été provoqué par un problème de corps électoral : Éloi Machoro brisant une urne lors de l’élection territoriale de 1984. Le 13 mai 2024, alors que les premières fumées s’élevaient à Nouméa et que le congrès local avait voté une résolution demandant le retrait du texte, l’assemblée nationale vota pour l’adoption.

C’est donc en marchant sur des œufs que Manuel Valls s’efforce de ramener le dialogue et l’esprit des accords, convaincu de l’enjeu : « Il n’y a pas d’autre choix que de vivre ensemble sinon c’est la guerre civile » déclarait il le 22 avril dans l’émission C pas si loin, sur France 5. « Le 30 avril ou le 1er mai, nous mettrons un projet sur la table qui évoquera l’idée d’une loi fondamentale pour la Nouvelle-Calédonie, qui essaiera de traiter la question de la citoyenneté et du corps électoral ». Il sera aussi accompagné d’un projet de société pour réengager le vivre ensemble, d’un projet économique, et d’une proposition institutionnelle. « Il faut revenir aux fondamentaux et à la poignée de main » concluait Valls, faisant référence aux accords de 1988 et à la poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur.

Les paroles du ministre lors de ses précédents passages montrent également un rôle d’arbitrage, puisqu’il a tenu à rassurer les deux camps tour à tour en recadrant les uns puis les autres. Le 22 février, les chefs de file loyalistes Sonia Backes et Nicolas Metzdorf l’avaient interpellé à propos de son utilisation du terme de peuple premier : « Quand tu dis qu’il y a un peuple premier chez les kanak, tu ne nous respectes pas ! » lançait le député Nicolas Metzdorf. Ce à quoi le ministre avait répondu : « C’est un révisionnisme de ta part, je vais t’offrir une visite au musée des Arts premiers », tandis qu’on entendait la présidente de la province sud Sonia Backes derrière eux « On joue notre peau ! ». En recadrant ces deux leaders loyalistes à l’origine du projet de loi, Manuel Valls envoyait alors un signal fort aux indépendantistes.

Le ministre des Outre-mer a tout de même rassuré les loyalistes au sujet des ingérences de l’Azerbaïdjan, alors que des leaders indépendantistes cherchent ou acceptent le soutien du Groupe d’Initiative de Bakou. Il s’est encore exprimé le 22 avril sur France 5 : « On voit l’Azerbaïdjan, agissant pour le compte de la Russie, agir un peu partout là où nous sommes. ». Exprimant qu’une guerre d’influence s’est engagée entre la Russie et l’Europe, en particulier la France, « seul pays de l’UE présent sur 5 continents et trois océans », le ministre estime qu’il faut « tenir bon » et « mettre les moyens pour lutter contre cette guerre d’influence ». Concernant les élus qui entretiennent des liens avec Bakou, Manuel Valls avertit sans les nommer : « On peut avoir des idées, on peut être pour l’indépendance de tel ou tel territoire, en revanche on ne peut pas participer à des initiatives contre les intérêts stratégiques... encore plus avec un État qui n’a rien de démocratique. » Si ces dénonciations claires peuvent rassurer les loyalistes, elles soulèvent toujours une certaine ambiguïté sur l’impartialité de l’État français qui admet également avoir des intérêts stratégiques sur ce territoire.

Des camps politiques polarisés

Tandis que Manuel Valls cherche à s’inspirer de la méthode Rocard et à recréer des conditions de dialogue adéquat pour les négociations, les partis politiques de Nouvelle-Calédonie eux, sont divisés des deux côtés. Dans le climat de tension et de crise que connaît le territoire, ceux qui se font entendre le plus montrent peu de signes de préparation au compromis et gonflent plutôt les muscles en vue du rapport de force.

Côté Non-indépendantiste, c’est la coalition Les Loyalistes qui domine, composée des partis Rassemblement-Les Républicain (R-LR), et Générations NC. Le député Nicolas Metzdorf, président fondateur de Générations NC et sa porte parole Nina Julié se sont récemment rendus aux États-Unis en quête de soutien. « Entre indépendantistes jusque boutistes, et État équilibriste, sachez une chose : nous ne sommes pas seuls » déclarait Nicolas Metzdorf le 12 avril lors de son séjour à Washington DC. Il s’est aussi rendu en Arménie où il a dénoncé les agissements de l’Azerbaïdjan : « Je rentre à Nouméa encore plus déterminé qu’avant à lutter contre le fascisme auquel nous faisons face ». Quelques mois plus tôt, il rencontrait l’ambassadeur Israélien en France et postait : « La sensibilisation du dossier calédonien se poursuit pour moi à Paris. Aujourd’hui avec l’ambassadeur d’Israël en France, avec le point commun de se faire traiter de colons par l’extrême gauche communautariste ». Avant de dénoncer le régime azerbaïdjannais, Nicolas Metzdorf a donc affiché une certaine sympathie à l’égard d’Israël dont des cimes et violations au droit international étaient déjà avérés.

Sonia Backes, présidente de la province sud, ne se montre pas à l’étranger mais se concentre sur la politique locale. Elle avait déclaré lors d’un discours à l’occasion du 14 juillet 2024 : « Au même titre que l’huile et l’eau ne se mélangent pas, je constate à regret que le monde kanak et le monde occidental ont malgré plus de 170 années de vie commune, des antagonismes encore indépassables ». Lors de ce discours fataliste sur la possibilité du vivre ensemble, elle avançait l’idée d’une partition du territoire que beaucoup de critiques ont perçu comme un concept relativement proche de l’apartheid. Le 19 avril, elle s’est réjouie sur les réseaux de la mise en place d’un critère de 10 ans de résidence dans la province sud, la plus peuplée des trois, pour bénéficier d’aides sociales. Une politique vivement critiquée tandis que les statistiques ethniques montrent que les plus pauvres sont majoritairement kanak, et que les habitants des deux autres provinces sont bien plus souvent sous le seuil de pauvreté que ceux de la province sud. Les familles des autres provinces envoient d’ailleurs souvent leurs enfants à Nouméa pour leur scolarité, afin qu’ils disposent d’un mode de vie moins précaire pour leur réussite. « Alors que le FLNKS n’a toujours pas décidé d’entrer en négociation et qu’il ne montre aucun signe de volonté de trouver un accord, nous reconstruirons la province sud avec ceux qui travaillent et qui méritent » déclarait-elle. En septembre 2024, des reproches d’application d’une politique punitive collective à l’égard de la population kanak lui avaient déjà été faites alors qu’elle suspendait les aides de la province à l’île des pins, où deux élues loyalistes ont été prises à partie et chassées de l’île par un groupe de jeunes.

Du côté indépendantistes, le Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS) est la coalition historique regroupant les principaux partis comme l’Union Calédonienne (UC), le Parti de Libération Kanak (Palika), et l’Union Progressiste en Mélanésie (UPM). Les divisions entre ces partis ont amené progressivement le Palika et l’UPM à prendre leur distances avec le FLNKS et les positions de l’UC, alors présidé par Daniel Goa, qui réclamait le 8 juin 2024 une souveraineté « immédiate, pleine et entière, et non négociable » qu’il souhaitait voir proclamée le 24 septembre 2024.
Même après l’arrivée à la présidence de l’UC le 24 novembre d’Emmanuel Tjibaou, le Palika et l’UPM sont restés en marge des congrès et des communiqués du FLNKS et de son bureau politique. La présidence de la coalition avait été donnée lors d’un congrès qui s’est tenu sans leur participation le 31 août dernier, à Christian Tein. Ce dernier est considéré par certains comme l’instigateur des émeutes et a été placé en détention provisoire en France en attendant son procès. Pour le FLNKS, c’est un « prisonnier politique ». « On voit que le fonctionnement du FLNKS se poursuit dans des perspectives que nous n’approuvons pas, il n’y a donc pas de raisons qu’on y retourne pour le moment », expliquait en janvier le président de l’UPM Victor Tutugoro.
Le Palika et l’UPM qui soutenaient plus volontiers l’idée d’une indépendance-association restent depuis ces divisions discrets dans leurs déclarations. Le FLNKS, de son côté, appelle à l’unité des partis indépendantistes.

Ce 26 avril le FLNKS a annoncé qu’il sera bien présent autour de la table. Christian Téin ayant fait parvenir un mot au FLNKS depuis la prison de Mulhouse prévient cependant : « Il est impératif que le processus de décolonisation soit mené à son terme, avec la souveraineté complète comme objectif ultime et condition indispensable à une paix durable ». Si les loyalistes y sont opposés, ce sont aussi les relations du FLNKS avec Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, qui inquiètent tandis qu’elles sont de plus en plus assumées par certains. En trouvant du soutien en Azerbaïdjan au sein du Groupe d’Initiative de Bakou et du Front International de Décolonisation, le FLNKS se montre déterminé à accéder à l’indépendance avec toute l’aide possible, même celle d’un régime accusé d’autoritarisme, de crimes contre des civils ou de violations des droits internationaux.
Ce genre d’alliance rappelle les passages d’indépendantistes kanak en Libye dans les années 80, ou de Nelson Mandela auprès du FLN en 1961. La stratégie : chercher du soutien là où il est possible pour donner du poids à une cause estimée négligée sur la scène internationale, quitte à être accusé de consentir à la violence.

« Il ne suffit pas d’avoir un accord politique, il faut retravailler le lien social »

Les émeutes de mai 2024 ayant éclaté dans le contexte politique du passage à l’assemblée nationale du projet de loi constitutionnel sur le dégel du corps électoral ont fait ressurgir la complexité d’un problème social latent non résolu. En effet, si les accords de 1988 et 1998 avaient pour objectif d’amorcer une phase de rééquilibrage social et culturel, les événements de 2024 ont révélé une fracture jamais résorbée entre les différentes communautés. La place occupée dans les émeutes par la jeunesse kanak, notamment les plus précaires, illustre pour certains un échec collectif de notre société, qui a laissé pour compte une grande partie de cette jeunesse dans sa construction. Pour Patrice Godin, anthropologue membre du Collectif pays pour le dialogue, « Il ne suffit pas d’avoir un accord politique, il faut retravailler le lien social ». Dans un entretien au journal télévisé NC la 1ère, il explique que le but du Collectif est « de faire entendre la voix de l’ensemble des citoyens […] pour faire émerger les problèmes auxquels les gens ont été confrontés, malgré les accords politiques ». Pour d’autres figures, l’échec du rééquilibrage repose aussi dans la négligence des facteurs humains au profit d’aspects plus matérialistes. Dans un entretien à Médiapart, l’ancien maire de Bourail et membre du comité des sages Jean-Pierre Aïfa interpelle sur la différence de vécu entre Nouméa et « la brousse » pendant les événements. Selon lui, à Nouméa, « Les gens vivent les uns à côté des autres mais ne se connaissent pas » tandis qu’en brousse les gens partagent leur quotidien et ont adopté une « approche de destin commun » qui s’est construite depuis des années et est « devenue naturelle pour les jeunes générations ». La brousse a su adopter certaines valeurs de la culture kanak comme la parole, le respect, et l’humilité tandis que le tissu économique et social de Nouméa rend difficile la rencontre et la création de liens entre communautés. Il conclut que changer « l’approche économique, sociale, environnementale et autres » de l’archipel est une « obligation », et que « reconstruire de la même manière, c’est aller au-devant d’événements [qu’il] ne verr[a] certainement pas ».

Reconstruire un compromis politique et repenser la société.

Jusqu’ici, chaque camp a affiché sa détermination à l’emporter. Mais l’heure est venue de se remettre autour d’une table et de construire un compromis. Presque quarante ans après les accords de Matignon-Oudinot, la Kanaky Nouvelle-Calédonie est de nouveau à la croisée des chemins. L’échec reste une hypothèse redoutée, et ses conséquences potentiellement graves, mais la réussite d’un accord consensuel pourrait ouvrir un chemin vers une paix durable, et offrir au monde un exemple de résolution politique dans un temps où les fractures ne cessent de se creuser. Encore faut-il pour cela que chacun assume ses responsabilités, en admettant que la société calédonienne doit repenser profondément son fonctionnement. Car la question de souveraineté ne peut à elle seule garantir un rééquilibrage effectif et donc, un vivre ensemble concret et durable.

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